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[DECODE] L’enceinte connectée Djingo d’Orange arrive-t-elle trop tard?

Deux ans et demi après avoir été annoncée lors de la conférence annuelle d’Orange « Show Hello » en avril 2017, et censée venir concurrencer l’Echo d’Amazon et la Google Home, Djingo, l’enceinte connectée d’Orange, s’apprête enfin à remplir les linéaires des boutiques de la marque. La sortie de Djingo a connu quelques contre-temps, illustrant les difficultés que rencontre Orange dans la mise en oeuvre de sa stratégie d’innovation.

En 2017, Orange dévoile en grande pompe Djingo

Lorsque Stéphane Richard, Président Directeur Général d’Orange, dévoile l’enceinte Djingo pour la première fois au printemps 2017 à la salle Pleyel, Orange, qui vient d’annoncer 40,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2016, veut se positionner sur les interfaces vocales rapidement, en concurrence des GAFA.

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«Nous pensons que nous pouvons aller vers une planète augmentée, un moi amélioré», avait assuré Stéphane Richard.

En plus de sa toute nouvelle néobanque Orange Bank, de box internet « plus intelligentes » et de nouvelles fonctionnalités s’inscrivant dans ses ambitions smart home, l’opérateur historique présente une nouvelle enceinte connectée «qui permet d’interagir avec tous les contenus et services de l’écosystème Orange». Compatible avec la plupart des systèmes d’exploitation, l’appareil va être capable de répondre aux questions posées par les utilisateurs dans leur vie quotidienne pour piloter leur domotique comme pour accéder à des services au travers d’une interface vocale révolutionnaire.

Le groupe s’est associé à l’opérateur allemand Deutsche Telekom pour développer un assistant vocal. La version outre-Rhin s’appellera Magenta (couleur déposée par l’opérateur allemand).

Les deux acteurs joignent leurs ressources, notamment R&D, pour développer l’intelligence artificielle de Djingo, nom qui définit en même temps l’enceinte et l’assistant virtuel. Sur le papier, un partenariat industriel entre deux acteurs clés en Europe, modèle d’une offre concurrente qui doit faire face aux GAFA.

Djingo
L’enceinte Djingo. Crédit: Orange.

Djingo, un projet plus compliqué que prévu

A cette époque, l’Echo d’Amazon et la Google Home commencent déjà à trouver leur place au sein des maisons des consommateurs. Prendre position est une étape clé avant de passer à la conquête des usages. Mais à la date de lancement, aucun signe de l’appareil dans les boutiques Orange, ni de Magenta chez Deutsche Telekom. Lors d’un Show Hello très attendu, en décembre 2018, pour faire face à Xavier Niel et sa nouvelle box survitaminée, Stéphane Richard promet la disponibilité de Djingo avant le printemps 2019, à partir de 49 euros pour tous les clients d’Orange.

« Djingo est actuellement en phase de test auprès de 5 000 personnes. Une fois cette période de test achevée, cette technologie sera commercialisée à partir de fin février 2019″, assure M. Richard.

Face aux questions des journalistes, Stéphane Richard précise que l’appareil permettra de chercher des films, de passer des appels et d’avoir accès aux services smart home d’Orange. On apprendra également que le télécom français s’est allié à… Amazon, dont la stratégie ne se limite à pas à créer une multitude de devices dotés d’Alexa mais d’embarquer sa technologie d’interface vocale partout où il le peut. Bons joueurs chez Orange, Djingo fonctionnera donc également avec Alexa, difficile de reprocher cette interopérabilité.

Malheureusement, au printemps 2019, toujours rien. La sortie est de nouveau retardée de deux mois. Orange et Deutsche Telekom ne se risquent plus à avancer la moindre date de sortie de Djingo ou de Magenta.

Début septembre, Magenta, l’enceinte connectée de Deutsche Telekom fonctionnant sur la même base est enfin lancée.

Du coté d’Orange ce n’est pas le même son de cloche,  alors que l’opérateur historique s’apprête à lancer une nouvelle box, Fabienne Dulac, sa Directrice Générale annonce que  Djingo doit être commercialisé « assez rapidement ». Le projet s’est révélé « plus compliqué que ce qui avait été anticipé », concède-t-elle.

Derrière ces retards: des difficultés techniques. Les équipes de développement de la division Technology and Global Innovation (TGI), chargées notamment de Djingo, rencontreraient des problèmes dans l’interconnexion des fonctionnalités smart home, mais aussi dans la mise en oeuvre du système de reconnaissance vocale multilingue. Orange pointe du doigt une période d’apprentissage longue et complexe.

Le programme de transformation d’Orange sème la confusion

Ces difficultés techniques auraient été en partie causées par un manque de visibilité dans le programme de transformation du groupe initié en 2018 par le comité exécutif et lancé début 2019. Le programme, baptisé « projet Vanille », intervient notamment à la suite du programme « Nova+ », enclenché en 2011 avec pour but de transformer l’innovation au sein du groupe via la résolution de trois problèmes: prise en compte insuffisante des besoins locaux à l’international, manque de tests utilisateurs, et organisation trop complexe et hiérarchisée.

Le projet Vanille a vu la constitution, au premier semestre, de groupes de chefs de projet liés à l’innovation avec pour optique la poursuite de la dynamique d’évolution et de transformation du groupe. La construction du programme a été articulée autour de trois principes: l’implication de tous les membres du comité exécutif ; l’écoute des salariés via notamment 150 entretiens individuels ; la co-construction via l’organisation de six ateliers visant à nourrir le débat du comité exécutif. Chaque membre du comité exécutif a ainsi pris en charge l’un des dix projets prioritaires finalement constitués.

L’un de ces projets, appelé « Innovation groupe plus orientée pays et régions et focalisée sur les priorités du groupe », a dans ce cadre été attribué à Mari-Noëlle Jégo-Laveissière, directrice en charge des technologies et de l’innovation globale chez Orange depuis 2014. Sauf qu’accaparée par le projet Vanille, Mari-Noëlle Jégo-Laveissière aurait délaissé Djingo et les équipes de la division TGI pâtiraient d’un manque de ressources.

Dans un document publié en septembre, le syndicat CFE-CGC Orange a sévèrement critiqué les résultats de cette politique. Ainsi, l’innovation chez Orange, « véritable marqueur du groupe en son temps, (…) pâtit désormais des organisations mises en place ». Il ajoute que « le Bloc d’Orange et HomeLive sont des échecs commerciaux. La fin du Cloud d’Orange, sans solution de repli, ternit également l’image de l’entreprise auprès de ses clients. Attendu depuis 2017, Djingo n’est toujours pas commercialisé et la nouvelle box est annoncée pour fin 2019, très en retard par rapport à ses concurrents ».

« Force est de constater que bon nombre de réorganisations sèment plus de confusions qu’elles ne simplifient les modes de fonctionnement », a ajouté la CFE-CGC Orange.

Entre-temps, Amazon, Google et les BATX ont sur-investi le marché

Aujourd’hui, un internaute français sur dix utilise une enceinte connectée de type Amazon Echo ou Google Home. Un usage bien moins développé qu’aux Etats-Unis, où près d’une personne sur quatre utilise ce type d’appareil, ou dans d’autres pays européens, mais appelé à conquérir un tiers des foyers à moyen terme, selon une étude du CSA et Hadopi présentée plus tôt cette année. Près de la moitié (46%) des internautes a déjà utilisé un assistant vocal (type Siri, OK Google…). Bien que les usages soient encore relativement basiques (demander la météo pour 78% des usagers, rechercher une information sur Internet pour 75%), les pratiques culturelles et médias sont largement répandues, notamment l’écoute de musique (89% des utilisateurs) ou de radio (81%).

Les usages domotiques (commande d’appareils ménagers, d’interrupteurs…) restent moins répandus et concernent 36% des utilisateurs d’enceinte connectée. L’objet est encore considéré comme un gadget par un quart des utilisateurs. Aujourd’hui, seulement 4% des internautes non équipés ont l’intention d’acheter un tel appareil en 2019, considérant qu’il propose encore trop peu de services et par crainte à l’égard des données personnelles. Un peu moins d’un tiers des Français, soit 20 millions de personnes, utilisent occasionnellement ou régulièrement un assistant vocal en 2019. L’essentiel des usages restait lié aux assistants vocaux des smartphones.Crédit: Canalys.

Cette évolution pose une question stratégique pour les entreprises françaises, alors que les assistants vocaux restent pour l’instant l’apanage des grands groupes américains, et chinois.

Aux Etats-Unis, premier marché mondial devant la Chine et le Royaume-Uni, Amazon détient 70% du marché des enceintes connectées, tandis que Google occupe près de 25% du marché, avec environ 5% revenant à Apple, selon des chiffres de Consumer Intelligence Research Partners (CIRP). Selon le cabinet Strategy Analytics, il s’agissait du produit électronique grand public le plus vendu en 2018. Mieux encore, les ventes ont progressé de 95 % à 38,5 millions d’unités rien qu’au quatrième trimestre, lors des périodes de fêtes de fin d’année, soit plus que toute l’année 2017. Au total, 86,2 millions d’enceintes connectées ont été vendues dans le monde en 2018 et 60 millions de foyers possèderaient désormais au moins un appareil de ce type.

Une enceinte Djingo qui arrive trop tard?

Djingo sera donc lancé en soft launch mercredi 13 novembre en ligne, et le lendemain dans 80 boutiques Orange, avant d’accélérer sa distribution en 2020.

Un retard commercial, qui devrait se renforcer par un retard produit et usage. Les géants du secteur qui occupent la quasi-totalité des parts de marché ont acquis une forte connaissance des usages des consommateurs et visent déjà l’extérieur de la maison: lors de son événement hardware en septembre, Amazon a annoncé une avalanche de nouveaux produits connectés, destinés à inonder encore plus le marché.

Djingo illustre parfaitement les difficultés de l’opérateur historique à aborder les grands sujets d’innovation, tout en pointant les inerties internes responsables de tels retards. Un véritable camouflet pour Stéphane Richard qui, outre le retard, dont la presse se fait écho depuis trois ans, va devoir faire face au probable échec d’un projet qu’il voyait être un fleuron de sa stratégie d’innovation. Quelles seront les conséquences sur l’organisation et le management d’Orange? L’avenir précisera la célérité à laquelle les leçons en seront tirées.

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