Empowered : le manifeste du marketing (voire de l’économie) de service par Bertrand Duperrin
Je viens de finir la lecture d’Empowered de Josh Bernoff et Ted Schadler qui est en quelque sorte la suite de Groundswell qui avait connu un succès remarquable en son temps. Pour être honnête j’avais été relativement déçu par Groundswell. D’accord il s’agissait d’une photographie lucide de l’internet d’aujourd’hui, une photographie qui, soit dit en passant, devrait encore être regardée par de nombreux décideurs tant le décalage entre les usages du web et la compréhension qu’en ont un grand nombre de décideurs reste impressionnant. Mais au delà j’avais été déçu par les conclusions : bien sur il faut y aller, bien sur il y a des méthodes pour y arriver…mais ensuite ?
Et bien c’est justement la dimension nouvelle apportée par “Empowered” : on sort de la sympathique discussion sur le web pour rentrer dans le dur : le réalignement nécessaire de l’entreprise sur la satisfaction du besoin client. Le postulat de départ est simple mais indiscutable : devant un client qui peut agir, prendre la parole, suggérer, comparer et impacter, le cas échéant, la réputation de l’entreprise, il faut des employés capables de se battre avec les mêmes armes. Comprenez : utiliser ses outils, le rencontrer sur son terrain et prendre les initiatives qu’il convient pour le satisfaire. De plus en plus le client trouvera la réponse à son besoin dans une initiative individualisée et faite sur mesure d’un collaborateur plutôt que dans la réponse généraliste et standardisée d’une entreprise qui essaie d’avoir réponse à tout sans avoir à trouver une réponse pour chacun.
Encore faut il pour cela que le collaborateur en question ait envie de le faire, et que l’entreprise non seulement ne lui mettre pas les bâtons dans les roues mais, au contraire, le mette dans les meilleures dispositions pour y parvenir. Et là on commence à aborder des logiques de management et de gouvernance informatique, de manière lucide et pragmatique. Bien sur certaines suggestions vont mettre mal à l’aise quelques organisations ancrées dans leurs vieilles certitudes mais elles sont faites avec lucidité et sont argumentées. Il n’est pas question d’abandonner tout contrôle et laisser faire n’importe quoi mais de faciliter dans un cadre sécurisé, tant au niveau légal qu’au niveau de la sécurité informatique. D’ailleurs, et c’est un bémol salutaire apporté à une forme de pensée dominante on reconnait que le collaborateur qui agit ainsi puisse être un danger pour lui et l’entreprise et qu’il convient de gérer un certain nombre de risques. C’est le premier grand apport de ce livre : pour une fois on ne traite pas le marketing comme une bulle isolée mais on remonte plus haut à l’intérieur de l’organisation pour aligner toute la chaine. Et le livre regorge d’exemples, de conseils, de bonnes pratiques et de moyens de s’auto-évaluer et se comparer aux leaders de son secteur.
Second apport, qui découle du premier, la notion de service. Le marketing devient du service. Comprenez, plutôt que dire “ils sont beaux mes produits” on dit “que puis-je faire pour vous”. Bien sur cela s’applique aux clients acquis pour qu’ils le restent et prêchent la bonne parole, mais cela a également valeur d’exemplarité pour ceux qui se demandent s’ils vont le devenir. Tiens d’ailleurs certains l’avaient déjà compris et d’autres pas. Et si je reprend mon autre cas fictif, Airsocial serait une compagnie qui “empower” ses salariés au contraire d’AirShy. Après le débat reste d’ouvert de savoir si le service se substitue au marketing ou si le marketing apprend le service.
Suffisamment de raisons pour se procurer un ouvrage qui pour une fois aborde la relation client autrement que sous l’angle du brassage de vent bon enfant en vase clos.
Maintenant cela nous amène à réfléchir sur pas mal de choses. Le postulat est qu’il existe dans l’entreprise des HERO (Highly Empowered and Ressourceful Operatives), ou plutôt des personnes qui ont la volonté de le devenir et qu’il faut aider dans cette démarche, pas sur celui que tout le monde est potentiellement un HERO, ce qui est une vision réaliste. Il envisage donc une relation entre le client et le HERO, lequel HERO doit être soutenu par le management, l’IT etc… Mais il est évident que le HERO peut avoir besoin de ses collègues qui eux ne sont pas HERO…ils veulent juste faire leur travail comme on leur a dit de le faire, sans prendre de risque et sans en faire plus. Que faire dans ce cas ? La conclusion non écrite de Empowered est que le service ne concerne pas que le client, mais chacun a vocation a devenir un client interne, aidé par des collègues “empoweré” et qu’au final, la notion de collaboration même à l’intérieur de l’entreprise risque d’être remplacée par celle de service.
Il y a quelques temps John Chambers parlait (entre autres) de “everything as a service”. Nous y voilà et “Empowered” pose, indirectement, la première brique de la notion d’économie du service. Pas comme on la comprend depuis 30 ans, mais comme elle devrait être.
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Crédit Photo: Benjamin Boccas