En trois mois et avec 130 euros, ils ont inventé une main bionique intelligente pour les populations défavorisées
Je vais vous raconter cette belle histoire. Mais je vais d’abord vous dire autre chose avant. Prenez donc un peu temps. Vous verrez,vaut le coup. Ça fait du bien après…
C’est la deuxième année que je participe au jury du programme Fablabs solidaires de la Fondation Orange. Je le fais bénévolement. Vous pourriez vous en étonner: après tout, ce n’est que du «green washing» comme on dit.
Les fondations sont la bonne conscience des grands groupes qui gagnent beaucoup d’argent. Ok, sans doute. D’ailleurs c’est vrai, aucun média ne parle de ce que fait la fondation Orange. Je comprends. Et c’est sans doute sain.
Mais moi j’y participe depuis plus d’un an. Et j’ai envie d’en parler.
Parce que les histoires que je découvre chaque année sont juste super belles. Et parce que je crois dans la force des histoires. Dans leur capacité à nous inspirer. La Fondation Orange n’est peut-être qu’un investissement marketing, vu de loin. Ok.
Mais ce n’est pas comme ça que le vit sa secrétaire générale, Brigitte Audy, qui a su animer, partout dans monde, un réseau généreux de femmes et hommes que les valeurs humaines rassemblent. Des personnages hors du commun,en Afrique, en Inde, en France…
Je les vois toujours sourire. Et souvent danser au milieu des repas. Parce que la vie ressemble un peu à ça quand des cultures différentes se rassemblent le bien commun.
Ce n’est pas comme ça non plus que le vivent les bénévoles, salariés d’Orange, qui s’y impliquent. Bénévolement donc.
Et ce n’est pas comme ça que le vivent tous ces jeunes qui ont trouvé, grâce à ces financements, l’énergie de sortir de leur enfermement social. L’énergie de se dire que tout est possible.
C’est donc la deuxième année que j’ai la chance de rencontrer ces jeunes du monde entier, issus des quartiers les plus défavorisés, ou des pays les plus pauvres. Que je les vois se battre comme des fous pour inventer des outils utiles à leur communauté.
Par exemple, jeudi dernier, lors de la remise annuelle des prix des fablabs solidaires, à Marseille, j’ai discuté avec un jeune de 14 ans, Lélo, originaire d’Albi. Il était peu introverti au début, par habitude sûrement, puis de plus en plus locace. Il a participé, avec d’autres, à l’invention et à la production d’une prothèse fait avec des bouts de tuyaux, qui permet aux handicapés de jouer au badminton avec des valides. Un système super simple auquel personne n’avait pensé.
En fait, cela fait des années que cet adolescent incompris dessine ses inventions dans son carnet, et qu’il essaie de les fabriquer chez lui avec des trucs électroniques récupérés dans des poubelles. Pas le genre de choses qui t’aideront à passer le bac. Surtout si tu ne sais pas en parler.
L’arrivée du Fablab solidaire a changé sa vie. C’est devenu sa deuxième maison. J’ai eu le sentiment qu’il avait enfin trouvé un lieu où on le comprenait. Combien sont-ils, ces ados comme Lélo, qui échouent à l’école ou en société parce que personne ne comprend ce qui les anime?
Mais c’est une autre histoire que je voudrais vous raconter. Je voudrais vous parler de ces 8 jeunes malgaches super gentils, super humbles, qui ont conçu et produit une main bionique pour les handicapés.
Vous allez me dire: ok, mais la NASA l’a déjà fait.
Oui.
Oui mais bon.
Parmi ces 8 jeunes, 6 ne connaissaient rien à l’électronique et étaient en échec scolaire.
Et puis le projet n’a coûté que 130 euros. 130 euros. Une main bionique.
Elle a été conçu et réalisé en moins de trois mois par ces jeunes malgaches dont personne ne sait vraiment où se trouve leur île.
La main bionique n’est pas sortie de leur cerveau. Elle est née dans un Fablab. C’est-à-dire un de ces lieux inventés par le MIT, où l’on peut créer des tas de chose innovantes avec des outils modernes de base.
Le Fablab solidaire Mamiratra, à Antanarivo, à Madagascar, a été créé en 2015. En fait, durant deux ans, il ne s’est presque rien passé. La fondation Orange commençait d’ailleurs à s’inquiéter. Mais il fallait ce temps là. Il fallait prendre le temps d’installer ce lieu d’innovation improbable dans un environnement d’une extrême pauvreté.
Cette année, ce fablab que tout monde avait presque remisé aux oubliettes, a surpris tout le monde. Et n’a pas fini de le faire.
Il y a trois mois, le Fablab malgache a décidé de participer à la compétition lancée chaque année par Orange. Cette compétition s’appelle «I Make 4 My City». Ce qui veut dire, en gros: «Je fabrique pour ma ville». Et le thème de cette année, c’était le sport.
«On a brainstormé pendant un mois pour trouver une idée», raconte Yves-Eric, 25 ans, ingénieur, l’un des initiateurs du projet.
L’idée c’était de créer une main bionique pour jouer à la pétanque quand on n’a pas de bras, ou pas de main. Rien que ça. Le genre de trucs sur lesquels travaillent la Nasa à coups de millions de dollars. Et avec les meilleurs ingénieursL
Il faut savoir que la pétanque, c’est un peu le sport national à Madagascar. Les malgaches sont même devenus les meilleurs pétanqueurs du monde. Je le dis parce que suis marseillais et que, bon, je comprends les Malgaches. C’est un sport de dignité. Quand mon grand-père jouait, il bloquait la rue.
La pétanque c’est la reprise de contrôle de son temps. Contre le monde. Mais passons…
«Comme c’était impossible, on a travaillé jour et nuit.»
Il faut savoir aussi qu’une main bionique, c’est juste un truc super sophistiqué. Et très cher.
Pas non plus le genre d’invention que tu imaginerais à Madagascar, encore moins pour permettre à des handicapés de jouer à la pétanque. Sauf que la pétanque là bas c’est super important. Presque plus qu’à Marseille.
Quand ils se sont mis enfin mis d’accord sur leur idée. Il ne leur restait évidemment que deux mois avant le vote du jury. Enorme pression! Imaginez: à part Andrianjafy, informaticien de 35 ans et Yves-Eric, personne ne connaissait rien à la robotique. C’était juste impossible.
Yves-Eric confirme en souriant: «C’était impossible, oui».
Mais il ajoute: «Alors comme c’était impossible, on a travaillé jour et nuit.»
9000 heures de travail. Pour apprendre d’abord, puis fabriquer. Les 6 jeunes de l’équipe, dont une fille, avaient 22 ans. Tous en décrochage scolaire, ils ont été formés aux joies de l’électronique sur le tas. Pas le choix. Il restait deux mois.
En deux mois, le prototype qu’ils ont produit est juste incroyable. Au début, il fonctionnait grâce aux batteries des téléphones d’Yves-Eric et d’Andrianjafy.
Toutes les autres pièces de cette main articulée ont été imprimées avec une imprimante 3D. Mais ce n’est pas juste une prothèse. C’est une main intelligente. Qui sait jouer à la pétanque.
Si vous connaissez la pétanque, vous savez peut-être que tirer ou pointer ce n’est pas du tout la même chose. La main bionique a donc deux positions: tirer ou pointer. Que l’on choisit d’abord sur ce boitier en bois.
Ensuite, des algorithmes permettent de déterminer l’angle et la vitesse en fonction de ce que l’on veut faire. Pour que la main lâche la boule au bon moment.
Parce que la main dispose de capteurs, qui déclenchent la fermeture des doigts autour de la boule quand on la met dans la main. Et elle se libère automatiquement quand on la lance. D’où l’importance des algorithmes. Il y a visiblement encore des réglages à faire sur ce point.
Mais bon. Tout ça en trois mois. Avec des trucs de récupération, de la résine imprimée en 3D, et du bois découpé au laser.
Et 130 euros donc. Une main bionique. Demandez à la NASA combien ça a coûté. Forcément, la leur est beaucoup plus perfectionnée. Mais là, ça marche. Ça permet de jouer au sport national. A Madagascar c’est déjà énorme.
En France, une main bionique coûte 70.000€. Donc en France, s’offrir une main bionique c’est déjà juste impossible. Alors imaginez à Madagascar.
Jusqu’à aujourd’hui.
Le projet de Madagascar a remporté le prix du public cette année, remis par Christine Albanel.
Ils ont gagné 15 000 euros.
Et ils savent très bien ce qu’ils vont en faire: «Le but c’est de permettre à cette main bionique de faire d’autres choses que simplement jouer à la pétanque.»
Et après? Ils vont la vendre et devenir riches «Non, non. On veut juste que les gens puissent la fabriquer eux-mêmes.»
Voilà.
Alors moi je sais pas. Vous pouvez continuer à dire que ce que fait la fondation Orange, c’est du «green washing». Moi ce que je vois, c’est des jeunes Malgaches qui inventent en 3 mois une main bionique pour 130 euros avec des jeunes en échec scolaire. Et dont le projet est de permettre à chacun de se la fabriquer.
Ce que je vois, c’est que les solutions se trouvent aussi dans la bienveillance. Souvent chez ceux qui n’ont plus rien. A tel point que rien c’est déjà énorme.
On oublie trop souvent que l’on n’est vraiment riche que de ses idées et de sa détermination. Et que la créativité nait souvent de l’adversité.
Dans ce monde en crise totale, investir dans la solidarité, c’est investir dans l’avenir. Si la fondation Orange n’avait pas laissé à ce fablab le temps de se constituer, je ne serais pas là pour vous raconter cette histoire. Pour vous décrire la fierté mais aussi l’incroyable force dans les yeux de cette équipe. Laisser le temps.
Il y a quelques années, alors que je partais quelques jours en Inde pour la première fois, l’économiste Navi Radjou m’a dit: «Allez visiter les villages, pas les villes. L’innovation, vous la trouverez dans les villages». L’énergie est là.
Alors allez visiter la Silicon Valley, oui. Mais allez aussi visiter les villages d’Afrique, d’Inde, des îles. Allez dans les banlieues. L’inventivité est infinie. Et elle n’a pas de frontières. Que tu sois né dans un village en Afrique, dans la cage d’escalier de ta cité, que tu viennes d’un groupe de migrants ou d’une famille aisée dans le 15e. Que tu n’aies jamais atteint le bac, ni même l’école, où que, au contraire, tes parents aient eu les moyens de t’envoyer en stage à la Nasa, personne ne sait qui, à la fin sera le héros. La fondation Orange forge ces héros oubliés du monde. Yves-Eric et Andrianjafy sont les héros du monde de demain.
Benoît Raphaël est expert en innovation digitale et média, blogueur et entrepreneur.
Il est à l'origine de nombreux médias à succès sur Internet: Le Post.fr (groupe Le Monde), Le Plus de l'Obs, Le Lab d'Europe 1.
Benoît est également cofondateur de Trendsboard et du média robot Flint.
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