[DECODE] Revolut, de challenger bank à première FinTech européenne
Seulement quatre ans après sa création, la valorisation de Revolut pourrait bientôt atteindre les 10 milliards de dollars
- Le marché mondial des néobanques va progresser de presque 50% d’ici à 2026, selon différentes estimations. Il valait environ 18,6 milliards de dollars en 2018.
- L’Europe domine le secteur (devant l’Amérique du Nord) avec 40% des parts de marché. Le Royaume-Uni devrait continuer à dominer le marché européen dans les prochaines années.
- La FinTech britannique Revolut et ses pairs Monzo et Starling pourraient d’ailleurs tripler leur base d’utilisateurs dans les douze prochains mois.
- Revolut a signé depuis 2015 près de 8 millions de clients, qui détiennent chacun en moyenne 1 000 euros sur leur compte.
- La néobanque pourrait prochainement réunir 1,5 milliard de dollars pour enfin engager son déploiement mondial.
La FinTech britannique Revolut chercherait à lever 1,5 milliard de dollars (1,2 milliard de livres sterling). L’entreprise aurait sollicité les services de la banque d’investissement JP Morgan pour lever 500 millions de dollars en fonds propres et effectuer un emprunt convertible d’un milliard de dollars. Un tour de table déterminant pour consolider son positionnement face à un N26 qui fait croître sa valorisation, et qui porterait potentiellement la sienne à potentiellement 10 milliards de dollars. En près de quatre ans, Revolut passerait alors du statut de challenger bank à l’une des plus importantes FinTech au monde (et première FinTech européenne). Retour sur le parcours de l’entreprise fondée en 2015 à Londres par le Russo-Britannique Nikolay Storonsky (ancien forex trader chez Crédit suisse et Lehman Brothers) et l’Ukraino-Britannique Vlad Yatsenko (ancien développeur chez UBS et Deutsche Bank).
La gratuité, élément-clé de la stratégie d’un Revolut en quête de nouveaux clients
En juillet 2015, Revolut propose une application et une carte de débit pré-payée (MasterCard) qui permettent de retirer et transférer de l’argent dans différentes devises, mais aussi de payer à l’international sans avoir à subir les frais imposés par les banques traditionnelles (entre 3% et 6% par transaction). L’entreprise tâche de rester au plus près des taux interbancaires.
« Revolut a pour ambition de changer la manière dont l’argent est transféré, envoyé et dépensé dans le monde », annonce Nikolay Storonsky, qui a pensé à fonder Revolut quelques années plus tôt lorsqu’il en a eu assez de payer des centaines de livres en frais de transaction à l’étranger et sur les taux de change.
L’application et la carte de débit sont alors gratuites pour les utilisateurs, toute comme l’échange de devises, les transferts d’argent d’un compte Revolut à un autre et les retraits en banque. La banque mobile génère ses revenus en prenant une part sur la commission de MasterCard sur chaque transaction. La gratuité pour l’utilisateur fait alors partie de la stratégie de développement de Revolut, en quête de nouveaux clients. La startup prévient toutefois qu’elle pourra ajouter certains frais dans l’année qui vient.
Le lancement officiel de l’application et de la carte est accompagné par une levée en seed de 2,3 millions de dollars. Celle-ci est effectuée auprès de Balderton Capital et Seedcamp. A Londres, Revolut rivalise alors avec les services de transfert d’argent en peer-to-peer WorldRemit (fondé en 2010) et TransferWise (2011), mais aussi la plateforme bancaire en ligne Monzo (2015), par exemple. L’Irlandais CurrencyFair (2009) et l’Allemand N26 (2013) figurent aussi parmi ses concurrents européens directs.
Fin 2015, Revolut compte 55 000 utilisateurs actifs et affirme avoir géré plus de 140 millions de dollars de transactions. En comparaison, à cette époque, 70 000 personnes utilisent TransferWise, 1 500 personnes utilisent Monzo (en phase de test, 30 000 personnes inscrites), 100 000 personnes utilisent CurrencyFair, et 90 000 personnes utilisent N26. Début 2016, Index Ventures, Point Nine et différents business angels viennent étendre le tour d’amorçage de Revolut à 4,8 millions de dollars.
A l’été suivant, Balderton Capital mène une série A de 10 millions de dollars pour la startup. Seedcamp, Index Ventures et Point Nine participent de nouveau au financement et Ribbit Capital et Venrex rejoignent le pool d’investisseurs. Les clients de Revolut participent également à la levée via la plateforme d’equity crowdfunding Crowdcube. La startup, alors davantage dédiée aux grands voyageurs qu’aux personnes en recherche d’un service bancaire complet, compte désormais 200 000 clients actifs et la base d’utilisateurs grandit de 1 500 nouveaux comptes par jour. L’entreprise vaut autour de 55 millions de dollars.
Revolut a alors géré au total plus de 500 millions de dollars de transactions (près de 4 millions par jour) depuis son lancement. Son service de transfert fonctionne dans 23 devises, ce qui en fait un concurrent crédible face à TransferWise. Le business model évolue par ailleurs légèrement: des frais existent désormais sur les retraits de bancaires lorsqu’ils dépassent les 500 livres sterling (près de 640 dollars) par mois et sur les paiements lorsqu’ils dépassent les 5 000 livres sterling (près de 6 380 dollars) par mois.
Des services coûteux pour Revolut
A la rentrée 2016, Revolut compte 330 000 utilisateurs. La startup ne tarde pas à lancer une offre BtoB et empiète encore un peu plus sur le terrain de TransferWise, dont les paiements d’entreprise ont fait figure de priorité (à la même période, TransferWise songe également à lancer sa propre carte de paiement à destination des particuliers). Signe que la demande est au rendez-vous, plus de 2 000 entreprises se pré-inscrivent à la nouvelle offre de Revolut en seulement 24 heures.
« Les banques ne considèrent pas assez et surfacturent les entreprises. Il y a un manque de transparence, peu d’utilité et des coûts élevés quand il s’agit de paiements d’entreprises internationaux », argumente Revolut, se positionnant sur le même registre que TransferWise.
Revolut ne tarde pas non plus à envisager l‘ouverture d’un bureau dans un autre pays de l’Union européenne, en Lituanie plus précisément. Le Royaume-Uni vient de voter le Brexit et la FinTech de Nikolay Storonsky et Vlad Yatsenko aura un jour besoin d’une boîte aux lettres européenne pour pouvoir bénéficier d’une licence bancaire sur le continent. A noter qu’en plus de Londres, Revolut dispose déjà d’un bureau européen en Pologne, mais Vilnius, qui commence déjà à courtiser les FinTech européennes dans l’espoir de devenir le prochain grand hub du secteur, est préféré à Varsovie. Revolut ne s’installera officiellement en Lituanie que bien plus tard, en décembre 2018.
Fin 2016, Revolut rencontre ses premières grandes difficultés en se voyant contraint d’interrompre l’ouverture de nouveaux comptes pendant qu’elle opère un changement de licence. Ce contre-temps est dû à un désaccord avec Paysafe, son processeur de paiements. Celui-ci a découvert que nombre de cartes étaient envoyées en dehors de l’Espace économique européen, ce que la collaboration avec Paysafe ne permet pas. La startup cherche alors à obtenir sa propre licence auprès de MasterCard pour émettre les cartes elle-même. Dans l’attente de cette nouvelle licence et pour compenser le manque de nouveaux clients, Revolut en profite pour baisser le plafond de retraits gratuits de 500 à 200 livres sterling par mois. Tout retrait au-delà de cette limite coûtera 2% de plus à l’utilisateur. Les utilisateurs qui ont perdu leur carte devront aussi payer six livres pour la remplacer. Revolut décide aussi de faire payer les nouvelles cartes cinq livres.
« Certains des services que nous fournissons sont assez coûteux pour nous — notamment les retraits en distributeur », indique Revolut.
Quelques semaines plus tôt, le rival allemand N26 avait annoncé la fermeture de 160 000 comptes utilisateurs. La banque en ligne affirmait que la majorité des comptes concernés montraient des signes d’activité suspicieuse. Elle avouera aussi toutefois que certains clients utilisaient simplement son service trop souvent son service gratuit (entre 15 et 30 retraits par mois). Une fréquence d’utilisation non prévue par N26 et qui a fini par peser sur ses dépenses. La startup allemande n’apportera pas de modification à son business model, insistant qu’il faut d’abord, comme les autres néobanques, attirer les clients avec un service avantageux avant de leur vendre un autre produit payant.
Crédit, épargne, prêt, assurance, investissement, cryptomonnaies: Revolut diversifie son offre
Début 2017, Revolut lance les comptes courants, permettant ainsi à ses clients de disposer d’un Iban personnel. De portefeuille électronique mobile, Revolut fait un grand pas vers un modèle bancaire plus traditionnel. Les utilisateurs peuvent par exemple désormais recevoir leur salaire directement sur leur compte Revolut, qu’il s’agisse de livres sterling, de dollars ou d’euros. L’entreprise se met aussi à plancher sur des services de crédit, d’épargne, d’assurance voyage, ou encore d’investissement. La proposition de valeur de Revolut, qui compte alors 530 000 clients en Europe, prend ainsi une nouvelle forme: nous savons faire ce que font les banques traditionnelles, et plus encore. L’entreprise lance par exemple au même moment un chatbot pour la gestion de son service clientèle, ainsi qu’une fonctionnalité qui permet de diviser des paiements entre différentes personnes.
Peu après, Revolut étend encore davantage son offre bancaire et permet à ses utilisateurs d’effectuer des transferts peer-to-peer ultrarapides. Elle lance aussi, en collaboration avec Lending Works, une offre de crédit, à travers lequel les utilisateurs peuvent emprunter jusqu’à 5 000 livres sterling (plus de 6 000 dollars) en quelques minutes. Quelques semaines plus tôt, N26 avait lancé son propre service de crédit en Allemagne. Parmi les actionnaires de Revolut se trouvent désormais des personnages notables de la City: Ian Hannam, ancien de JP Morgan, Matthew Greenburgh, ancien de la RBS, Matthew Westerman, ancien de HSBC, de Goldman Sachs, de Rothschild et de Crédit suisse First Boston, ou encore Marc O’Brien, ancien de Visa.
La banque mobile londonienne fait part par la suite son intention de lever 4 millions de livres sterling sur la plateforme de crowdfunding Seedrs. C’est surtout l’occasion d’annoncer son offre Revolut Premium. A travers ce service sur abonnement à 6,99 livres (ou 8,50 dollars et 8,50 euros) par mois, les utilisateurs pourront effectuer un nombre illimité de transferts à travers l’application. Ils pourront également bénéficier d’un service d’assurance maladie global et d’un service clientèle spécifique. Revolut compte désormais 550 000 utilisateurs. La startup s’associe aussi à Tussle pour lancer une offre de prêts immobiliers aux Royaume-Uni.
A l’été 2017, Revolut étoffe son offre BtoB européenne « Revolut for Business ». Les entreprises peuvent désormais créer des comptes multi-devises, et y déposer et transférer de l’argent dans 25 monnaies différentes aux taux interbancaires. L’offre propose également des cartes corporate avec lesquelles les employés peuvent effectuer des achats internationaux sans frais, mais aussi des transferts entre entreprises instantanés et sans frais (à condition que les deux entreprises soient clientes de Revolut for Business). Peu avant, TransferWise avait lancé son propre produit « Borderless account ». Le rival de Revolut prévoit aussi de lancer sa propre carte.
En juillet, Index Ventures mène un tour de table de 66 millions de dollars pour le compte de Revolut. Ribbit Capital, Greyhound Capital et Balderton Capital participent à la série B. La levée en crowdfunding, qui atteint finalement 5,3 millions de dollars, vient s’ajouter au financement. Au total, la startup, qui compte désormais 700 000 utilisateurs, a désormais levé 83 millions de dollars depuis sa création deux ans plus tôt. Elle entend par ailleurs étoffer son offre avec des services de cryptomonnaies, mais aussi d’actions et d’obligations. Puis, l’entreprise trouve encore une nouvelle manière d’agrandir sa base d’utilisateurs avec le lancement au Royaume-Uni d’une service d’assurance de téléphones portables pour un prix inférieur à ceux des télécoms.
Plusieurs milliers de nouveaux clients par jour
Près de trois mois plus tard, tandis que Monzo vient de lever 93 millions de dollars et que N26 annonce son projet de s’étendre, comme Revolut, aux Etats-Unis en 2018, la startup de Nikolay Storonsky et Vlad Yatsenko lance officiellement sa demande de licence bancaire en Lituanie. En l’obtenant, elle bénéficiera d’un accès au passeport européen à destination des banques et pourra proposer ses services à travers l’Union européenne (UE) après le Brexit. Ce passeport signifie également que les comptes européens de Revolut seront protégés par le système européen d’assurance des dépôts, ce qui signifie que si Revolut met la clé sous la porte, l’UE couvrira les fonds des bientôt un million d’utilisateurs (et 16 000 comptes d’entreprise) et leur remboursera jusqu’à 100 000 euros chacun. L’entreprise en profite pour noter que, depuis sa création, elle a géré plus de 6 milliards de dollars de transactions et signe désormais entre 3 000 et 3 500 nouveaux clients par jour. Parmi le million de clients (dans 30 pays européens), plus de 500 000 se trouvent au Royaume-Uni, 150 000 en France, 60 000 dans les pays baltes et 50 000 en Allemagne et en Irlande.
Revolut annonce alors qu’elle vise 10 millions de clients en 2020. Pour ce faire, elle pourra notamment compter sur sa fonctionnalité d’échanges de cryptomonnaies (Bitcoin, Litecoin et Ether), lancée fin 2017 pour tenter de se différencier sur un marché des néobanques où chacun cherche son positionnement. Pendant la phase de test de la fonctionnalité, 10 000 personnes ont échangé 1 million de dollars en cryptomonnaies.
Revolut amorce son déploiement mondial
Début 2018 marque une période déterminante pour Revolut. La banque mobile signe d’abord un premier partenariat avec Visa à travers lequel elle délivre des cartes de la marque à tout nouveau client de l’offre standard prépayée. Elle fait ensuite part de son intention de s’étendre prochainement (en plus des Etats-Unis) en Asie-Pacifique, en commençant par la Nouvelle-Zélande, l’Australie, Singapour et le Japon. Mais elle annonce surtout qu’elle a dépassé le seuil de rentabilité au mois de décembre après un flot important de nouveaux utilisateurs (500 000 en deux mois). L’entreprise, qui compte désormais 1,5 millions de comptes (entre 6 000 et 8 000 nouveaux arrivants par jour en moyenne), a vu son volume de transactions augmenter de 700% à 1,8 milliards de dollars par mois, et vaut alors près de 400 millions de dollars. Cet équilibre des budgets réduit la dépendance de Revolut aux fonds d’investissement, mais les fondateurs n’excluent pas de nouveaux financements dans un futur proche.
C’est même chose faite en avril 2018, lorsque la startup britannique — qui vient de se positionner sur la sécurité en lançant des cartes virtuelles « jetables », et sur l’épargne en proposant Vaults, une fonctionnalité qui permet de mettre automatiquement de côté la « monnaie » issue de chaque transaction —, boucle une série C de 250 millions de dollars pour poursuivre de manière plus agressive sa stratégie de développement mondial. Elle prévoit d’utiliser ces fonds pour financer son expansion aux États-Unis, au Canada, à Singapour, à Hong Kong et en Australie, ainsi que pour le lancement de nouveaux services et produits (nouvelle carte en métal, ajout du Ripple et de Bitcoin Cash à son application d’échange de cryptomonnaies, app store Revolut Connect à destination des entreprises…). L’entreprise souhaite également passer de 350 à 800 employés à la fin de l’année en recrutant notamment des développeurs, ingénieurs et designers.
Un mois plus tôt, l’Allemand N26 (850 000 clients et 9 milliards d’euros de volume de volume de transactions), levait 160 millions pour financer son lancement aux Etats-Unis. Deux mois plus tôt, c’est le Français Orange Bank qui marquait le secteur des néobanques européennes en annonçant avoir attiré 100 000 clients en quatre mois. Le nouveau tour de table de Revolut est mené par DST Global et comprend de nouveaux et d’anciens investisseurs, dont Index Ventures et Ribbit Capital. Ce financement amène le montant total levé par l’entreprise à 340 millions de dollars. Elle atteint par la même occasion le statut de licorne avec une valorisation estimée à 1,7 milliard de dollars. Celle-ci a été multipliée par cinq en un an.
Peu après, Nikolay Storonsky annonce que Revolut pourrait demander à l’été une licence bancaire aux Etats-Unis, en Californie plus précisément. L’entreprise dispose déjà d’un bureau à New York, où elle emploie cinq personnes. Il s’agit non seulement de s’implanter plus profondément dans un marché immense pour faire exploser sa base d’utilisateurs, qui atteint désormais les 2 millions de personnes, mais surtout d’obtenir une licence bancaire unique lui permettant d’être active dans tout le pays (l’activité de transfert d’argent nécessite une approbation pour chaque état). C’est l’occasion également de solidifier son positionnement dans l’investissement avec le lancement à venir d’une plateforme de trading mondiale qui permet d’acheter et de vendre sans commissions des actions de sociétés cotées. Le volume de transactions mensuelles de Revolut atteint les 2 milliard de dollars et les utilisateurs effectuent tous les mois plus de 100 millions de transactions individuelles.
Revolut, cible potentielle de SoftBank
Alors que N26 empiète sur les terres d’origine de Revolut en lançant son service au Royaume-Uni à l’automne 2018, la néobanque londonienne, dont le nombre d’utilisateurs approche des 3 millions, obtient des licences de paiement à Singapour et au Japon lui permettant d’y proposer ses services de portefeuille électronique. Ses services bancaires y seront disponibles en 2019, promet l’entreprise. Mais on commence surtout à évoquer une série D de 500 millions de dollars menée par SoftBank et qui devrait être complétée début 2019 (ce ne sera pas le cas). Plus tôt dans l’année, SoftBank avait fait part de sa volonté d’investir près de 200 millions de dollars de son fonds de 100 milliards de dollars Vision Fund dans la FinTech. Revolut fait justement figure de cible potentielle: son grand lancement aux Etats-Unis est ralenti par des exigences réglementaires strictes et se révèle coûteux. Elle obtient de plus, enfin, sa licence bancaire en Lituanie: Revolut est de fait devenu une banque sur le territoire européen.
Début 2019, alors que la série D n’est toujours pas bouclée, le CEO Nikolay Storonsky dira dans une interview à propos de cette future méga-levée: « en réalité, nous n’avions pas besoin d’argent à ce moment-là et nous n’avons toujours pas besoin d’argent. Alors nous allons juste dire aux investisseurs, attendons le troisième ou quatrième trimestre, et alors nous pourrons regarder. Parce que oui, on nous pousse à obtenir plus d’argent, mais en réalité nous n’en avons pas besoin. Je préférerais atteindre une certaine taille ».
Plusieurs obstacles en 2019
Contrairement à la même période un an plus tôt, les premiers mois de 2019 ne sont pas tout roses pour Revolut: l’entreprise doit admettre qu’elle a « inventé » des données pour les slogans d’une campagne de publicité ; des témoignages accusent la direction de travail non-payé, d’objectifs irréalisables et d’un grand turnover des effectifs ; et, cerise sur le gâteau, le directeur financier Peter O’Higgins démissionne quelques jours après la publication d’un article du Daily Telegraph accusant la société d’avoir mis en pause « par erreur » son système anti-blanchiment d’argent pendant trois mois. Au total, des milliers de transactions auraient été effectuées entre juillet et septembre 2018 sans vérification de conformité. Dans une lettre rédigée à l’attention de la Financial Conduct Authority (FCA), l’instance de régulation du secteur financier britannique, mais jamais envoyée, Revolut aurait affirmé avoir désactivé certaines parties de son système de contrôle. L’entreprise aurait signalé près de 8 000 transactions légitimes comme frauduleuses. Revolut nie toute faute dans un post de blog, indiquant que l’entreprise avait simplement choisi de retourner vers un système de vérification antérieur et qu’aucune brèche de sécurité n’a eu lieu. L’évocation d’un tel incident, toutefois, n’a pas manqué de mettre en lumière l’importance critique pour les néobanques telles que Revolut de maintenir une croissance continue de leur base d’utilisateurs.
Au premier trimestre 2019, Revolut compte près de 4 millions d’utilisateurs. Ses lancements aux Etats-Unis et au Canada n’ont toujours pas eu lieu. Ils devaient initialement être opérés fin 2018. Mais, alors que l’entreprise lance une fonctionnalité d’échange automatique de cryptomonnaies et de monnaies fiat, son expansion asiatique commence à se concrétiser avec le recrutement d’Eddie Lee, ancien cadre d’Uber Eats, pour piloter les opérations Asie-Pacifique. Le marché devait accueillir Revolut au premier trimestre, mais son arrivée sera finalement retardée. Les 150 000 personnes sur liste d’attente pour ouvrir un compte chez Revolut en Asie-Pacifique et en Amérique du Nord devront encore attendre.
Après les lancements de la fonctionnalité Group Vaults et de l’option Apple Pay dans 16 marchés européens (12 autres suivront prochainement) — et alors que Monzo annonce ses projets de lancement aux Etats-Unis et que N26 s’apprête à atteindre une valorisation de 3,5 milliards de dollars après l’extension de sa série D —, Revolut lance une version beta en Australie. Il ne s’agit pas d’y obtenir une licence bancaire mais d’y déployer sa solution de carte prépayée. En parallèle, la néobanque (désormais 6 millions de clients) souhaite faire comprendre dans son marché d’origine britannique que ses ambitions vont bien plus loin que la carte prépayée et de son offre actuelle: Michael Sherwood, précédemment à la tête de Goldman Sachs Europe et figure proéminente de la City, rejoint au deuxième trimestre le conseil d’administration de la licorne britannique. Un président, Martin Gilbert, qui a récemment quitté Standard Life Aberdeen, serait en outre sur le point d’être nommé. Il s’agit principalement pour Revolut de renforcer ses liens avec les régulateurs.
En août, les recrutements à des postes-clés continuent: Wolfgang Bardorf, jusque-là global head of liquidity models & methodologies à la Deutsche Bank et ancien executive director in corporate treasury chez Goldman Sachs, remplace Peter O’Higgins comme CFO ; Stefan Wille, ex-senior vice-president of finance chez le rival N26 et corporate manager chez Credit Suisse, est nommé deputy-CFO ; et Philip Doyle, ancien head of financial crime chez ClearBank et fraud prevention manager chez Visa, devient director of financial crime risk. Puis, à la rentrée, pour s’adapter aux besoins de ses 6 millions de clients, l’entreprise annonce qu’elle va recruter 400 personnes pour son centre de service clientèle à Porto. Deux mois plut tôt, Revolut avait également ouvert un hub technologique à Berlin (80 recrutements). L’ouverture d’un autre hub technologique et de paiements, cette fois à Dublin, est par ailleurs considérée à partir de la rentrée 2019. La FinTech chercherait à y obtenir une licence d’établissement d’e-paiement. Elle vient surtout d’abandonner sa demande de licence au Luxembourg, où des débats viennent d’avoir lieu au Parlement sur la manière dont certaines FinTech contournent certaines lois nationales et internationales. En Irlande, la présence de la néobanque est renforcée peu après par la nomination de Joe Heneghan, ex-chief administrative officer de la Ulster Bank, en tant que CEO Irlande.
Visa et MasterCard se disputent Revolut, qui révèle des coûts d’acquisition élevés
Le mois dernier, Revolut remet son internationalisation sur le tapis avec l’annonce du recrutement de 3 500 nouveaux employés et une expansion dans 24 nouveaux marchés dans le cadre d’un accord avec Visa (75% de l’activité de Revolut doit alors être opérée avec Visa et les nouvelles cartes seront délivrées en partenariat avec Visa). Pour Visa, c’est l’occasion de progresser en termes de volume de transactions. La néobanque compte alors 8 millions de clients, qui détiennent chacun en moyenne 1 000 euros sur leur compte (le solde du dépôt total de Revolut est donc d’environ 8 milliards d’euros). L’extension de son alliance avec Visa lui permet de promettre (de nouveau) son arrivée aux Etats-Unis et à Singapour avant la fin de l’année, avant le Canada et le Japon. Mais elle lui donne surtout accès au premier réseau bancaire mondial. Revolut peut ainsi clairement se positionner face à un N26 qui compte 4 millions de clients. D’autant que, tout comme Revolut, Monzo et Starling Bank pourraient aussi voir leur base d’utilisateurs respective tripler dans les douze prochains mois, selon des estimations d’Accenture.
Début octobre 2019, Revolut révèle le prix élevé de cette stratégie de développement internationale agressive: ses pertes ont doublé en 2018. La banque mobile, qui n’est donc plus rentable, affirme avoir ainsi enregistré 40,3 millions de dollars de pertes, pour un un chiffre d’affaires de plus de 73 millions de dollars (+354%). Un an plus tôt, les pertes s’affichaient à 18,6 millions de dollars de pertes pour 16,8 millions de dollars de chiffre d’affaires (3,2 millions de dollars en 2016). Sur l‘année 2018, la marge brute a progressé en dépit de coût de ventes qui ont bondi de 247% en raison de frais liés aux systèmes de cartes, à l’expansion dans de nouveaux marchés et à l’acquisition clients. Revolut emploie aujourd’hui 1 300 personnes.
D’où la nécessité aujourd’hui de réunir 1,5 milliards de dollars pour maintenir cette courbe de croissance — Revolut vise 100 millions de clients d’ici à 2023 — tout en maintenant la concurrence à distance. Et pas seulement sur le segment des particuliers, car des néobanques spécialistes du BtoB jouissent de leur propre croissance, à l’instar de Qonto, Shine ou Manager.one en France. Et la réalisation du lancement aux Etats-Unis est primordiale: le prêt d’un milliard de dollars — qui pour rappel viendrait s’ajouter à 500 millions de dollars en émission de nouvelles actions — serait converti en actions sous condition que Revolut décroche une licence bancaire américaine. La levée ferait en outre entrer l’entreprise dans le prestigieux club des entreprises technologiques qui ont levé plus d’un milliard de dollars en un tour. Sa valorisation atteindrait alors entre 5 et 10 milliards de dollars, soit bien plus que celle de ses concurrents N26 (3,5 milliards de dollars), Monzo (2,2 milliards d’euros), ou Atom Bank (660 millions de dollars).
Quelques semaines après la signature de l’alliance avec Visa, Revolut donne un coup d’accélération à son arrivée prochaine aux Etats-Unis: la licorne annonce le 22 octobre qu’elle commencera à délivrer ses cartes aux Etats-Unis d’ici à la fin de l’année à travers un partenariat avec MasterCard (contraint de réagir face à Visa): Visa et MasterCard se disputent désormais Revolut. Dans le cadre de l’accord, MasterCard prendra en charge la moitié des cartes émises en Europe par Revolut, tandis que Visa en détiendra l’autre moitié. Outre-Atlantique, il s’agira aussi pour la FinTech de venir défier des acteurs de la banque traditionnelle tels que Bank of America ou JP Morgan Chase. Revolut aura également accès au réseau de 210 pays de MasterCard.
En 2020, Revolut devra trouver sa place dans le portefeuille des Américains
Que réserve le marché américain à la FinTech britannique? Elle devra en tout cas rivaliser avec des entreprises telles que Robinhood, qui propose comme Revolut une offre de courtage d’actions sans commissions. Elle devra également parvenir à se faire une place dans le portefeuille d’Américains qui détiennent souvent déjà plusieurs cartes de crédit. Mais, comme en Europe, si elle espère tenir sur le long-terme aux Etats-Unis et dans le reste du monde, elle devra surtout réussir à se positionner rapidement en tant que plateforme qui répond à tous les besoins financiers de ses clients.
Mise à jour du 24 octobre 2019: Revolut a annoncé jeudi son lancement officiel à Singapour, où elle compte déjà 30 000 clients, après une longue période de bêta-test. Les habitants de la cité-Etat n’auront pour l’instant accès qu’aux fonctionnalités de paiement de la néobanque.
Revolut: les données clés
Fondateurs: Nikolay Storonsky, Vlad Yatsenko
Création: 2015
Siège social: Londres
Effectifs: 1 300
Secteur: FinTech
Activité: application et carte de débit pré-payée, prélèvement bancaire
Concurrents: N26, Monzo, TransferWise, CurrencyFair, Orange Bank, Atom Bank, Robinhood, Starling
Financement: près de 837 millions de dollars levés auprès de Balderton Capital, Seedcamp, Index Ventures, Point Nine, Ribbit Capital, Venrex, Greyhound Capital, Future Fifty, Lakestar, DST Global, Global Founders Capital, Sprints Capital, Socii Capital, Draper Esprit + emprunt convertible d’un milliard de dollars
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