E-administration et citoyens: l’autre choc de simplification
Les services en ligne des administrations françaises sont loin d’être des stars de l’ergonomie et de la cohérence. Quel en est l’impact pour les institutions et, surtout, pour les usagers-citoyens ? Comment se donner les moyens de penser l’e-administration de demain ?
Si notre société a désormais largement intégré le numérique dans ses pratiques, l’apparition des entreprises «uberisées», telles qu’Airbnb, Netflix ou BlaBlaCar, a fait émerger de nouveaux usages dans notre quotidien. Les citoyens ont ainsi pris l’habitude d’être entourés de services qui s’adaptent à leurs besoins, leur facilitent la vie, leur font gagner du temps, voire les divertissent. Ces services que nous consommons et que nous payons fonctionnent à merveille. Mais ils créent aussi de nouvelles exigences en termes d’ergonomie et d’expérience utilisateur.
La confrontation de ces nouveaux standards avec les services publics en ligne creuse l’écart entre l’administration et ses usagers. Elle contribue également à accroître les inégalités de manière plus large sur l’accès à l’emploi, à la formation ou aux politiques publiques. Des initiatives telles que «France Connect», portée par le SGMAP, sont salutaires car elles vont dans le sens d’une fluidification de l’expérience utilisateur, mais elles restent encore trop éparses.
Ainsi, il est urgent que les administrations publiques fassent de la question de leur accessibilité une priorité.
Un enjeu de confiance
Aujourd’hui encore, les services en ligne des administrations françaises sont trop souvent labyrinthiques et peu lisibles. La question de la navigation par l’usager n’est pas au centre de leur conception et l’expérience utilisateur n’est pas prise en compte en tant que tel.
Ce point n’est pas sans conséquence : si le design d’un site n’est pas pensé du point de vue de l’usager, c’est alors ce dernier qui doit s’adapter à la «logique» du site. Irritant mais sans conséquence pour un site lambda, ces enjeux sont autrement plus importants sur une application de service public.
Pour l’usager, cela donne une image diminuée du rôle et de la capacité qu’a l’État d’être en mesure de répondre à ses besoins. Il faut rappeler que le recours à des services de l’e-administration, dont l’offre est plutôt bien fournie en France, intervient souvent à des moments clés de la vie du citoyen : l’utilisateur a donc besoin d’un cadre rassurant, directif et clair qui lui facilite la tâche et le sécurise.
Un devoir d’inclusion
La question de l’accès aux services publics en ligne a aussi une dimension sociale. Au-delà du fait que le numérique n’est pas encore accessible à 100% des Français, la vraie fracture réside aujourd’hui dans la maîtrise des usages liés au numérique. Pour les citoyens peu familiers des usages numériques, nul doute que l’ergonomie, la sémantique et les éléments de navigation proposés constituent aussi des barrières à l’entrée. Par ailleurs, si les sites des administrations françaises sont complexes pour un grand nombre de personnes nées en France, comment peuvent-ils être accessibles à des publics qui ne maîtrisent pas la langue ou qui ne connaissent pas les procédures administratives ?
Dans son rapport d’octobre 2013 sur l’e-inclusion, le Conseil national du numérique soulignait l’importance d’harmoniser les sites d’accès aux services publics par des interfaces cohérentes. Depuis deux ans, les pays anglo-saxons l’ont bien compris et s’illustrent par leurs efforts pour repenser les offres de services publics et amener de la cohérence sur l’ensemble des interfaces. Aux États-Unis, l’agence gouvernementale 18F partage en open source les standards visuels et typographiques qui doivent être appliqués sur les sites du gouvernement fédéral américain pour permettre une expérience utilisateur homogène et agréable.
De la même manière, au Royaume-Uni, une charte de sept principes, «Digital by Default», a été définie pour simplifier le langage, les parcours d’usage et l’architecture de l’information. Le gouvernement britannique a également privilégié une logique «web first» pour encourager les ministères à revoir leurs sites, à créer des formats «responsive» dont les contenus s’adaptent à n’importe quel support (ordinateur, smartphone, tablette). À terme, cette approche permettrait de réaliser une économie d’environ 5 millions d’euros en quatre ans.
Penser utilisateur et écosystème
Pour gagner en efficacité, deux changements sont nécessaires dans la manière de concevoir l’e-administration.
Le premier est un changement de focale : de manière globale, tout service doit partir des besoins et de l’expérience de ses utilisateurs cibles pour être efficace. Ici, il s’agit donc de l’ensemble des citoyens susceptibles d’avoir recours à l’e-administration.
Analyser les besoins des utilisateurs permet d’avoir un site dont l’expérience est spécifiquement pensée pour apporter des réponses à ces besoins, qui peuvent être autant de points d’entrée simplifiés pour le service en question.
L’autre changement majeur dans la conception de ces services, c’est d’arriver à les concevoir non pas individuellement, mais davantage comme des écosystèmes de services. Il faut être en mesure d’assurer une continuité de services sur l’ensemble des points de contact qui seraient susceptibles de toucher l’utilisateur lors de son parcours.
Par exemple, ne serait-il pas plus simple de reprendre une démarche complexe là où on l’a laissée sur le site via un autre canal, et la finir lors d’un rendez-vous physique ou par téléphone ?
Diplômée de Sciences Po Bordeaux en 2008 et après une première expérience en Asie, Clarisse Moisand fonde, à son retour début 2011, WEDO Studios une agence de conseil en innovation et design d’expérience. Depuis sa création, WEDO Studios accompagne des grands groupes, start-up et organisations dans la conception, le développement et l’implémentation de projets innovants.
Passionnée par les sciences sociales et le numérique, Clarisse travaille sur les nouvelles stratégies globales d’innovation, qui allient le fonctionnel à l’émotionnel. Clarisse a participé à l’essor du «design thinking» et du «design de services» en France en tant que professeur à l’ESSEC Business School. Elle est régulièrement sollicitée pour intervenir lors de conférences spécialisées, en France et à l’étranger.
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