E-commerce: l’Inde sera-t-elle la Chine de demain ?
Le potentiel de l’e-commerce de la Chine n’est plus à prouver. L’un de ses principaux atouts: la taille de son marché intérieur. Mais en Asie, un autre grand pays bénéficie lui aussi d’un tel atout: l’Inde. Le pays de Gandhi a-t-il pour autant le même potentiel ?
Les levées de fonds se succèdent
L’Inde est « l’un des marchés qui connaît la plus forte croissance dans la zone Asie/Pacifique », avait déclaré Praveen Sengar, directeur de recherche au sein de Gartner lors de la parution d’une étude sur le sujet en octobre 2014. D’après ce document, le commerce en ligne y pèsera 6 milliards de dollars sur 2015, soit 70% de plus qu’en 2014. Soit à peu près ce qu’il pesait en France au début des années 2000.
Aussi, le conglomérat chinois Alibaba envisage déjà d’y placer des pions. Le groupe a fait savoir début avril qu’il souhaite racheter des e-commerçants indiens ayant déjà développé une large base de clients.
L’Américain Amazon aussi scrute l’Inde de près. Au lendemain de la levée de 1 milliard de dollars par l’Indien Flipkart, Jeff Bezos avait affirmé vouloir investir 2 milliards de dollars en Inde pour répondre à son concurrent. « L’Inde est sur le point de devenir (pour Amazon, ndlr) le pays le plus rapide à atteindre un milliard de dollars en ventes brutes », avait-il déclaré.
Flipkart fait partie des acteurs montants. Créé en 2007 par deux anciens d’Amazon, la société opère depuis Bangalore, la capitale technologique de l’Inde, aussi décrite comme sa Silicon Valley. A ses côté: Snapdeal, l’eBay indien. Il annonçait avoir levé 100 millions de dollars en mai 2014 et était alors valorisé 1 milliard de dollars selon le Wall Street Journal. La plate-forme – financée à deux reprises par eBay – revendique plus de 20 millions d’utilisateurs pour 6 000 marques présentes dans plus de 500 catégories. Lever 100 millions quand on est un opérateur de l’e-commerce indien n’est pas une exception. La place de marché généraliste ShopClues – qui référence aussi bien des pièces automobiles, que des shampoings, des livres ou des ordinateurs – a fait de même au mois de janvier 2015.
Le modèle chinois ne peut être copié-collé pour adresser l’Inde
Pour autant, les caractéristiques du marché indien sont différentes de celle du marché chinois.
« En Chine, la population est beaucoup plus urbaine et plus jeune, plus geek, et relativement peu sensible à l’élasticité prix. L’argumentaire d’Alibaba y est construit sur la possibilité d’un choix très diversifié et la rapidité de livraison. En valeur, le potentiel de consommation y est beaucoup plus important qu’en Inde », explique Jean-Joseph Boillot, conseiller pour les pays émergents au club du CEPII.
En Inde, la population a moins accès à des ordinateurs fixes. En revanche, les smartphones se sont multipliés comme des petits pains. Il y aurait jusqu’à 350 millions de smartphones en service dans ce pays et la 3G s’y est peu à peu généralisée. Des opérateurs télécom comme Airten y ont cassé les prix. D’ailleurs, 30% du trafic des sites d’e-commerce provient des mobiles, selon le cabinet Gartner.
Du coup, comme en Afrique, l’accès aux services Internet se fait d’abord via les terminaux mobiles plus que par les ordinateurs. La population étant plus pauvre qu’en Chine en moyenne et très peu salariée, le prix des produits a une grande importance. C’est pourquoi un géant comme Alibaba ne peut se contenter de décliner un modèle approuvé en Chine pour connaître le succès en Inde.
Il faut savoir s’adapter à deux contraintes: cet accès à Internet qui se fait surtout via les mobiles et le manque d’infrastructures logistiques. « Il n’y a pas de système d’adresse fiable », rappelle Jean-Joseph Boillot*. Il y a beaucoup plus de similarités entre l’Inde et l’Afrique qu’entre la Chine et l’Inde, estime-t-il. Pour cet observateur avisé, la solution c’est le paiement à la livraison (cash on delivery).
C’est le modèle déployé par Flipkart. Les consommateurs commandent des produits via leur téléphone puis paient la commande, frais de livraison inclus, au coursier qui vient la leur apporter. En effet, le paiement via smartphone n’est pas encore suffisamment développé pour prendre la suite du paiement par carte bancaire, dans un pays où toute la population est loin de jouir de telles commodités. Les coursiers sont des indépendants et le système repose sur la confiance.
Le boom de l’épicerie en ligne
Un segment du e-commerce se développe particulièrement en Inde: la livraison de produits d’épicerie. Des start-up comme LocalBanya, ZopNow ou PeperTap (qui vient de lever 10 millions de dollars) éditent des plates-formes de réservation des produits d’épicerie et s’engage sur une livraison à domicile en 30 à 90 minutes. Il existe également BigBasket, un site de produit d’épicerie qui propose à la fois le paiement en ligne et le paiement en espèces au moment de la livraison. « Cette société est valorisée 400 millions de dollars, c’est la plus grosse valorisation de ce secteur », estime Jean-Joseph Boillot. Elle a levé 32 millions de dollars en septembre 2014 et est présente dans de grandes agglomérations comme Delhi, Bangalore, Bombay, Chennai…
BigBasket joue sur les deux tableaux: la livraison de produits qu’elle a elle-même en stock et l’apport de clients à des épiceries d’un réseau de partenaires. En tant qu’apporteur d’affaires, le site prélève classiquement une commission sur les commandes délivrées par ses 1800 épiceries de quartier partenaires.
Un marché loin de la maturité
Reste que pour l’instant, l’essentiel du chiffre d’affaires généré par les ventes en ligne en Inde sont liés à des services de transport. Ce segment représente 71% du chiffre d’affaires généré et en valeur, a progressé de 32% entre 2009 et 2013 selon une étude publiée par Motilal Oswal en novembre dernier. Bien que celle-ci pointait l’émergence du couponing avec le succès grandissant de site comme Mydala.com, lancé en 2009, l’équivalent d’un Groupon, dont il ne faut pas oublier que le succès a décliné aussi rapidement qu’il n’avait émergé…
Au final, « les futurs gagnants de l’e-commerce de détail indien seront ceux qui joueront à la fois sur les ventes physiques et sur les ventes en lignes et non uniquement l’un ou l’autre » estime le cabinet PwC dans une étude portant sur l’évolution du commerce en ligne dans ce pays parue récemment. D’où le phénomène de concentration que l’on commence déjà à observer. Flipkart a par exemple racheté une ribambelle de sites – We Read, Mime360, Chakpak.com, Letsbuy. com et Myntra – afin de se renforcer sur différents segments et de dégager des synergies profitables. Ibibo a acquis Redbus.in en juin 2013, juste après que Zobi a mis la main sur Inkfruit.com.
Le futur dira qui réussira à prendre le leadership que ce soit dans le domaine généraliste ou dans des segments particuliers (transports, habillement, loisirs, alimentaire…). Au vu du potentiel, la bataille promet d’être épicée.
*Avec S. Dembinski, Jean-Joseph Boillot est co-auteur de « Chindiafrique: La Chine, l’Inde et l’Afrique feront le monde de demain », édité chez Odile Jacob et sortie en 2013.
- Frenchweb Day Commerce le 17 juin prochain
Pour participer à ces rencontres ;
I am surprised that there’s no mention of Paytm, which is funded by Alibaba.