Épisode 2 – Revitaliser le retail : du digital et des hommes
Par Fabien Giuliani, Doctorant en prospective chez Conservatoire National des Arts et Métiers
Si le retail non alimentaire fut le premier segment de la distribution fortement impacté par le digital, la distribution alimentaire a été épargné en raison de ses fortes spécificités. Tous deux sont affrontés aujourd’hui à une problématique similaire : celui de la baisse d’attractivité des points de vente physique. Cette année, le Paris Retail Week, (10-12/09/2018) a mis à l’honneur le Smart Phygital, annoncé comme véritable révolution et solution à la problématique de dévitalisation des commerces. Bien que prometteuse, cette vague d’innovation ne constituera qu’un aspect du renouvellement de l’expérience utilisateur.
À travers cette trilogie, j’explore le renouvellement de la proposition de valeur de la grande distribution alimentaire. Le premier acte s’attache à illustrer l’impact sur les points de vente de la concurrence entre offres physique et digitale. Le second montre comment phygitalisation et recontextualisation concourent à la revitalisation du retail physique. Le dernier étudie les modalités d’une articulation harmonieuse des deux canaux à travers l’étude du cas de Casino.
Acte 2Apple-converted-space »> – Phygitalisation et Chaleur Humaine as a Service : évolutions du point de vente physique
Si le multicanal conduit les retailers à une forme d’impasse, la digitalisation ne saurait condamner leur modèle d’affaire. Le déploiement de stratégies omnicanales intégrées, visant à différencier les propositions de valeurs et les expériences utilisateurs, semble une alternative prometteuse aux propositions actuelles, à l’ère ou mondes physique et digital se confondent.
L’enjeu de l’omnicanal consiste à capter le client et à l’inscrire dans un écosystème global, symbolique et sensible, balançant entre les supports digitaux et l’endroit du décor. L’usager y est accompagné et conseillé tout au long d’une expérience d’achat circonstanciée. Dans le cas du retail français, deux logiques doivent opérer conjointement pour faire pendant aux offres en ligne : la phygitalisation et la contextualisation de l’expérience.
De quoi phygital est-il le nom ?
La phygitalisation désigne l’ensemble des dispositifs digitaux mis en place dans les points de vente physiques afin de faciliter ou d’améliorer le processus d’achat. Avant-vente, le phygital intègre les services de type click and collect : réservation en ligne, choix d’un mode de retrait, facilités de paiements… En point de vente, il se manifeste par la mise à disposition de douchettes ou d’applications permettant de scanner les articles du panier pour accélérer le paiement, la présence de QR codes facilitant l’information et la promotion des ventes, ou encore par le déploiement de tablettes vouées à divers usages (catalogues en ligne, recueil d’avis clients, miroirs interactifs…). Enfin, le phygital accompagne l’usager après-vente en intégrant une communication numérique, de la proposition d‘offres promotionnelles à celle de réductions personnalisées en passant par le SAV…
Un développement possible de cette tendance serait la généralisation d’un concept analogue à celui d’Amazon Go, mais rien n’indique que ce modèle de point de vente futuriste et particulièrement gourmand en investissement high tech (capteurs, IA de reconnaissance visuelle…) soit suffisamment rentable, et moins encore socialement acceptable pour s’implanter avec succès sur le marché français. Le concept Hema Fresh développé par Alibaba vise quant à lui à réussir l’intégration harmonieuse des offres online et offline (modèle dit O2O) sans s’inscrire dans le technocentrisme de son concurrent américain. Ces deux avatars du phygital pourraient bien préfigurer ce vers quoi tendront demain les points de vente. Néanmoins, passée la hype liée aux aspects futuristes de ces concepts, les expériences proposées par les deux géants de la distribution en ligne seront en danger de rapide banalisation car ils ne font que mâtiner de technologie une approche classique de la grande distribution.
Grammaire du point de vente expérientiel
Confrontés à des parcours d’achat de plus en plus digitalisés et à des émanations de l’économie numérique accroissant leur présence physique, le défi des retailers consiste bien plutôt à inventer des synergies entre structures physiques et canaux digitaux. Mobilisée afin de réduire les irritants et d’étendre la proposition de valeur, la phygitalisation constitue un levier de renforcement naturel pour leurs offres ; mais elle peut en outre être mise au service de la contextualisation de l’expérience utilisateur.
Le succès de la marketplace la Ruche qui dit oui ou la vigueur des marchés urbains traditionnels attestent d’une appétence généralisée pour les expériences humaines et sensorielles inhérentes à l’acte d’achat. Celles-ci ne sont pas le point fort des pure players qui ne peuvent prétendre qu’à la commodité. S’il veut résister à la vague de digitalisation, le point de vente doit (re)devenir un lieu de sociabilité, permettant de tester les nouveautés, de goûter les produits, de bénéficier des conseils avisés de vendeurs formés et… de flâner, les narines emplies d’odeurs de pain chaud et d’agrumes fraichement pressés !
Une autre modalité de revitalisation consiste à faire tendre les points de vente physique vers l’hyperlocalisation : un assortiment de produits et de services correspondant le plus finement possible à la clientèle et aux particularités locales. Pour y parvenir, les données internes des retailers ne suffisent plus : la proposition doit s’ajuster en fonction de données externes sur la structure de la population, les flux de clientèle, la météo, les événements scandant la vie locale… En un mot : l’offre peut résister à la « commoditisation » à la condition de se faire de plus en plus contextuelle. La diminution de la surface des magasins et l’augmentation de leurs nombre dans les centres ville semble être un signe avant-coureur de ce mouvement de recontextualisation.
L’Acte 3, une étude du cas du Groupe Casino, illustrera l’adaptation des stratégies des distributeurs français confronté au cisaillant de la digitalisation des points de vente et de la réinvention de l’expérience client.
Le contributeur :
Conférencier et doctorant en science de gestion, Fabien Giuliani étudie le lien entre veille stratégique et prospective. Ses travaux de recherche visent en particulier à mettre en lumière les utilisations de l’intelligence artificielle dans le domaine de l’intelligence économique.
Fondateur du cabinet Demain la Veille, il conseille les entreprises en termes de stratégie de transformation digitale et de gestion de l’information stratégique. Les mutations liées à l’économie digitale sont sa thématique de prédilection.