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Defense tech : parier sur l’élite n’assure pas la victoire

Hard Reset : pour en finir avec les mythes de la tech

La défense tech attire aujourd’hui l’attention fébrile (voire opportuniste) de nombreux investisseurs. Après les cryptomonnaies, l’intelligence artificielle et les climat tech, la spéculation s’étend au militaire. Partout en Europe et aux États-Unis, des fonds dédiés, des véhicules spécialisés et des startups se créent pour capter une portion des budgets en forte croissance. Les analystes avertissent déjà : seuls quelques élus survivront. Mais cette thèse, bien que fondée sur l’histoire industrielle de la defense, sous-estime plusieurs forces qui pourraient remodeler le paysage du secteur.

Le mythe d’une sélection ultra-réduite

Traditionnellement, la défense a toujours été un marché d’oligopoles. Les barrières à l’entrée — technologiques, institutionnelles, politiques — sont écrasantes. Les contrats, massifs et pluriannuels, exigent une fiabilité absolue et un alignement stratégique avec les États. Dans cet environnement, seules quelques startups par segment, par technologie et par région pouvent prétendre émerger.

Cependant, la dynamique actuelle ne reproduit pas exactement les cycles du passé et marque une rupture. La guerre en Ukraine a témoigne d’une mutation profonde avec des solutions conçues en quelques mois qui sont déjà opérationnelles sur le terrain. Drones, communications tactiques, guerre électronique : autant de domaines où l’adoption terrain a montré que la rigidité historique des acquisitions militaires pouvait être contournée en période d’urgence.

Le résultat est que plus d’acteurs pourraient atteindre un seuil de viabilité stratégique, sans nécessairement être des géants, mais en imposant des innovations critiques sur des niches tactiques.

L’accélération institutionnelle est réelle

L’idée selon laquelle les cycles de vente dans la défense resteraient immuablement lents est désormais rechallengé. Sous la pression géopolitique, les mécanismes d’acquisition évoluent. De nouveaux programmes accélérés voient le jour en Europe comme aux États-Unis. Des unités spécialisées émergent pour identifier, tester et intégrer rapidement les technologies de rupture.

Cette évolution ouvre la porte à des startups capables de répondre à des besoins tactiques immédiats, même sans passer par les longues procédures traditionnelles de marché public. La notion même de « prime au premier arrivé fiable » prend un nouveau poids stratégique.

Le capital opportuniste, facteur de déséquilibre utile

L’arrivée massive d’investisseurs extérieurs au secteur est perçue par beaucoup comme un risque d’inflation artificielle des valorisations. Pourtant, ce capital « touriste » pourrait jouer un rôle paradoxalement positif : en forçant l’afflux de moyens, il pousse les institutions et les industriels à ouvrir plus vite leur processus d’innovation et à se confronter à de nouvelles formes de compétition.

Dans un secteur historiquement verrouillé, cet afflux pourrait briser des inerties installées depuis des décennies. L’histoire du spatial commercial, bouleversé par l’arrivée de SpaceX, rappelle que parfois, l’impatience et la naïveté des outsiders génèrent des accélérations significatives.

Vers une fragmentation stratégique du marché

Plutôt qu’un petit cercle d’oligarques industriels, la défense-tech pourrait donner naissance à un écosystème fragmenté :

    • Des startups spécialisées sur des domaines très précis (capteurs, robots logistiques, guerre électronique) ;
    • Des entreprises duales, capables d’adresser à la fois les marchés civils et militaires ;
    • Des acteurs régionaux, alignés sur les spécificités opérationnelles de leurs forces armées locales.

Ce modèle hybride, entre concentration stratégique et diversité tactique, pourrait produire non pas quelques géants, mais une constellation d’entreprises intermédiaires, chacune critique sur sa verticale.

Quelle thèse peut-on développer à partir de là ?

Investir aujourd’hui dans la défense n’est ni un champ libre, ni une simple répétition des cycles et pratiques passés. C’est un nouveau pari où deux dynamiques s’affrontent : l’historique inertie institutionnelle et l’urgence de modernisation des forces combattantes qu’impose la menace géopolitique.

Parier uniquement sur quelques « gagnants évidents » pourrait s’avérer aussi risqué que de disperser sans discernement ses investissements. Bonne chance aux nouveaux entrants.

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