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Des différences fondamentales entre Américains et Français

FrenchWeb publie un extrait du livre David Fayon («Made in Silicon Valley, du numérique en Amérique», Pearson, 2017). 

 

La culture de l’entreprenariat

Les normes sociales sont plus ouvertes aux États-Unis (nouveauté favorablement accueillie, moins de formalisme en particulier sur la Côte Ouest, confiance accordée aux jeunes). Alors qu’en France jusqu’à une époque récente, la réussite se mesurait – en vertu du mérite et du talent – par le fait d’intégrer une grande école voire même un grand corps d’État – même si cela devient moins vrai du fait des quotas, aux États-Unis, c’est la culture de l’entreprenariat et du risque qui prime. L’Américain voit un échec comme une expérience et tout problème comme un challenge potentiel.

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Pour Paul Teyssier, qui a créé trois start-up en France, la vraie différence est culturelle: c’est la façon dont l’entrepreneur est perçu. Aux États-Unis et plus encore dans la Silicon Valley, devenir entrepreneur est normal. En France, c’est l’inverse: «Tu es entrepreneur? Ah, c’est que tu as perdu ton boulot…». Paul Teyssier ajoute: «En France, quand on a quitté le système standard des chemins tout tracés et lisibles, les RH et les managers ne savent pas dans quelle case nous mettre et ne peuvent nous inscrire dans aucun des schémas, alors qu’aux États-Unis, les prises de risque sont valorisées dans les grosses entreprises du fait des apprentissages acquis au sein d’une start-up. Le founder est en quelque sorte un titre de gloire ici.»

Par ailleurs, le système éducatif français pousse à l’excellence tandis que celui des États-Unis incite à la prise de risque. Par certains côtés (excellence qui a pour corollaire la qualité, système hérité des féodalités), il existe plus de points communs professionnellement entre les Français et les Japonais (précis, méticuleux, rigides avec des codes hiérarchiques) qu’entre les Français et les Américains.

Aux États-Unis, culturellement selon Tom de Google et en particulier dans la Silicon Valley, il existe une capacité d’exécution sans égale et qu’on ne trouve pas en France. À tous les niveaux, les décisions sont prises très rapidement et génèrent des résultats très vite. Il y a assez peu de baronnies, tout est «data or objective driven» et ne donne pas lieu à des débats philosophiques ou d’opinion sans fin. Les discussions se basent sur les données et les faits. Les structures sont plus agiles et rapides. La décision est exécutée rapidement, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Sinon il est possible de repartir sur de nouvelles bases mais tout ceci permet de donner de la clarté et de faire travailler chacun et chacune dans le même sens. Florian Hottier et beaucoup d’autres partagent ce point de vue: «En France, on passe trop de temps à discuter. Aux États-Unis, dès que la décision est annoncée, on y met les moyens et on fonce quel que soit le résultat. La réforme Obamacare ne pourrait pas arriver en France où l’on ne voit que des micro-réformes.» Il précise: «Aux États-Unis, l’objectif est aussi d’être le meilleur au-delà du profit. C’est la culture de la gagne qui se traduit parfaitement dans le monde de l’entreprise alors qu’en France, c’est Pierre de Coubertin et la simple participation.» Les Américains sont focalisés sur le but et y mettent les moyens nécessaires, c’est l’exécution avec les meilleurs hommes au bon moment et au bon endroit avec une notion de meilleurs pas figés dans le temps. Il est normal dans la culture américaine dans le cadre de l’exécution de laisser sa place de CEO et de se contenter d’un rôle de advisor ou de founder si cela est bon pour l’entreprise. La mission de l’entreprise et sa capacité à l’exécuter priment plus que la technique elle-même. Cette rapidité d’exécution fait également défaut au Japon, par exemple chez Sony où il y a comme en France beaucoup de réunions pour expliquer. Les Américains prennent parfois des décisions à l’emporte-pièce, à l’image du cow-boy qui sort son revolver.

La positive attitude

Dans les phrases ou les meetings, il existe une règle tacite: le fait de ne jamais dire ou écrire «but». Tout est possible et le côté positif est d’abord regardé. 

La culture canadienne est très proche de l’américaine. Ainsi Paul Napolitano, canadien résidant à Montréal, observe en comparant les médias français et canadiens qu’«en France, on se focalise plus sur le négatif (problèmes, erreurs) que sur le positif (réussites, avancées)». Cette façon de voir positivement les choses se traduit par des termes qui pourraient créer des sur-attentes en France. Ainsi lors d’un spectacle, on parle aux États-Unis de «performance». Lors des remerciements, les spectateurs qui ont assisté à l’«expérience» diront que c’était «amazing». Et pour tout travail, on obtient a minima un «good job»; ce qui impose, pour faire mieux que la moyenne, d’obtenir un «great job» ou «fantastic job».

L’humour est par ailleurs codifié. Toutes les cultures et différences sont acceptées dans le monde professionnel mais en retour les blagues qui feraient référence au sexe, à la condition de la femme, à la religion ou à des origines ethniques sont interdites. Dans les entretiens d’embauche, il est fortement déconseillé de poser des questions quant à la vie personnelle.

La relation de confiance

Dans la relation commerciale, l’interlocuteur aux États-Unis part avec un crédit de confiance a priori. En France, on part de zéro et la relation de confiance se construit au fur et à mesure. Julien Ott, CEO d’Appaloosa, souligne cette culture de confiance et du partage qui existe dès le départ pour les Américains. Elle se manifeste dans la liberté d’organiser son travail: peu importe la manière, que ce soit en télétravail ou autre, c’est le résultat qui compte. C’est également un avis partagé par Axelle de Nicolay pour le contact client chez Oracle où il existe une vraie liberté: possibilité d’utiliser Facebook, du moment que c’est bon pour le business. LinkedIn Sales Navigator est toutefois un outil précieux avec des prospects qui répondent plus facilement que via une adresse mail professionnelle. Il permet aussi de faire des requêtes intéressantes comme «les VP RH d’entreprises de plus de 500 salariés et en poste depuis plus d’un an dans la région de Denver».

Flexibilité du travail et valorisation des initiatives

Les Français sont connus aux États-Unis pour leur esprit critique et c’est pour cela qu’on en intègre quelques-uns dans les projets… 

Le licenciement est facile aux États-Unis («at will» est la règle), et l’entreprise peut se séparer de collaborateurs sans avoir à se justifier, ce qui rend aussi l’embauche moins risquée. Il n’y a pas de honte à quitter l’entreprise si elle n’a plus besoin de vous.

La culture du processus centrée sur la tâche et le caractère binaire de la culture américaine ont constitué un terrain favorable au fordisme et au taylorisme.

Au chômage, un cadre français recherchera un poste de niveau équivalent alors qu’un cadre américain pourra rechercher un poste de niveau inférieur, misant sur des résultats futurs lui permettant de progresser très rapidement dans la hiérarchie. Le marché du travail est à la fois plus fluide mais aussi plus dur aux États-Unis.

Le côté optimiste de l’Américain l’amène à voir ce qu’il a gagné dans le partage et la collaboration. Il est plus dans un «win-win» qui est le résultat de la conquête de l’Ouest, synonyme de liberté et d’abondance. Le Français pour sa part voit d’abord ce qu’il a à perdre.

Aux États-Unis, les employés des boîtes technologiques sont un peu plus rémunérés qu’en Europe car dans le salaire on paye la plus grande flexibilité du travail. «La règle de calcul est claire, on sait combien cela coûterait d’arrêter le projet» indique Christophe Apard. Cela génère une plus grande visibilité économique du projet même si c’est socialement dur. Le projet sur lequel on travaille aux États-Unis est choisi et potentiellement les personnes qui travailleront dessus seront plus engagées alors que la peur du changement est forte en France. Aux États-Unis, souligne Christophe Apard, «des personnes acceptent d’effectuer des petits boulots (laver une voiture, emballer des courses, etc.) pour ne pas être déconnectées de la vie du travail. Il y a beaucoup plus d’extrêmes». Le travail est vu comme un accomplissement personnel avec des possibilités de rebondir.

En France, si on a une idée de projet en dehors de sa fiche de poste et même si l’on fait parfaitement son travail cela peut nous être reproché. Aux États-Unis si un concepteur/développeur réalise un prototype innovant en complément de ce qui lui est demandé, c’est bien perçu. EBay par exemple encourage ses chercheurs à travailler en mode «out of the box». Jean-David Ruvini insiste sur la participation à des conférences, qui donne une visibilité, attire des chercheurs et a valeur de publicité. «Cela donne l’occasion de s’engager dans des collaborations avec le monde universitaire et permet de nous benchmarker avec la recherche universitaire, par exemple dans les domaines de la vision, de la reconnaissance vocale, du traitement du langage naturel.»

Grégory Pouy, expatrié à New York, s’est rendu compte qu’en France on ne doit surtout pas sortir du cadre notamment pour la prise de risque. Certes elle existe aussi en France, mais «la personne qui l’accomplit met en danger le reste du troupeau, est regardée parfois avec envie mais surtout moquerie pour décourager d’autres personnes à le faire. Cela se retrouve dans l’éducation, la politique et l’embauche des entrepreneurs jugés trop indépendants et moins recrutables». D’après lui, aux États-Unis, on n’est jamais jugés et on est encouragés à la prise de risque qui est au contraire inspirante. Les Français osent moins être entrepreneurs du fait des représailles sociales ou d’un parcours atypique qui en résulterait. Il souligne que les entrepreneurs étrangers sont également plus facilement admirés en France. Aux États-Unis, Grégory est venu chercher un boost d’énergie nullement financier – le coût de la santé, de la scolarisation sont par exemple très chers – mais culturel. Il estime qu’en dépit du nombre de créations d’entreprises qui progresse en France, il reste encore beaucoup à faire pour faire évoluer les mentalités et éviter un exil des talents en favorisant au contraire des réalisations qui bénéficient aux deux pays. Les entrepreneurs peuvent avoir des hauts et des bas mais aux États-Unis, il existe toujours des personnes pour stimuler et pousser à faire davantage.

La valorisation de l’expertise

C’est l’expertise acquise qui est valorisée aux États-Unis alors qu’en France c’est culturellement le management et c’est également le cas pour l’Inde où avec les systèmes de castes, la hiérarchie et la pression pour s’élever dans l’entreprise sont fortes. Ce n’est pas un hasard si les PDG de Google au sein d’Alphabet et de Microsoft sont d’origine indienne, respectivement Sundar Pichai et Satya Nadella. Et à un degré moindre, le CEO d’Adobe Systems, Shantanu Narayen, est également indien. Ils possèdent une facilité de gestion des hommes et une certaine convivialité. Sundar Pichai a rapidement gravi les échelons chez Google car il est très apprécié des équipes.

Les écarts-types sont saisissants aux États-Unis: pour les salaires avec l’absence de revenu minimum et des fortunes considérables; dans le fait de pratiquer du sport à l’extrême ou d’être oisif; dans le fait de pratiquer des régimes draconiens ou d’être obèse; dans l’alimentation saine et bio ou aux hormones, pesticides, etc. Et même dans la diversité du parc automobile, de la voiture de sport en passant par le SUV ou l’emblème type qui est le pick-up, héritier de la diligence ou de la carriole qui incarne la conquête de l’Ouest.

Sans réseau, point de salut!

Le réseau joue beaucoup plus aux États-Unis ainsi que les recommandations locales. Il est plus facile de contacter quelqu’un pour solliciter un rendez-vous mais avez un objectif précis. Il convient d’aller à l’essentiel, time is money. Reid Hoffman, fondateur de LinkedIn qu’il créa en 2003 en débauchant d’anciens collègues de chez PayPal, conseille d’aller voir les personnes les plus intelligentes que l’on connaît et de leur demander: «Parmi vos connaissances, qui pourrais-je rencontrer pour rendre service?» Il indique qu’«il ne faut pas que demander mais bâtir une relation, essayer aussi de donner». Ceci résume la philosophie américaine qui consiste à aller de l’avant, à oser, à aller à la rencontre des gens. Ceci est confirmé par Jean-Baptiste Rudelle: il estime que la culture ouverte et du networking permet un accès à beaucoup de gens facilement et que si l’on n’a pas de bonne introduction, il est difficile d’accéder aux personnes mais que cette mentalité unique est davantage propre à la Silicon Valley qu’au reste des États-Unis. Les événements de networking sont des investissements qui apportent beaucoup et offrent l’opportunité d’accroître très facilement son réseau.

La captation des talents

La stratégie américaine consiste à capter les talents et l’intelligence (une immigration choisie pour la création de valeur). Les Américains savent attirer les cerveaux et y mettre le prix en voyant cela comme un investissement; c’est là que réside leur vrai «soft power». En outre, Louis Pouzin indique que «la personne qui vient aux États-Unis a coûté en éducation à son pays. Elle part avec un capital de matière grise de son pays. C’est bien à titre personnel, mais du point de vue de l’économie mondial, c’est du vol». Laurent Guengant modère cependant ce propos: «Parmi les immigrés, il n’y a pas que des meilleurs talents, des MBA, des PhD. En regardant l’ensemble des catégories de personnes candidates pour la green card (persécutés, rapprochements familiaux) et quand on observe les administrations, on trouve des gens qui parlent peu américain. Cette opportunité crée une diversité et une richesse supplémentaire.» Le processus d’obtention d’un visa et l’intelligence économique sous-jacente semblent savamment organisés. Selon Frédéric Montagnon, soit les étrangers sont prêts à faire un travail que les Américains ne veulent pas faire, soit ils viennent créer de l’emploi. Les États-Unis sont un Hub et une plateforme d’influence mondiale et on est obligés dans la plupart des domaines de se tourner vers eux pour saisir l’opportunité d’une croissance internationale. 

MadeInSV_Couverture

 

Made in Silicon Valley, du numérique en Amérique

David Fayon

Pearson, 2017

256 pages

 

 

 

 

 

david-fayonDavid Fayon est consultant en transformation digitale et Web depuis la Silicon Valley pour des entreprises françaises et conférencier. Administrateur des postes télécommunications, il est parallèlement doctorant à Télécom ParisTech, où ses travaux portent sur la transformation digitale des banques. Il anime le blog davidfayon.fr.

Lire aussi: Ces différences de mentalité entre la France et les Etats-Unis

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