[DECODE] Sephora, la locomotive de LVMH dans la BeautyTech
Deuxième secteur le plus lucratif pour le groupe de luxe français, la distribution sélective a permis en 2018 d’engranger 13,6 milliards d’euros, dont une bonne partie provient de Sephora.
«Sephora est aujourd’hui le premier distributeur sélectif au monde de parfums et cosmétiques avec des magasins répartis sur une bonne partie de la planète en Asie, au Moyen-Orient, en Europe et aux États-Unis», assure le milliardaire Bernard Arnault, propriétaire et PDG de LVMH.
- Sephora dispose de plus de 2 500 points de vente dans 34 pays, qui proposent près de 15 000 produits issus de 300 marques.
- Aux États-Unis, son premier marché, Sephora compte près de 500 magasins en propre et environ 700 points de vente au sein des grands magasins JC Penney. Signe des ambitions de l’enseigne outre-Atlantique, elle a annoncé l’ouverture de 35 magasins dans 32 villes américaines en 2019, dont l’un dans le quartier à la mode des Hudson Yards à New York.
- Sephora US a pris une décision radicale en octobre 2017 : réunir ses équipes digitale et magasin sous une seule direction.
- 80,7% des ventes mondiales de produits de beauté et de soins personnels sont encore réalisées en magasin.
- Sephora a fait des États-Unis son laboratoire d’innovation pour adapter le modèle de ses magasins ainsi que ses gammes de produits aux codes du numérique. L’enseigne française a ainsi choisi San Francisco, en plein coeur de la Silicon Valley, pour implanter son «Sephora Innovation Lab» qui vise à transformer les magasins de la chaîne tricolore en lieux de vie tournés vers l’avenir.
- Autre corde à l’arc américain de la filiale de LVMH, l’incubateur de jeunes marques de cosmétiques Kendo est également basé à San Francisco. Lancée en 2010 par David Suliteanu, qui était alors le patron de Sephora outre-Atlantique, cette structure s’attèle à mettre sur orbite des marques développées autour d’une communauté en ligne, à l’image de Fenty Beauty, une gamme de produits cosmétiques conçue par la chanteuse Rihanna.
- De son expérience acquise aux États-Unis, Sephora en a ressorti en 2017 un nouveau concept de boutiques connectées baptisé «New Sephora Experience». Derrière ce nom, se cache la stratégie de Sephora pour créer des espaces plus intuitifs et ludiques pour les consommateurs.
Géant mondial du luxe, le groupe LVMH, propriété du milliardaire français Bernard Arnault, ne brille pas seulement grâce à son impressionnant portefeuille de marques (Louis Vuitton, Dior, Givenchy, Guerlain, Kenzo, Bulgari, Tag Heuer, Moët & Chandon, Veuve Clicquot, Hennessy…) dans les secteurs de la mode, de la maroquinerie, de la joaillerie ou encore des vins et spiritueux. Le mastodonte tricolore bénéficie également d’une bonne traction sur le segment de la distribution sélective, qui représente la deuxième activité de LVMH derrière la mode et la maroquinerie.
Aux côtés des grands magasins parisiens Le Bon Marché Rive Gauche, La Grande Épicerie et La Samaritaine, mythique « cathédrale du commerce» qui doit rouvrir ses portes en avril 2020, et de spécialistes du Travel Retail que sont Starboard Cruise Services et DFS, c’est surtout Sephora, chaîne de magasins spécialisée dans la vente de parfums et de produits cosmétiques, qui permet au groupe de luxe français de progresser dans ce secteur. Bernard Arnault n’avait d’ailleurs pas manqué de souligner les belles performances de l’enseigne, rachetée en 1997 par LVMH, lors de la présentation des résultats annuels de son groupe en début d’année. «Nous avons un succès mondial. C’est aujourd’hui le premier distributeur sélectif au monde de parfums et cosmétiques avec des magasins répartis sur une bonne partie de la planète en Asie, au Moyen-Orient, en Europe et aux États-Unis», avait ainsi déclaré le milliardaire français, qui est en passe de devenir la première fortune mondiale devant Bill Gates et Jeff Bezos après avoir passé la bague au doigt du joaillier américain Tiffany pour 14,7 milliards d’euros.
En 2018, LVMH a enregistré un chiffre d’affaires de 46,8 milliards d’euros, avec une progression des ventes de 10%. Deuxième secteur le plus lucratif pour le groupe de luxe français, la distribution sélective a permis d’engranger 13,6 milliards d’euros, dont une bonne partie provient de Sephora. La tendance est également à la hausse en 2019 puisque la distribution sélective a permis à LVMH de générer 10,5 milliards d’euros de revenus sur les neuf premiers mois de l’année. «Sephora enregistre une croissance soutenue de ses ventes et gagne des parts de marché dans tous les marchés clés. Les ventes en ligne continuent de progresser à un rythme élevé», notait ainsi le leader mondial du luxe. Cette belle forme de Sephora est à mettre au crédit de Christopher de Lapuente, qui dirige l’enseigne depuis 2011, date à laquelle il a succédé à Jacques Lévy, grand artisan du redressement de la filiale de LVMH. Preuve de la confiance que témoigne Bernard Arnault à l’égard de l’actuel PDG de Sephora, ce dernier supervise depuis 2015 toutes les maisons de parfums et cosmétiques de LMVH, à l’exception de Dior.
ATAWAD, le plan de bataille de Sephora dans le digital
Se revendiquant comme un pionnier omnicanal de la beauté, Sephora dispose de plus de 2 500 points de vente dans 34 pays, qui proposent près de 15 000 produits issus de 300 marques. Entre 2011 et 2018, l’enseigne a ouvert un millier de magasins supplémentaires à travers le monde, ce qui lui a permis de s’étendre dans 11 nouveaux pays. Et pour que cette expansion à l’international soit la plus efficace possible, Sephora a misé ces dernières années sur des magasins connectés, fers de lance de sa stratégie e-commere ATAWAD – At Any Time, Any Where on Any Device (à tout moment, en tout lieu et sur tout support) – pour développer une expérience client «sans couture».
Contrairement à des acteurs d’autres secteurs en France, comme les géants de la grande distribution qui se tournent désormais vers les GAFA pour accélérer leur transformation digitale, Sephora est une enseigne pionnière dans le phygital. Dès 2012, la chaîne de distribution de parfums et de cosmétiques a ainsi lancé l’application mobile «My Sephora» pour permettre à ses vendeurs et conseillers beauté en magasin d’avoir toutes les informations nécessaires sur leurs clients, notamment l’historique d’achat et les habitudes de consommation, de manière à proposer des produits, des offres ou même des conseils correspondant aux attentes et aux besoins des consommateurs. Une étape déterminante qui marquait le début de l’ère de l’hyper-personnalisation du retail avant l’heure. Pour l’anecdote, l’enseigne était déjà pionnière il y a vingt ans puisqu’elle a lancé son site web dès 1999.
Sephora, pionnier de l’approche phygitale
Mais pour attirer et fidéliser le client, il ne suffit pas seulement de donner aux vendeurs les moyens d’avoir une longueur d’avance sur les achats des consommateurs. Il faut également des magasins connectés, qui intègrent pléthore d’innovations digitales pour simplifier le parcours d’achat du client, sans pour autant opposer numérique et physique. Alors que nombre d’experts prédisaient il y a encore quelques années la disparition inévitable des points de vente au profit du commerce en ligne, l’offensive d’Amazon dans le monde physique a rebattu les cartes du marché.
Le géant américain a ainsi dévoilé en 2016 à Seattle, où se trouve le siège du groupe, Amazon Go, un concept d’épicerie high-tech où le client n’a plus besoin de passer à la caisse pour payer. Des caméras et des capteurs se chargent de comptabiliser les produits embarqués par le consommateur avant de débiter automatiquement le client sur son compte Amazon. Preuve des ambitions de la firme américaine en la matière, elle prévoit d’ouvrir jusqu’à 3 000 magasins sans caisse sur ce modèle d’ici 2021. Pour un secteur du retail que l’on disait au bord du gouffre, la renaissance n’en est que plus spectaculaire.
«Sephora US est plus avancé que Sephora France»
Sur le marché des parfums et des produits cosmétiques, c’est aux États-Unis que Sephora est rapidement allé puiser son inspiration. Arrivée sur le marché américain à l’été 1998, l’enseigne française a d’abord connu des débuts difficiles outre-Atlantique en raison de la défiance des grandes marques américaines à son égard qui voyaient dans Sephora un acteur européen susceptible de mettre à mal leur leadership. Sauf qu’entre-temps Amazon a pris son envol et l’appétit toujours plus grand du géant américain a fini par inquiéter les marques de luxe traditionnelles. Dans ce contexte, celles-ci continuent encore aujourd’hui de tenir tête à Amazon en refusant de vendre leurs produits sur la marketplace américaine, régulièrement accusée d’entretenir une relation autoritaire et déséquilibrée avec ses fournisseurs.
Après avoir fermé les portes d’Amazon à double tour, les marques de luxe se sont donc tournées vers les grandes chaînes de distribution de parfums et de cosmétiques. Et derrière les grandes chaînes américaines Ulta Beauty et Bath & Body Works, c’est désormais Sephora qui occupe la troisième marche du podium des magasins de beauté aux États-Unis. Mieux, le marché américain est aujourd’hui le premier de l’enseigne française dans le monde. Et ce n’est pas le fruit du hasard aux yeux de Laurence Faguer, fondatrice de Customer Insight et experte BeautyTech et Retail pour FrenchWeb : «Sephora US est plus avancé que Sephora France.» Aux États-Unis, Sephora compte près de 500 magasins en propre et environ 700 points de vente au sein des grands magasins JC Penney. Signe des ambitions de l’enseigne outre-Atlantique, elle a annoncé l’ouverture de 35 magasins dans 32 villes américaines en 2019, dont l’un dans le quartier à la mode des Hudson Yards à New York.
Fusion des équipes digital et magasin pour développer une approche commune
Partant du principe qu’une cliente multicanale a une valeur supérieure, étant donné qu’elle a un panier d’achat plus élevé, Sephora US a pris une décision radicale en octobre 2017 : réunir ses équipes digitale et magasin sous une seule direction. «C’est leur plus grosse innovation aux États-Unis», estime Laurence Faguer. En agissant de la sorte, l’enseigne française a rassemblé ses collaborateurs autour d’objectifs communs, de manière à ce qu’ils développent ensemble une vision cross-canal permettant de faire progresser Sephora aussi bien dans les magasins physiques qu’en ligne.
Cette approche s’est notamment matérialisée dans la transformation du retour d’un produit en magasin en un échange produit pour proposer autre chose qui pourrait plaire au client. «D’une expérience pas très appréciée par les équipes en magasin, Sephora en a fait un outil de fidélisation omnicanale. C’est une forme de marketing indirect», explique Laurence Faguer. En mutualisant ses ressources pour décupler sa force de vente, Sephora a en effet voulu mettre en place un modèle dans lequel chaque point de contact avec le consommateur doit constituer un levier pour attirer et surtout fidéliser le client.
«Chez Sephora US, deux clients sur trois n’achètent qu’en magasin»
Dans ce cadre, l’enseigne a tout à y gagner en diversifiant son activité en magasin. «Dans le secteur de la beauté, il y a beaucoup de produits et il est donc difficile de choisir. Assez logiquement, le client aime tester en magasin, mais il s’informe beaucoup sur le Web en amont», remarque Laurence Faguer. Et d’ajouter : «En moyenne, l’e-commerce sur le segment de la beauté ne représente que 10% des ventes totales. Chez Sephora US, deux clients sur trois n’achètent qu’en magasin. C’est donc une source de croissance exceptionnelle !» Et ce qui est vrai pour Sephora aux États-Unis l’est aussi pour le reste de l’industrie dans le reste du monde.
En effet, 80,7% des ventes mondiales de produits de beauté et de soins personnels sont encore réalisées en magasin, selon Coresight Research. Le segment de la vente en ligne est donc encore appelé à grossir. D’ailleurs, il s’agit du mode de distribution qui connaît la plus importante progression. La part de l’e-commerce est ainsi passée de 4,2% du marché mondial de la beauté en 2012 à 7,8% en 2017. Mais cette progression du commerce en ligne ne se poursuivra que si les magasins sont intégrés dans cette logique de développement numérique.
Une application mobile pour doper l’affluence des magasins
Sephora a bien compris cet impératif, non seulement en changeant la manière dont est mesurée l’activité en magasin, avec un chiffre d’affaires prenant en compte les clients en ligne dans la zone de chalandise autour des points de vente, mais aussi en plaçant le mobile au coeur de sa stratégie marketing pour doper l’affluence dans ses magasins. Pour créer une expérience plus engageante avec ses clients, Sephora a en effet développé une «in-store companion application». Conçue pour être une arme marketing redoutable, cette application mobile envoie régulièrement des notifications à ses utilisateurs pour les inciter à venir en magasin. Et dès lors qu’un client approche d’un magasin, c’est tout un processus personnalisé qui se met en place pour l’inviter à venir en boutique.
Pour y parvenir, Sephora s’appuie sur un dispositif de géo-tracking qui permet à l’enseigne de suivre le client à distance lorsqu’il se trouve à proximité d’un magasin. Ainsi, l’enseigne propose, à l’aide de notifications push, des réductions, des nouveautés, des ateliers tuto beauté ou d’autres événements qui vont se dérouler dans l’heure à venir dans le magasin le plus proche du client. Ces notifications sont déterminantes dans la stratégie de Sephora aux États-Unis puisqu’elles visent à rassembler ses clients autour d’événements dans ses boutiques, et ainsi à développer une communauté solide et durable avec ses clients les plus fidèles. Par ricochet, il s’agit de renforcer l’idée que Sephora est un acteur local proche de ses clients plutôt qu’un géant mondial à la proposition de valeur uniforme. Une stratégie menée par Calvin McDonald durant cinq ans outre-Atlantique, puis poursuivie depuis le début d’année par Jean-André Rougeot, qui était depuis douze ans aux manettes de Benefit Cosmetics, marque de maquillage détenue par LVMH.
Or un client satisfait et fidèle, c’est avant tout le meilleur des ambassadeurs pour une marque, car il est susceptible de promouvoir les produits de cette dernière auprès de son cercle proche, sans parler d’éventuels contenus publiés sur les réseaux sociaux qui pourraient encore davantage renforcer la force de frappe de marketing indirect de la marque. Lancée en 2010, l’application mobile de Sephora s’est ainsi dotée au gré des années et des avancées technologiques de services permettant d’améliorer l’expérience client avec à la clé un taux d’engagement décuplé.
L’enseigne s’est notamment distinguée avec le déploiement en 2016 de l’outil de réalité augmentée Virtual Artist, qui permet de tester virtuellement des milliers de couleurs de rouge à lèvres, et l’intégration en 2017 du «Digital Makeover Guide», véritable «Bible de la beauté made in Sephora» qui permet aux utilisateurs d’accéder à l’ensemble des produits référencés par l’enseigne. «L’idée, c’est de créer un compagnon beauté personnalisé pour les clients de Sephora», estime Laurence Faguer.
Cette application mobile se retrouve au centre de l’expérience client en magasin. Et pour cause, le smartphone des clients se transforme en panier d’idées qui peuvent à terme se convertir en achats. Par exemple, plutôt que de tester un parfum avec une bandelette puis l’oublier faute de le noter, les vendeurs scannent les produits testés dans l’application, de manière à ce que le client puisse retrouver la liste de ce qu’il a testé en magasin pour éventuellement les commander en ligne plus tard. «Aux États-Unis, ce ne sont pas de simples vendeurs dans les magasins de Sephora, ce sont de véritables conseillers beauté, avec une vraie personnalité, qui guident les clients. C’est très inclusif !», explique Laurence Faguer.
Sephora, un monde sans Amazon
Cette recette porte ses fruits puisque Sephora est aujourd’hui un acteur majeur de la scène BeautyTech outre-Atlantique, qui peut se payer le luxe de refuser Amazon. «Sephora est loin d’être un cas isolé», remarque Laurence Faguer, qui cite l’exemple de Nike qui vient de faire marche arrière concernant sa relation avec le distributeur américain. En effet, Sephora et Nike sont le symbole d’une nouvelle ère qui se dessine en matière d’e-commerce.
Conscients de l’importance de conserver un lien direct avec les consommateurs, les géants du standing de la chaîne de cosmétiques ou de l’équipementier sportif ont compris qu’il était indispensable de maîtriser les données de leurs clients pour mieux comprendre leurs habitudes de consommation et donc ce qui les pousse vers l’acte d’achat. Des données déterminantes qui permettent de mieux cerner les attentes des consommateurs pour leur adresser des offres personnalisées et développeurs de nouveaux produits et services correspondant à leurs attentes.
Cependant, si ces données sont dans le giron d’Amazon, le lien direct avec le client est rompu, et donc avec ses données. De plus, la vente de contrefaçons sur la marketplace américaine ne joue pas en faveur de cette dernière. En revanche, les enseignes de Sephora se frottent les mains car elles font office de gage de confiance auprès des grandes marques, mais pas seulement. «Sephora a noué des partenariats et propose des exclusivités avec des marques B2C, notamment des marques digital natives», indique Laurence Faguer.
Comme le secteur de la mode, celui de la beauté n’a pas échappé au phénomène des «Digitally Native Vertical Brands» (DNVB), ces marques nées en ligne qui déstabilisent les acteurs traditionnels du marché en supprimant tous les intermédiaires de la production à la distribution. Leur nombre explose, au point de complètement changer le visage du secteur. «Le rapport de force entre les grandes marques de beauté et les plus petites est complètement différent sur le Web et en magasin», notait Nielsen dès 2017. Ainsi, alors que les ventes de cosmétiques en magasin étaient dominées à 96% par les 20 plus grandes marques du secteur, ces dernières ne représentaient plus que 14% des transactions en ligne. Les 86% restants étant le fait des marques indépendantes, à savoir les «Indie Brands».
Sephora Innovation Lab et Kendo : les deux laboratoires d’innovation californiens
Confronté à une concurrence ardue, et principalement à celle de la chaîne américaine Ulta Beauty, son rival le plus sérieux outre-Atlantique qui a misé sur une stratégie de services beauté (coiffeurs, manucure…) pour enrichir son offre dans ses magasins, Sephora a fait des États-Unis son laboratoire d’innovation pour adapter le modèle de ses magasins ainsi que ses gammes de produits aux codes du numérique. L’enseigne française a ainsi choisi San Francisco, en plein coeur de la Silicon Valley, pour implanter son «Sephora Innovation Lab» qui vise à transformer les magasins de la chaîne tricolore en lieux de vie tournés vers l’avenir. Ce laboratoire californien est d’ailleurs à l’origine des ateliers de groupe et d’outils technologiques qui sont autant de leviers pour que les magasins de Sephora proposent des expériences permettant d’aller au-delà du simple achat d’un produit de beauté.
Autre corde à l’arc américain de la filiale de LVMH, l’incubateur de jeunes marques de cosmétiques Kendo est également basé à San Francisco. Lancée en 2010 par David Suliteanu, qui était alors le patron de Sephora outre-Atlantique, cette structure s’attèle à mettre sur orbite des marques développées autour d’une communauté en ligne, à l’image de Fenty Beauty, une gamme de produits cosmétiques conçue par la chanteuse Rihanna. Cette dernière a connu un succès immédiat à son lancement il y a deux ans en promouvant une vision inclusive et universelle de la beauté. Un manque de diversité souvent reproché aux acteurs classiques du marché.
Fenty Beauty a ainsi révolutionné la sphère beauté avec une première ligne de fonds de teint Pro Filt’r déclinée en une cinquantaine de teintes afin de répondre à tous les types de carnation. Une forme gagnante reprises depuis par d’autres entreprises du secteur. Fenty Beauty a ainsi été citée comme l’une des meilleures inventions de 2017 par le magazine Time. Pour sa première année complète, la marque a enregistré un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros. Cerise sur le gâteau, Fenty Beauty figure aujourd’hui dans le Top 5 des marques de beauté grand public les plus influentes du monde, à la lumière du classement établi par Forbes. Preuve que Kendo, l’incubateur de pépites cosmétiques de LVMH, a l’odorat bien développé pour détecter les marques les plus prometteuses.
Le «Beauty Hub» au coeur des magasins de Sephora en France
Une fois ces innovations développées et ces marques «bankable» identifiées aux États-Unis, encore faut-il les exporter en Europe et notamment en France pour adresser une clientèle encore plus large, mais culturellement différente. De son expérience acquise aux États-Unis, Sephora en a ressorti en 2017 un nouveau concept de boutiques connectées baptisé «New Sephora Experience».
Derrière ce nom, se cache la stratégie de Sephora pour créer des espaces plus intuitifs et ludiques pour les consommateurs. Entre la table d’animation «Made in Sephora», présentant les dernières tendances, des tutoriels et les nouveautés exclusives de Sephora, et le présentoir «Sephora Loves», qui met en avant les produits favoris de l’enseigne, les nouvelles marques et les produits emblématiques, c’est surtout le «Beauty Hub», au coeur du magasin, qui constitue la principale innovation, venue tout droit de San Francisco.
Cette sorte de «bar à beauté» propose toute une gamme d’outils et services à disposition du client pour l’aider à trouver de l’inspiration en matière de maquillage et lui délivrer des conseils beauté. Parmi les innovations technologiques proposées, on en retrouve plusieurs directement importées ou inspirées des États-Unis. C’est notamment le cas de l’outil de réalité augmentée Virtual Artist, pour tester sur iPad ou sur un miroir connecté des milliers de looks, et de l’application Color Profile, développée avec Pantone. Cette dernière, directement inspirée de Color IQ (outil permettant d’effectuer un scan de la couleur de votre peau et de vos lèvres pour connaître la couleur exacte de la peau de votre visage), aide le client à choisir précisément la nuance de fond de teint la plus adaptée à sa couleur de peau et son maquillage.
Dans ce «Beauty Hub», où il est possible de se faire maquiller gratuitement, Sephora a également pensé à la dimension communautaire avec un «Beauty Board», une plateforme communautaire pour liker, taguer les produits utilisés et partager ses looks sur les réseaux sociaux… et sur les écrans de la boutique. Toujours dans l’idée de développer une communauté via ses magasins, Sephora dispense des «Beauty Classes», c’est-à-dire des leçons et des ateliers de maquillage, dans le «Beauty Hub» en magasin. Des services de soin sont également proposés dans cet espace.
Une fois de plus, on retrouve cette logique de marketing indirect très efficace aux États-Unis. L’idée est en effet de proposer pléthore de services gratuits aux consommateurs pour les inciter à acheter presque naturellement des produits de beauté. «Avec la New Sephora Expérience, faire son shopping beauté devient un véritable jeu! », assurait l’enseigne française lors de la présentation de cette nouvelle approche phygitale pour ses magasins. Pour mettre en valeur l’expérience client proposée dans ses boutiques, Sephora a déployé des filtres Snapchat géolocalisés en fonction des temps forts de ses magasins français. Une manière pour Sephora de s’offrir une vitrine digitale à moindre coût, renforçant son image de parc de loisirs dédié à la beauté.
Les Champs-Élysées pour le prestige, La Défense pour l’innovation
Plutôt que d’être assimilé à un «Beauty Disneyland», la chaîne de distribution de parfums et de cosmétiques préfère comparer ses magasins à des «temples consacrés à la beauté». C’est notamment l’image que veut véhiculer Sephora avec son magasin emblématique des Champs-Élysées. Ouvert en 1995, ce vaisseau amiral de Sephora, qui s’étale sur 1 500 mètres carrés, fait figure de modèle pour les autres magasins du groupe. Véritable vitrine de LVMH pour démontrer son savoir-faire dans les parfums et les produits cosmétiques de luxe et grand public, ce magasin reprend l’ensemble des codes inscrits dans le cadre sa stratégie ATAWAD – At Any Time, Any Where on Any Device (à tout moment, en tout lieu et sur tout support).
Ainsi, l’immense flagship des Champs-Élysées propose l’ensemble des outils et services qui caractérisent la «New Sephora Expérience». De ce fait, Make-up Bar (maquillage), Nail Bar (manucure), Brow Bar (sourcils), Skincare Bar (soins de la peau), Gift Factory (customisation de l’emballage), ateliers beauté au quotidien (soin, maquillage, parfum…), atelier gravure (personnalisation des produits de beauté achetés) ou encore espace VIP Lounge (expérience de shopping haut de gamme qui peut aller jusqu’au personal shopper) sont proposés aux consommateurs qui franchissent le pallier du magasin.
A cette adresse prestigieuse sur «la plus belle avenue du monde», s’ajoute un autre vaisseau amiral, encore plus moderne et connecté, dans le centre commercial des Quatre Temps, à La Défense. Étalé sur près de 900 mètres carrés, le deuxième plus grand magasin français de Sephora après celui des Champs-Élysées a profité de sa rénovation pour faire évoluer son concept de boutiques connectées. Bien évidemment, le «Beauty Hub» constitue toujours le poumon du magasin, pour bénéficier de prestations de maquillage et de services de soin, mais l’apparition de nouveaux murs connectés permettent d’améliorer l’expérience client.
Sephora a ainsi créé le «Beauty Wall», un écran tactile sur lequel les clients peuvent chercher une marque ou service disponible en magasin, faire ses selfies ou même choisir la prochaine musique qui sera diffusée dans la boutique. Une manière pour Sephora de conjuguer l’aspect pratique et le côté ludique dans un même service pour impliquer davantage les clients dans la vie du magasin.
Si Sephora a toujours cultivé une image de chaîne de parfums et de produits cosmétiques de qualité mais accessible, elle n’en oublie pas pour autant de mettre en avant les joyaux de LVMH, en l’occurence Dior avec un «Fragrance Wall» qui permet de trouver le parfum idéal au sein de la gamme de la prestigieuse maison de LVMH grâce à un questionnaire rapide sur une tablette. Après avoir répondu aux questions, le visiteur verra alors deux parfums dans la vitrine s’illuminer qu’il pourra tester. Et ce dispositif pourrait bien faire germer dans l’esprit du client l’idée de demander l’un de ces parfums hauts de gamme pour Noël ou son anniversaire…
Que retenir ?
Avec son approche, développée et testée aux États-Unis, notamment avec son laboratoire d’innovation à San Francisco et l’incubateur de jeunes marques de cosmétiques Kendo, Sephora est devenu maître dans l’art de susciter un désir grandissant de convoitise dans l’esprit de ses clients. L’essentiel pour l’enseigne, c’est d’être un vivier infini d’idées de beauté pour les consommateurs. Jamais en les agressant, toujours en leur proposant une offre enrichie et gratuite en apparence.
Dans ce cadre, le numérique est une arme redoutable qui permet de tendre un hameçon, sous la forme de services et d’ateliers accessibles sans dégainer sa carte bleue, poussant le consommateur à s’intéresser aux produits proposés par Sephora, et donc à sortir son portefeuille. Cette recette gagnante a permis à Sephora de s’ériger en leader mondial de la distribution de produits cosmétiques, et de repousser la concurrence de Marionnaud et Nocibé en France dans un secteur de la beauté qui change totalement de visage avec le numérique depuis quelques années. Selon les données de Zion Market Research, le marché mondial des produits cosmétiques devrait peser près de 863 milliards de dollars en 2024, à raison d’une croissance moyenne d’un peu plus de 7% par an, alors qu’il pesait 532 milliards de dollars en 2017. Un poids colossal dont entend bien tirer profit LVMH avec Sephora et sa pléthore de marques haut de gamme.
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