D’un @Cnnum à l’autre : trame de discours
Madame la Ministre,
Monsieur le Ministre,
Chers membres anciens et nouveaux,
Chers amis,
Voilà maintenant trois ans que le Président de la République nous a fait l’honneur de nous nommer au CNNum, cet « objet administratif non identifié » à la composition aussi diverse qu’atypique.
Je veux ici d’abord l’en remercier, ainsi que de son écoute.
Je profite aussi de cette occasion pour saluer et remercier Fleur Pellerin qui nous a littéralement portés sur les fonds baptismaux.
Je remercie également Axelle Lemaire de son soutien continue et la félicite du vote de la Loi Numérique.
Je remercie Emmanuel Macron, avec une mention spéciale, pour avoir été notre indéfectible allié lorsqu’il suivait directement ces sujets a l’Elysée et qu’il a tout naturellement continué d’être une fois nommé ministre.
Trois années durant lesquelles le CNNum est parvenu à s’imposer dans les paysages numériques français, européen et international. Chers amis, ce bilan a de quoi nous rendre fiers : en trois ans, ce sont près de 18 rapports et avis, une trentaine de journées contributives qui ont permis de faire bouger les lignes, à dépasser les clivages et à vaincre certaines inerties.
Un corps de doctrine cohérent sur le numérique
Nous avons été à l’origine de la Loi pour une République numérique où sont inscrits, désormais, des principes numériques fondamentaux tels que la Neutralité du net, la portabilité de données, l’auto-determination informationnelle, la loyauté des plateformes, etc. Qui aurait pu imaginer, il y a encore trois ans, que la France serait le premier grand pays au monde à inscrire la NetNeut dans son droit positif ?
De même, avons-nous su également nous faire entendre notre voix en Europe et en particulier auprès de la Commission Européenne : sans nos travaux, sans nos interactions à Bruxelles, la portabilité des données ne serait pas, aujourd’hui, dans le projet de règlement européen sur les données, et la loyauté, dans leur réflexion. Dans le champ de l’éducation, nous avons plus qu’amendé le «plan tablette» en convaincant le Président de la République, de généraliser enfin l’enseignement du code à l’Ecole.
Au delà, nos idées, concepts, travaux, ont trouvé un écho certain chez les décideurs politiques de tous bords, mais aussi, les citoyens, les associations, les écosystemes numériques. Pour cause : sur de nombreux sujets, nous avons su être précurseurs : de l’inclusion numérique à la loyauté en passant par les biens communs et la littératie numérique, nous avons nourri le débat d’idées, portés de nouveaux concepts et fait, je le crois, avancer la cause de la Révolution numérique. En cela, sur la forme comme sur le fond, je suis persuadé que les mandats futurs seront marqués durablement de notre empreinte.
Je me réjouis d’ores et déjà de voir les ultimes travaux sur l’Enseignement supérieur que nous avons engagés avec Thierry Mandon, repris par le nouveau CNNum.
Nous avons échoué sur les questions de sécurité dans un contexte terriblement défavorable qui, par ailleurs, semble échapper à tous… Affronter ces vents contraires ne fut pas chose facile. Mais nous avons réussi, dans cette tourmente, à garder intact notre crédibilité en défendant fièrement nos positions et à la marge à amender certains projets : je pense en particulier au renforcement des garanties de contrôles de la Loi sur le Renseignement ou ce sont bien nos amendements qui sont passés au Sénat.
Dans tous ces travaux qui ont balayé un spectre volontairement tres large et induit un rythme de travail soutenu tant pour les membres que pour le secrétariat général, nous avons tenté de construire une sorte de corps de doctrine cohérent comme socle possible, enfin, d’une stratégie numérique globale.
Une co-production avec les eco-systemes
Dans la méthode, nous avons également tenté d’innover, et faire participer les acteurs de la société qui, par nature sont déjà bien occupés, n’est pas chose aisée… il faut aller à leur rencontre, les solliciter, parfois les aider à formuler les problèmes et à construire des solutions possibles.
Ainsi, en ligne ou hors ligne, nous avons moins visé le grand public que les parties prenantes des écosystèmes numériques : les innovateurs en tous genres, les créateurs de start ups, les associatifs, les chercheurs, bref, ceux qui sont trop souvent les mal représentés de nos corps intermédiaires organisés ; comme je l’ai souvent dit : nous avons essayé d’être le lobby de ceux qui n’en ont pas.
Et cette démarche, je le crois, a fait notre force de persuasion : si les avis du CNNUm ont parfois convaincu, c’est qu’ils ne se limitaient pas aux idées de ses 30 membres, mais qu’il reflétait bien l’opinion, les idées de ceux qui construisent le monde de demain !
Je me réjouis de voir que, dans ce sillon, la consultation de la Loi Numérique portée par Axelle Lemaire a fait des émules puisque cette méthode devrait être généralisée pour la plupart des lois.
Je m’arrete la sur notre bilan. Il m’intéresse quand meme beaucoup moins que l’avenir…
Des sujets de vigilances que nous laissons en jachère
Je voudrais signaler au nouveau CNNum, comme à vous Madame et Monsieur le ministre qui nous faites l’honneur d’être ici, quelques chantiers laissés en jachère et qui me préoccupent particulièrement :
- Le text and data mining : le permettre, en l’inscrivant dans notre droit positif, me parait éminemment stratégique, avec l’open access, pour que la France prenne définitivement le virage de la Science Ouverte. Or, la voie contractuelle, dont je crains qu’elle ne finisse par être choisie, ne constitue pas un engagement stratégique durable. D’autres grands pays ont déjà fait ce choix. Le notre ne peut passer à coté sans un risque majeur de déclassement.
- Le suivi opérationnel de l’application des politiques publiques auxquelles nous avons contribué, me préoccupe également. Toutes les décisions gouvernementales, toutes les lois ne peuvent se prévaloir de voir leur décret quasi effectifs, comme c’est le cas avec la Loi Macron, puisque c’est que je lisais hier meme, dans les journaux. A cet égard, et pour avoir vu se succéder les annonces sur le numérique depuis 20 dans ce domaine, je pense que le plan Education numérique à l’Ecole, très ambitieux, mérite d’être accompagné au plus haut niveau de l’Etat.
- La régulation des médias sociaux : le durcissement et l’extension continus des sanctions judiciaires, notamment, sur les prises de paroles sur les médias sociaux, n’est pas une réponse satisfaisante. Et pourtant, le besoin de « pacifier” ces espaces de conversations devenus des lieux si essentiels au débat public, constitue un enjeu majeur a l’heure de la montée des populismes. Mais la dissuasion par la sanction judiciaire n’y fonctionne que pour les cas les plus graves, et encore. Je crois qu’il faut davantage explorer des réponses plus pédagogiques, infra judiciaires et intra plateformes, ou la menace de sanction frappe en réalité, la ou cela fait mal. Ce débat reviendra.
- L’Europe : Le remplacement du Safe Harbour qui constitue à mes yeux un “traité inégal » — comme en on faisait signer naguère à la Chine en pleine guerre de l’opium !-, devrait être l’occasion d’un rééquilibrage pour que l’Europe se dote d’une stratégie offensive en matière de données. La question de la souveraineté numérique progresse en Europe et en France comme l’a montré le débat sur l’OS Souverain. De cette prise de conscience, je me réjouis. Mais il faut désormais jouer le coup d’après, et nécessairement au niveau européen sur le définition de standards numérique, et notamment afin qu’ils soient ouverts. Il s’agit aussi d’une stratégie du faible au fort mais il s’agit également de bien plus que cela.
Je terminerai donc sur les communs.
Nous les avons pensés dans de nombreux avis et rapports. Mais nous avons échoué dans notre tentative, pourtant modeste, d’inscrire le domaine public de manière positive dans notre droit positif. Probablement avons nous commis une erreur stratégique et politique : il fallait assumer plus frontalement qu’il s’agissait d’une évolution majeure, d’une révolution en marche, que l’émergence des biens communs informationnels, en parallèle des biens communs naturels, dessinait les contours d’une société et d’une économie nouvelles, a coté du marché traditionnel, sans le remettre fondamentalement en cause, mais oui, en montrant qu’il serait probablement à terme, sur certains domaines, dépassé, remplacé, supplanté.
Je ne peux pas ne pas faire le lien avec les événements dramatiques qui nous ont endeuillés, encore une fois, hier.
Je reste comme vous tous frappé par ces images de Bruxelles en état de guerre, puis en état de choc. J’ai été ému en voyant se diffuser hier sur les médias sociaux, probablement l’avez vous vue, une image de Tintin avec une petite larme qui coule sur son visage…
Mais face à ces attaques, nous ne pouvons nous contenter de cérémonies fraternelles et de réponses sécuritaires, toutes deux nécessaires. Les bougies sur la place de la bourse, après celle de la République, comme la fermeture des frontières, les perquisitions et les bombardements, doivent être menés, mais ne dessinent aucun projet commun aux 500 millions d’européens visés par les terroristes, en particulier à cette jeunesse européenne en mal d’avenir et de grand dessein.
Monsieur le ministre, vous avez été l’un des rares hommes politiques à le pointer courageusement lors des attentats de décembre dernier.
Or, je ne serai probablement pas ce soir parmi vous si je n’avais été nourri de science-fiction : Asimov ou le film « wargames » m’ont donné envie, à 12 ans, d’avoir mon premier ordinateur. La force de la révolution numérique est indissociable de la puissance de son imaginaire.
Jamais, jamais, nous n’avons été autant en mesure, grâce au numérique, d’innover, d’imaginer puis de penser un monde nouveau et de le construire. C’est le destin historique des européens d’y trouver la réponse politique et l’élan social qui leur manquent cruellement aujourd’hui.
Mesdames et messieurs, la révolution numérique est en marche. Rien ne l’arrêtera. Mais nous seuls pouvons décider de la ou elle nous mènera.
Madame la ministre, Monsieur le ministre, je vous remercie de votre confiance.
Mesdames et messieurs les anciens membres du CNNum, je ne vous remercierai jamais assez, comme le secrétariat général, pour votre contribution, votre soutien, votre amitié.
Je souhaite bonne chance et bon courage au nouveau CNNum et son président qui a d’ores et déjà repris la flambeau avec dynamisme.
Benoît Thieulin
Article originellement publié sur Medium France : https://medium.com/@thieulin/d-un-cnnum-%C3%A0-l-autre-trame-de-discours-43933731979f#.vqlo282nb
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Merci Thieulin, merci. Tu restera dans l’Histoire comme le président
du CNNum qui était en fonction quand la société française a basculé dans
la surveillance de masse façon Orwell. Merci. Ton apport à la
démocratie est aussi précieux qu’un cancer colorectal.