En entreprise, fini les largesses avec le télétravail
Par Adrien VICENTE / AFP
Retour de bâton: plus de trois ans après l’apparition massive du télétravail en entreprise, l’heure est au recadrage, certains groupes sonnant même un retour plus large en présentiel, au nom de la « productivité » et du sens du collectif.
Depuis le 14 novembre, les salariés de Groupama Immobilier reviennent travailler tous les jours au bureau, à la Défense.
La filiale immobilière de l’assureur teste pour trois mois ce retour au monde d’avant la crise du Covid, après avoir instauré, comme la majorité des entreprises concernées, deux jours de télétravail par semaine.
« On a un effectif de 130 collaborateurs, il y en a 30 qui ont rejoint l’entreprise depuis 2020 et qui n’ont jamais connu le présentiel +full time+ (à 100%, NDLR) », justifie auprès de l’AFP le directeur général, Eric Donnet. « Pour eux, ça va être l’expérimentation de ce qu’ont connu les collègues par le passé. Ils nous prennent pour des dinosaures! »
« On traverse une crise immobilière », souligne-t-il, « et quand on traverse une crise, il est difficile de se serrer les coudes par Teams », outil de visioconférence très courant en entreprise.
Groupama dans son ensemble « va être sensible au retour d’expérience » de cette filiale, ajoute-t-il. « On va voir si le retour en présentiel a un effet sur la productivité ou pas. »
– « Petit rétropédalage » –
« Ce qui se joue aujourd’hui, c’est un gros débat sur la notion de productivité », confirme Flore Pradère, directrice recherche et prospective bureaux chez le spécialiste de l’immobilier d’entreprise JLL, qui a mené deux études à l’échelle internationale sur l’articulation télétravail-bureau.
« Au départ, on s’est dit: formidable gain de temps, (on va) optimiser l’espace, les gens vont pouvoir travailler plus et peut-être qu’on va économiser des mètres carrés. » Désormais, « il y a un petit rétropédalage, où on se dit: quid de la transversalité, du sentiment d’appartenance, de la collaboration entre les équipes et des capacités à innover? », explique-t-elle à l’AFP.
Au niveau mondial, 87% des entreprises interrogées par JLL imposent un retour au bureau au moins une partie du temps, un tiers ont mis en place une obligation de présence certains jours.
Pour Emmanuelle Lavignac, secrétaire nationale de l’Ugict-CGT (cadres), « il y a une +offensive+ patronale tout d’un coup sur la soi-disant productivité ou efficacité des télétravailleurs », mais en réalité « rien de précis » pour attester d’une baisse. En France, « très peu de gens sont en total télétravail », mais plutôt en travail hybride avec « en moyenne 1 ou 2 jours » télétravaillés par semaine.
Le télétravail, très fréquent chez les cadres – en France, 52% d’entre eux ont télétravaillé au moins un jour par semaine en 2022, selon l’Insee, contre 19% toutes catégories de salariés confondues -, s’est largement imposé à la faveur de la pandémie, avec une multiplication des accords d’entreprise régulant la pratique.
– « Open bar » –
Même si les employeurs « n’ont pas encore dénoncé d’accords » ou renégocié à la baisse, « on a plutôt des remontées que les directions d’entreprise seraient intéressées à diminuer » le recours au télétravail, confie Jean-François Foucard, chargé des questions d’emploi au syndicat des cadres CFE-CGC.
Logique pour Benoît Serre, vice-président de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH): les accords signés en 2020 sont « triennaux, donc on entre dans une phase de renégociation ».
« Le télétravail est apparu brutalement sous l’effet de la crise Covid dans un système qui était un peu +open bar+ », dit-il. « Des boîtes qui ont décidé de réguler, de faire en sorte que les gens ne puissent pas choisir librement quand ils viennent et quand ils ne viennent pas, ou d’interdire certains vendredis, ça, il y en a de plus en plus. »
« Les remontées de terrain, c’est plutôt que dans certaines entreprises, les accords n’étaient pas tellement respectés, c’est-à-dire que les gens faisaient plus de télétravail que permis », rapporte Jean-François Foucard. Dorénavant, « on essaie d’appliquer les règles », mais « le télétravail est considéré par les salariés comme un acquis, donc revenir dessus » peut être un « irritant », prévient-il.
« Ça va être compliqué de revenir en arrière », abonde la responsable de l’Ugict-CGT.
« On ne peut pas imaginer un monde où il n’y aurait plus de télétravail », tranche Flore Pradère. Chaque entreprise « va trouver son curseur », et « il y a fort à parier que ce sera un à deux jours dans 80 à 90% des cas ».
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