
DEFENSE TECH: Le conflit ukrainien redéfinit l’armement tel qu’on le connaît
Alors que l’Europe réoriente manu militari ses investissements pour alimenter son industrie de défense à coups de milliards, une question s’impose : quels types d’armements voulons-nous produire ? Dans un contexte géopolitique tendu, le réflexe de relancer les chaînes classiques de munitions et de blindés lourds ne suffit plus. La guerre en Ukraine révèle une autre réalité : celle d’un champ de bataille régi par la vitesse d’adaptation, la résilience numérique et la capacité à produire localement, sous pression.
Sur le terrain, la supériorité ne dépend plus seulement de la puissance de feu, mais de la capacité à innover, décentraliser et faire évoluer le matériel en temps réel. Une génération de startups ukrainiennes, conçues pour la guerre et par la guerre, redéfinit les standards d’un armement désormais distribué, modulaire et évolutif.
Communications tactiques : l’exemple Himera
La startup Himera fournit déjà plus de 6 000 radios cryptées aux forces ukrainiennes. Produites localement, ces unités offrent une architecture décentralisée (Mesh/MANET), un chiffrement AES-256, une autonomie de 48 heures, et une compatibilité avec les systèmes occidentaux existants (Harris, Motorola). Surtout, elles sont conçues pour opérer sans infrastructure fixe, en zone brouillée, sous menace constante.
Himera illustre le virage doctrinal en cours : produire vite, en petites séries, adaptées au terrain, avec des cycles de retour-utilisation-optimisation de quelques semaines. L’entreprise prévoit d’intégrer prochainement un chiffrement post-quantique, en partenariat avec Quantropi. La cryptographie devient une arme autant qu’un bouclier.
Drones : la guerre des airs à bas coût
En parallèle, le ciel ukrainien est saturé de drones civils modifiés pour le combat. Des quadcopters transformés en kamikazes aux FPV à visée manuelle, chaque unité coûte quelques centaines d’euros, mais modifie l’équilibre tactique. La logique n’est plus de préserver les appareils, mais de les multiplier. La production est distribuée, les innovations sont directement issues des opérateurs de terrain.
L’unité militaire Aerorozvidka ou des ateliers de fabrication indépendants créent, testent et adaptent les drones en cycle court. Le drone n’est plus un programme d’État : c’est un consommable militaire.
Logiciels libres et guerre électronique
Cette dynamique dépasse le matériel. Le logiciel libre Kropyva, installé sur des tablettes Android, est devenu l’interface tactique de l’armée ukrainienne. Il permet le ciblage d’artillerie, l’intégration des données de drones et la coordination entre unités. Il remplace des systèmes industriels valant plusieurs millions.
En parallèle, des modules de brouillage GNSS ou des équipements anti-drones sont développés localement, avec une agilité incompatible avec les cycles d’approvisionnement traditionnels. Là encore, la logique est claire : produire ce qui est nécessaire, tout de suite, quitte à itérer en continu.
Vers une doctrine industrielle alternative
Cette approche remet en cause la doctrine occidentale de l’armement : conception centralisée, production longue, industrialisation lourde. Le modèle ukrainien repose sur l’agilité, l’interopérabilité, la scalabilité. Il donne un rôle stratégique à des entreprises technologiques, souvent issues du civil, capables d’adresser des besoins immédiats avec des solutions robustes.
Des acteurs européens comme Helsing, Spire, ou BlackSwan s’inspirent de ce modèle pour bâtir un écosystème de Defense Tech crédible. Mais ils partent avec un retard opérationnel : en Ukraine, les systèmes sont testés sur le front, pas en laboratoire.
Ce que révèle la guerre en Ukraine, ce n’est pas uniquement le retour du besoin de réarmement, mais la nécessité de redéfinir ce que l’on arme. Un armement plus léger, plus intelligent, plus intégré. Et une industrie de défense qui devra choisir entre produire en masse ce qui appartient au passé — ou accélérer la transition vers des capacités conçues pour les guerres de demain.
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