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Épisode 1 – Revitaliser le retail : du digital et des hommes

Par Fabien Giuliani, Doctorant en prospective chez Conservatoire National des Arts et Métiers

Si le retail non alimentaire fut le premier segment de la distribution fortement impacté par le digital, la distribution alimentaire a été épargnée en raison de ses fortes spécificités. Néanmoins, tous deux sont confrontés aujourd’hui à une problématique similaire : celui de la baisse d’attractivité des points de vente physique. Cette année, le Paris Retail Week, (10-12/09/2018) a mis à l’honneur le Smart Phygital, annoncé comme véritable révolution et solution à la problématique de dévitalisation des commerces. Bien que prometteuse, cette vague d’innovation ne constituera qu’un aspect du renouvellement de l’expérience utilisateur.

À travers cette trilogie, j’explore le renouvellement de la proposition de valeur de la grande distribution alimentaire. Le premier acte s’attache à illustrer l’impact sur les points de vente de la concurrence entre offres physique et digitale. Le second montre comment phygitalisation et recontextualisation concourent à la revitalisation du retail physique. Le dernier étudie les modalités d’une articulation harmonieuse des deux canaux à travers l’étude du cas de Casino.

Acte 1 – Comment le digital a dévitalisé les points de vente physiques

Contrairement aux secteurs de la finance (néobanques, fintechs), des transports (Uber, Blablacar) ou de la location de courte durée (Airbnb), l’irruption du digital n’a pas signifié de rupture majeure pour le secteur français de la grande distribution. La concurrence de cybermarchés comme Houra n’y fut jamais qu’anecdotique, et les principales évolutions (commande en ligne, drive) furent impulsées par les grandes enseignes elles-mêmes, qui y entreprirent des manœuvres davantage guidées par l’opportunisme stratégique que par une véritable vision digitale. La Fédération du E-commerce et de la Vente À Distance estime que le e-commerce comptait en 2017 pour 9% du commerce alimentaire de détail en France.

Cannibalisation numérique

L’ouverture de ce canal a provoqué une guerre des prix entre des distributeurs soucieux de se tailler la part du lion online, guerre des prix dont les principales victimes furent les points de vente physiques… et les marges commerciales. L’approche des principales enseignes de distribution alimentaire françaises consiste en une déclinaison multicanale de l’offre : des références identiques, proposées à la fois en magasin et en ligne, mais à des conditions de disponibilités et à des tarifs différenciés. Les consommateurs en quête de bonnes affaires se précipitent donc sur l’offre en ligne : le chiffre d’affaires de la distribution alimentaire physique et digitale n’a ainsi augmenté que de 2% en 2017 là où celui du e-commerce alimentaire a bondi de 11%. Cette cannibalisation du retail physique par le canal digital voit les consommateurs s’orienter progressivement vers l’enlèvement de listes de courses précommandées, faisant le succès des drives dont le chiffre d’affaire était évalué à 4,9 milliards d’euros en 2017, dont 3,8 milliards réalisés sur les seuls segments alimentaires et boissons.

Outre la force de l’habitude et une absence d’alternative en zone rurale, les consommateurs ne sont guère incités à se déplacer en grande surface pour y effectuer des achats majoritairement récurrents. Selon Kantar Worlpanel, la part de marché du e-commerce sur les produits de grande consommation et le frais libre-service s’envolera ainsi de 5,8% en 2017 à 11% en 2025. Les offres digitales escamotent l’ensemble des irritants inhérents à l’expérience des grandes surfaces (déplacements, attentes, limitation des moyens de paiement, etc.) tout en jouissant de ses atouts : la mise à disposition d’une gamme étendue de produit et des informations qui leurs sont associées (composition, quantité, label qualité, allergènes, etc.). Dans le même temps, les pure players concentrés sur certains segments non alimentaires (électroménager, activités d’extérieur, bricolage etc.) s’adjugent eux-aussi des parts de marché croissantes au détriment des généralistes.

De l’avantage d’être disrupté

À l’analyse, il semble que la nature des compétences-clés du marché de la distribution alimentaire (négociation avec un écosystème de fournisseurs, maitrise logistique, maitrise de la chaîne du froid…) ait préservé les distributeurs de la concurrence des acteurs numériques, mais les ait privé en contrepartie des effets roboratifs du risque de disruption, propre à stimuler le renouvellement de l’offre. La digitalisation frileuse du retail alimentaire a fait passer au second plan la nécessité d’un aggiornamento de la proposition de valeur des points de vente physique. Si des services digitaux sont bel et bien déployés en magasins, ceux-ci ne visent qu’à simplifier ou automatiser certaines étapes (fluidifier la phase de paiement par exemple), sans susciter de nouveaux usages. L’alternative se donne ainsi : exploiter le filon du modèle de distribution « product centric » hérité du XXème siècle en jouant le jeu de la concurrence par les prix, ou inventer une proposition de valeur « user centric » fondée sur la capaciter à susciter une expérience.

Cette seconde option, que nous explorerons dans l’Acte 2, présente l’avantage de s’appuyer sur le levier numérique pour fidéliser le consommateur sans s’adonner au moins-disant.

Le contributeur :

Conférencier et doctorant en science de gestion, Fabien Giuliani étudie le lien entre veille stratégique et prospective. Ses travaux de recherche visent en particulier à mettre en lumière les utilisations de l’intelligence artificielle dans le domaine de l’intelligence économique.

Fondateur du cabinet Demain la Veille, il conseille les entreprises en termes de stratégie de transformation digitale et de gestion de l’information stratégique. Les mutations liées à l’économie digitale sont sa thématique de prédilection.

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