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[DECODE Retail] Comment Fusalp cultive son image de marque « sélective »

Contraction de «fuseau» et «Alpes», Fusalp, figure de proue des marques de vêtements de ski jusqu’aux années 1980, connaît un second souffle depuis son rachat en 2013 par deux membres de la famille Lacoste: Sophie Lacoste-Dournel et Philippe Lacoste. Entre repositionnement marketing, mise en place d’une équipe de cadres expérimentés, compréhension des nouveaux codes de la mode et intégration du numérique, la marque est passée de 6 millions d’euros de chiffre d’affaires au moment de sa reprise à 22 millions en 2018. Elle doit maintenant réussir à poursuivre son développement avec pour ambition de devenir une «grande marque» bénéficiant d’un rayonnement international.

Fusalp fêtera ses 68 ans en 2020. Revenir sur son histoire a d’autant plus de sens que l’un des faits d’armes des actuels dirigeants est d’avoir réussi à capitaliser sur l’image de marque que s’était déjà construite l’entreprise, tout en l’ancrant à nouveau dans l’ère du temps.

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De 1 000 à 30 salariés avant la reprise…

La société est née en 1952 à Annecy sous l’impulsion de deux tailleurs, Georges Ribola et René Veyrat. Contrairement à ce qu’on peut lire parfois, la marque n’a pas inventé le fuseau, cela a été l’œuvre d’Allard, entreprise originaire de Megève et née en 1926. Les deux tailleurs vont en revanche améliorer sa composition: matière, coupe, confort… avec en tête l’ambition d’améliorer les performances des skieurs lors des compétitions. Convaincus, ces derniers dévalent les pistes en Fusalp et la marque parvient à devenir à la fois synonyme de style et de technicité. Elle sponsorise les grands champions pendant plusieurs années: les sœurs Goitschel aux Jeux olympiques d’Innsbruck en 1964, Jean-Claude Killy aux JO de Grenoble en 1968, Annie Famose, Guy Périllat et Léo Lacroix lors des championnats du monde de ski alpin de Portillo en 1966… Tout sourit à l’entreprise annécienne.

Anoraks, pulls près du corps, fuseaux… la marque est alors leader sur son marché et emploiera jusqu’à 1 000 personnes avec un rythme de 500 000 pièces vendues par année, dont 200 000 fuseaux. Elle commence aussi à sortir du strict cadre du ski. Elle est par exemple rapidement portée aussi par les marins pour se protéger du froid.

Face au succès, l’entreprise attise la convoitise et tombera finalement en 1976 entre les mains du baron Empain. C’est aussi là que commence son déclin sur fonds de crise de l’industrie textile française dans les années 80. À la suite de son dépôt de bilan, ce sont finalement quatre anciens cadres de l’entreprise, dont Joël Gleyze- PDG au moment du dernier rachat de l’entreprise- qui vont tenter de relever la marque à partir de 1984, désormais sous le nom de «Créations Fusalp».

Face à la concurrence, aux coûts de fabrication, au changement de style des années 90, la marque a du mal à réellement se relever. Au moment de son rachat par Sophie Lacoste-Dournel et Philippe Lacoste, elle ne compte plus qu’une trentaine de salariés.

Les Lacoste aux commandes

Mais si la marque ne possède alors plus le même rayonnement, elle jouit toujours d’une bonne réputation en termes de qualité et de technicité. Mais comment concilier cette image avec les contraintes et changements du secteur du prêt-à-porter d’aujourd’hui? C’est une équipe expérimentée qui va s’atteler à cette tâche. Après avoir revendu leurs parts dans la célèbre marque familiale à la suite de sa reprise par le groupe suisse Maus pour 1 milliard d’euros en 2012, Sophie Lacoste-Dournel et Philippe Lacoste sont à la recherche d’un projet de reprise dans un secteur du prêt-à-porter qu’ils connaissent bien. Dans ce projet, ils sont accompagnés d’Alexandre Fauvet, ancien directeur exécutif de Lacoste, qui occupe aujourd’hui le poste de directeur général de Fusalp. Sophie Lacoste-Dournel prend de son côté le rôle d’administratrice de l’entreprise et Philippe Lacoste celui de président. La direction artistique est confiée à Mathilde Lacoste, diplômée en stylisme et design de l’École des arts appliqués Duperré.

Sophie Lacoste, administratrice, Philippe Lacoste, président, et Mathilde Lacoste, directrice artistique de Fusalp.
Crédit: Ariane Leguay.

Celle qui s’avère aussi être la femme de Philippe Lacoste, a occupé pendant 20 ans le poste de responsable des tendances et du développement des produits au sein de la marque au crocodile.

Au moment du rachat, le nouvelle équipe dirigeante reprend la quasi-totalité des anciens salariés.

L’opportunité du sportswear haut de gamme

Une nouvelle dynamique est rapidement impulsée. La marque crée et lance une collection capsule avec l’alors très branché concept store Colette dès décembre 2014. Une boutique est inaugurée dans le non moins très chic quartier parisien du Marais en octobre 2015. Antoine Dénériaz, champion olympique de descente aux JO de Turin en 2006, devient ambassadeur de la marque. Cette dernière devient également partenaire officiel de la vallée de Chamonix-Mont-Blanc où elle y habille les professionnels du tourisme. Fusalp veut à nouveau remplir les armoires des skieurs… mais également celles des citadins. La question est de savoir avec quel positionnement exactement?

«C’est une marque haut de gamme. Nous n’aimons pas beaucoup le terme de ‘luxe’  car il a des définitions différentes d’un pays ou d’une culture à une autre. Dans notre gamme, nous avons à la fois des produits très chers à 1 500 euros- et qui sont d’ailleurs nos best-sellers- mais aussi d’autres à 200 euros, des pulls ou des secondes couches», explique Alexandre Fauvet.

Un positionnement que Fusalp ne veut donc surtout pas cantonner qu’aux pistes de ski. Pour étendre son empreinte, la marque mise de plus en plus sur le sportswear, tendance qui parcourt les rues depuis quelques années déjà, avec des vêtements qui empruntent au confort du sport tout en répondant aux exigences « mode » pour pouvoir être portés dans la vie quotidienne. Aujourd’hui, 60% du chiffre de la marque provient de l’univers ski et 40% du prêt-à-porter. Un découpage que l’entreprise souhaite équilibrer à 50-50 à l’avenir.

Il faut dire que le sportswear offre des perspectives plus larges que de s’adresser uniquement aux amateurs de ski et touche aussi bien les hommes et les femmes. «C’est une vision qui porte sur le prêt-à-porter et sur des besoins d’un vestiaire contemporain avec une base technique. Il se trouve que c’est valable à la fois pour les hommes qui sont très orientés naturellement, je pense, sur la fonction et la technicité, mais de plus en plus aussi pour les femmes», développe le directeur général de Fusalp. 

Selon les chiffres d’Allied Market Research, le marché mondial des vêtements de sport représentait 167,7 milliards de dollars en 2018 et devrait atteindre 248,1 milliards de dollars en 2026 avec un  taux de croissance annuel de 5,1%. Des marques comme Nike, Adidas ou encore Puma en sont les pionniers. Mais la compétition fait rage dans le domaine comme le montre par exemple les déboires de la marque américaine Under Armour qui face à la concurrence a vu son résultat d’exploitation chuter de 72 % pour arriver à 157 millions de dollars comme le pointait en octobre dernier Forbes dans son classement des marques « sport » les plus rentables.

Mais Fusalp ne se retrouve pas directement en compétition avec ces acteurs, puisque pour sortir son épingle du jeu, le Français fait le pari du sportswear chic. Un positionnement qu’il faut tout de même réussir à tenir sur un marché avec certaines marques qui jouissent aussi d’une bonne image en termes de technicité et de qualité mais à des prix plus accessibles à l’instar du Japonais Uniqlo.

L’impossible pari du Made in France?

Ainsi, au-delà du sportswear, Fusalp veut se positionner comme une marque anti fast-fashion avec des pièces certes coûteuses mais dont la promesse est qu’elles tiendront sur la durée. Un positionnement qui peut en effet avoir du sens pour des consommateurs qui veulent consommer plus «responsables». Et si cela passe notamment pour les plus jeunes par un phénomène comme la seconde-main, pour une population avec un peu de pouvoir d’achat, cela peut également passer par le choix de pièces qui répondent à l’enjeu très contemporain de «durabilité».

«Nous avons été développés des nylons là où on trouve les meilleurs au monde, au Japon et en Corée. Nous sommes allés chercher le meilleur softshell en Suisse où se trouve aussi l’une des meilleures laines imperméables », cite par exemple Alexandre Fauvet pour mettre en avant la qualité des pièces.

Mais Uniqlo est loin d’être le seul compétiteur. Fusalp se retrouve aussi face à des marques dont le positionnement prix est plus proche du sien: Moncler, Rossignol, Peak Performance… pour n’en citer que quelques-unes. Il faut parvenir à se démarquer.

Pour ajouter des arguments à son positionnement, Fusalp fait-il du Made in France? Une particularité qui pourrait d’autant plus la différencier des autres marques que les entreprises hexagonales sont une rareté dans le domaine des vêtements de ski. Beaucoup de marques d’origines françaises sont en effet tombées entre les mains de groupes étrangers. On peut par exemple citer Moncler, qui fondé en 1952 à Monestier-de-Clermont, est aujourd’hui devenue une marque italienne détenue en majorité par le milliardaire local Remo Ruffini et cotée à la Bourse de Milan. Rossignol, de son côté, a toujours son siège en Isère mais est la propriété du groupe suédois Altor Equity Partners.

Or le Made in France peut servir à vendre aussi bien dans l’Hexagone qu’à l’étranger. Une image sur laquelle semble d’ailleurs jouer les actuels dirigeants qui ont repris le logo d’origine de Fusalp: un coq sur un fond bleu, blanc et rouge. Pourtant, dans les faits, le pari du Made in France n’est pas encore gagné. «Nous avons repris le logo car c’est l’authenticité de la marque, son histoire, son héritage», explique Alexandre Fauvet. Si le directeur général se targue d’avoir rapatrié 50% de la production en Europe, majoritairement au Portugal ou encore en Italie, les autres 50% proviennent d’Asie, et de la Chine en particulier, où se trouve «un savoir-faire absolument remarquable», insiste ce dernier.

Car ce « savoir-faire » est selon lui l’un des principaux obstacles pour pouvoir augmenter la production en France, où la plupart des compétences textiles auraient disparu. «En ce qui concerne nos produits techniques, le savoir-faire, les machines, les usines, sont partis au début des années 1980. Nous essayons de nous développer en France mais ce sera dans la maille. Ce n’est pas exactement le cœur de notre métier qui est plutôt le chaîne et trame, du coupé-cousu, tandis que la maille ce sont des tricoteuses. Or, il reste des tricoteurs en France et nous travaillons avec l’un d’eux à Troyes». Pour l’instant, la marque mise donc davantage sur quelques pièces comme un jean 100% Made in France. Au risque peut-être de décevoir ceux qui se sentiraient flouer par la promesse de son logo…

Une présence en ligne « sélective »

À la reprise de la marque, la refonte du site Internet a naturellement fait partie des axes prioritaires de l’entreprise annécienne. Dans un contexte où les acteurs traditionnels doivent faire face à un marché en baisse depuis plus de dix ans, tandis que l’univers du prêt-à-porter continue à prendre de l’ampleur en ligne.

Fusalp a dû choisir une stratégie pour gérer sa présence en ligne, avec entre autres, comme objectif la nécessité d’accroître sa notoriété en France et surtout à l’étranger. Cela passe notamment par des partenariats.

«Notre premier client est un pure player. Il s’agit de Net-a-Porter», confie Alexandre Fauvet. «Le deuxième est un acteur anglais à la fois digital et brick-and-mortar qui s’appelle MatchesFashion». Ces partenaires l’aident donc a considérablement accroître sa portée. Pourtant, la marque a en revanche fait le choix de ne pas vendre sur une marketplace comme Amazon. «On se coupe d’un chiffre d’affaires ahurissant, peut-être que l’on pourrait le doubler en acceptant d’y être, mais nous nous sommes toujours refusés à le faire». La raison? «Nous souhaitons maîtriser notre destin», explique le directeur général. «Nous avons des critères de distribution sélective qui portent à la fois sur la présentation de nos collections, des vestiaires, l’excellence dans le service».

Côté communication digitale, Fusalp a fait le choix de ne pas passer par des influenceurs rémunérés. La marque cultive son image haut de gamme en égrenant sur sa page Instagram les photos de stars qui portent ses vêtements. Mais outre son ambassadeur officiel, le directeur général explique que ces dernières ne sont pas rémunérées.  La marque construit ainsi petit à petit son image et compte sur le réseau social 34 300 followers. « Sur Instagram a côté de nos concurrents nous avons peu de followers« , explique Alexandre Fauvet. « Cela pourrait être un levier un peu plus fort, mais nous élargissons tranquillement notre cercle d’ambassadeurs et d’amis« .

Aujourd’hui, le digital représente 15% du chiffre de Fusalp qui vise les 20% à termes. À voir si cette stratégie digitale très sélective lui permettra d’y parvenir, car l’ambition de l’entreprise est claire: «Nous espérons devenir une grande marque le plus tôt possible», déclare le directeur général qui rappelle que celle-ci double de chiffre d’affaires tous les deux ans depuis sa reprise.

D’ailleurs, en 2018, Fusalp a ouvert 12% de son capital à des investisseurs individuels qui lui permettent de s’entourer d’autres spécialistes du prêt-à-porter: Frédéric Biousse et Elie Kouby, les fondateurs d’Experienced Capital, Léopold Meyer, fondateur de Flora, Patrick Sayer, ex-dirigeant d’Eurazeo et Nicolas Houzé, directeur général des Galeries Lafayette.

Des opérations séduction lors de différents évènements, notamment de la Tech

Alexandre Fauvet est également un homme d’influence, très présent sur le terrain. Il n’hésite pas à développer des partenariats avec de nombreux évènements pour toucher son cœur de clientèle. Les organisateurs sont habillés en Fusalp, rien de mieux que de montrer le produit porté. Les Napoléons, Les sommets du digital, Le Cristal Festival…, sont autant d’occasions pour toucher une clientèle très CSP ++ sensible aux lignes modernes et aux valeurs de la marque. L’opportunité également de raconter l’aventure Fusalp et de faire vivre le renouveau de la marque lors de sessions inspirantes au cours de ces évènements, suivies d’un passage en showroom pour une vente privée.

La Chine comme tremplin

À l’heure des comptes de 2019, Fusalp devrait avoir dépassé les 30 millions d’euros pour cette année-là, contre 22 millions en 2018. Une jolie progression pour l’entreprise qui compte désormais 150 salariés et est présente dans 22 pays avec 5 filiales à l’étranger: en Corée, Chine, Norvège, Angleterre et Suisse. Au total, elle possède 45 points de vente. Son chiffre d’affaires se réalise aujourd’hui à deux tiers en France et un tiers à l’étranger avec pour ambition là aussi de parvenir à un équilibre de 50-50. Une proportion déjà atteinte pour la répartition des ventes entre hommes et femmes.

Un autre relais de croissance qui devrait encore permettre à la marque de décoller: l’Asie et en particulier la Chine. «Nous avons deux pop-up stores à Beijing et Shanghai. La Chine est une très grosse priorité. Nous espérons que ce sera notre deuxième marché mondial à horizon très rapide». Fusalp espère d’ailleurs que les Jeux Olympiques d’hiver de 2022 à Beijing serviront d’accélérateur naturel.

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