[Expert] Cession d’entreprise: nouveau droit pour les salariés, nouvelles contraintes pour les PME
Frédéric Bardet est associé au sein du cabinet Eixamp Avocats.
Il accompagne les employeurs sur l’ensemble de problématiques de droit du travail et notamment à l’occasion des cessions et restructurations d’entreprises.
Certains réclamaient à grands cris son retrait, d’autres annonçaient son report… Ils en seront pour leurs frais ! L’obligation d’information des salariés en cas de cession d’une société ou d’un fonds de commerce issue de la loi « Hamon » relative à l’économie sociale et solidaire, est bien entrée en vigueur à compter du 1er novembre 2014 (Loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 ; Journal Officiel du 1er août).
On attendait avec impatience le décret d’application de la loi. Celui-ci est paru, in extremis, le 29 octobre 2014 (Décret n° 2014-1254 du 28 octobre 2014 ; JO 29 octobre). Là encore, déception. Le texte du décret, qui interpelle par sa simplicité, n’apporte que peu de précisions sur les modalités de cette information.
Le décret est toutefois accompagné d’un « guide pratique » émanant du ministère de l’économie de l’industrie et du numérique, disponible sur le site www.economie.gouv.fr. Retour sur ce dispositif qui risque encore de faire couler beaucoup d’encre.
Seules sont concernées par l’obligation préalable d’information des salariés :
- les entreprises qui exploitent un fonds de commerce sous la forme d’entreprise individuelle, ou les sociétés commerciales, quelle que soit leur activité, comptant moins de 50 salariés ;
- les entreprises qui exploitent un fonds de commerce, ou les sociétés commerciales, quelle que soit leur activité, comptant au moins 50 salariés, et remplissant, avant la clôture du dernier exercice, les critères permettant leur classement dans la catégorie des PME ( à savoir les entreprises de moins de 250 salariés ayant un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 50 million d’euros ou un total bilan n’excédant pas 43 millions d’euros) ;
Quelles sont les cessions concernées ? L’obligation d’information préalable s’applique :
- en cas de cession de fonds de commerce ;
- en cas de cession d’une participation représentant plus de 50 % des parts sociales d’une société à responsabilité limitée ou d’actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital d’une société par actions ;
L’obligation d’information ne s’applique pas :
- en cas de succession, de liquidation du régime matrimonial,
- en cas de cession du fonds à un conjoint, à un ascendant ou à un descendant,
- aux entreprises ou sociétés faisant l’objet d’une procédure de conciliation, de sauvegarde,
En cas de cession de fonds de commerce :
- si le propriétaire du fonds n’est pas l’exploitant, il doit notifier sa volonté de céder à l’exploitant qui porte « sans délai » cette information à la connaissance les salariés,
- si le propriétaire du fonds en est également l’exploitant, c’est lui qui notifie directement aux salariés sa volonté de céder.
En cas de cession de participation majoritaire :
- le cédant notifie sa volonté de céder à la société. Le représentant légal de la société porte « sans délai » cette information à la connaissance des salariés.
Dans les entreprises de moins de 50 salariés et dans les entreprises de 50 salariés et plus dépourvues de représentants du personnel (carence constatée par PV), les salariés doivent être informés au plus tard deux mois avant la date de cession effective.
La date de cession à prendre compte est la date de transfert de propriété.
Le délai de deux mois court à compter :
- du moment où le dernier salarié a été informé de la volonté de céder (en cas de cession d’une participation majoritaire ou en cas de cession de fonds de commerce lorsque le propriétaire du fonds est l’exploitant),
- de la notification faite par le propriétaire à l’exploitant du fonds de commerce (en cas de cession de fonds de commerce lorsque le propriétaire du fonds n’est pas l’exploitant).
Dans les entreprises de 50 salariés et plus dotées de représentants du personnel, les salariés sont informés en même temps que le chef d’entreprise procède à l’information et à la consultation du comité d’entreprise (ou des délégués du personnel en cas de carence du CE) en application de l’article L 2323-19 du Code du travail.
Dans ce dernier cas, une question de pose : à quel moment les salariés doivent-ils être informés ?
Le ministère indique que c’est au moment de la « saisine » du CE que l’information doit être donnée. Ce point ne résulte toutefois ni de la loi, ni du décret. En pratique, le moment de l’information dépendra des modalités d’information choisies par l’employeur:
- si l’employeur informe les salariés par le biais de courriers individuels, ceux-ci devront être adressés aux salariés en même temps que l’employeur adresse au CE les documents d’information sur le projet de cession,
- si l’employeur opte pour une réunion d’information avec les salariés, cette réunion devra se tenir le même jour que la première réunion d’information du CE. Au regard des prérogatives du CE et afin d’éviter toute action en délit d’entrave, il nous semble préférable réunir d’abord le CE puis, concomitamment, les salariés.
La loi du 31 juillet 2014 fait référence au « salariés » sans autre précision. Quels sont donc les « salariés » concernés ?
On peut regretter que le décret n’ait pas comblé l’absence de précision de la loi sur ce point.
Le guide pratique apporte quelques éléments de réponse en rappelant qu’est « salarié » toute personne liée à l’entreprise par un contrat de travail, c’est-à-dire placée dans un lien de subordination juridique vis-à-vis de l’employeur.
Ainsi, selon le ministère, seuls devraient être destinataires de l’information les salariés en CDI, en CDD et en contrat d’apprentissage. En revanche, les personnels intérimaires, les stagiaires et les demandeurs d’emploi participant à des actions d’évaluation en milieu de travail sous forme de stage, prescrites par pôle emploi, n’auraient pas à être informés.
Ce raisonnement, qui renvoie à la définition du contrat de travail et à la notion de « lien de subordination », nous semble pertinent. Il aurait été toutefois plus sécurisant de le préciser « noir sur blanc » dans le texte de loi ou à minima dans le décret. Rappelons en effet qu’un décret n’a pas force de loi et encore moins un guide pratique édité par le ministère de l’économie.
On imagine déjà de potentiels contentieux initiés par des salariés temporaires ou des personnels extérieurs mis à disposition de l’entreprise, visant à faire annuler la cession au motif qu’ils n’ont reçu aucune information. En outre, qu’adviendra-t-il en cas de requalification de sa relation de travail temporaire en contrat de travail à durée indéterminée avec l’entreprise utilisatrice ? Gageons que les avocats de salariés ne manqueront d’agiter la menace de nullité pour obtenir des indemnisations conséquentes. Peut-on laisser les entreprises dans une telle incertitude ?
En l’état, les employeurs devront faire un choix :
- soit informer « largement » les personnels de l’entreprise afin de limiter les risques de contentieux ultérieurs, mais en augmentant le risque de fuites,
- soit assurer le « service minimum » en informant uniquement les salariés liés par un contrat de travail à l’entreprise, et en assumant, dans ce cas, le risque d’éventuelles procédures …
Remarque : s’agissant des salariés de l’entreprise, les employeurs veilleront à n’oublier personne, notamment les salariés en période d’essai, les salariés en cours de préavis, les salariés à temps partiel, ou les salariés dont le contrat de travail est suspendu, notamment pour cause de maladie, congés maternité-paternité, accident du travail.
L’information porte de manière obligatoire sur :
- l’intention du propriétaire de céder son fonds ou une participation représentant plus de 50% des parts sociales, des actions ou des valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital social,
- la possibilité pour les salariés de présenter une offre de rachat.
Le guide du ministère rappelle que la loi et le décret n’imposent la transmission d’aucune autre information.
Ainsi, n’ont pas à être communiquées :
- les informations comptables, financières, stratégiques, commerciales ou sociales concernant l’entreprise
- l’identité de l’acquéreur envisagé
- la date de la cession envisagée
Cette précision peut sembler rassurante en ce qu’elle ne crée pas de contrainte véritable pour l’employeur. Cependant, qui peut croire que des salariés souhaitant formuler une offre de rachat, se contenteront d’une information aussi basique ? Tout candidat au rachat demandera nécessairement d’avoir accès aux informations stratégiques de l’entreprise. L’employeur pourra-t-il se contenter d’une fin de non-recevoir ? En théorie oui, puisqu’il n’a aucune obligation. On ne peut toutefois écarter l’hypothèse d’éventuels recours de salariés qui estimeront ne pas avoir été loyalement informés (et donc privés de la possibilité de faire une offre). Sans parler des risques de blocage du CE qui pourrait faire pression sur le chef d’entreprise afin que ce dernier transmette les informations aux salariés candidats et retarder le processus de consultation tant que celui-ci n’a pas accepté de communiquer les informations demandées.
Ni la loi ni le décret n’encadrent le délai de réponse des salariés. Le décret se contente d’indiquer que « le salarié informe dans les meilleurs délais et par tout moyen l’exploitant lorsqu’il se fait assister ».
L’absence de délai de réponse se révèle totalement théorique dans l’hypothèse où l’employeur a déjà identifié un repreneur. Dans ce cas en effet, les salariés devront impérativement se manifester avant l’expiration du délai minimum de 2 mois (pour les entreprises de moins de 50 salariés ou les entreprises dépourvues de représentants du personnel) ou avant que le CE n’ait remis son avis sur le projet de cession (pour les entreprises de 50 salariés et plus). Au-delà, les offres de rachat éventuellement déposées par les salariés n’auront, en pratique, aucune chance d’être examinées puisque la cession sera soit actée définitivement, soit sur le point d’être entérinée.
Dès lors, une question se pose : faut-il imposer un délai de réponse dans l’information donnée aux salariés ?
Imposer un délai, c’est imposer aux salariés une contrainte qui n’est pas prévue par les textes. Ne pas le faire, c’est prendre le risque que les salariés qui formuleraient une offre « hors délai » tentent de remettre en cause la cession (ou réclament une indemnisation) au motif qu’ils n’avaient pas été informés du délai dont ils disposaient pour faire leur offre.
Une solution pourrait consister à indiquer aux salariés la date envisagée de la cession en invitant les personnes intéressées à se faire connaître au plus vite. De cette manière, les salariés qui se manifesteraient tardivement ne pourront se plaindre d’un défaut d’information de l’employeur
Les salariés peuvent se faire assister, à leur demande, par un représentant de chambre de commerce ou d’industrie, ou d’agriculture, ou de métiers et de l’artisanat en lien avec les chambres régionales de l’économie sociale et solidaire, ou … par toute personne de leur choix.
Même si la loi et le décret prennent le soin de préciser que le salarié et la personne qui l’assiste sont soumis à une obligation de confidentialité, le simple rappel de cette obligation sera-t-il suffisant, en pratique, pour garantir la confidentialité des informations stratégiques de l’entreprise et l’absence de fuites sur la cession envisagée ? Rien n’est moins sûr.
Dans les entreprises de 50 salariés et plus dotée de représentants du personnel, l’employeur devra nécessairement attendre l’avis des représentants du personnel sur le projet de cessions.
En revanche, dans les entreprises de moins de 50 salariés et dans les entreprises de 50 salariés et plus dépourvues de représentants du personnel, la cession pourra intervenir avant l’expiration du délai de deux mois si tous les salariés ont fait connaître leur volonté de ne pas formuler d’offre. Les employeurs auront donc tout intérêt à solliciter, au moment de l’information, une réponse écrite des salariés. Ces derniers n’ont toutefois aucune obligation de se manifester et pourront donc obliger l’employeur à attendre l’écoulement du délai légal.
Le défaut d’information est sanctionné par la nullité de la cession qui pourra être prononcée par le juge a postériori. L’action en nullité se prescrit par 2 mois à compter de la date de publication de l’avis de cession du fonds.
De nombreux commentateurs ont dénoncé, sans doute à juste titre, la lourdeur de cette sanction et l’insécurité qu’elle fait peser sur les transactions. Une telle sanction pourrait avoir un effet dissuasif et produire un effet contraire à celui recherché.
Qi le dispositif pourrait évoluer sur ce point, la sanction reste, pour l’heure, pleinement applicable.
L’obligation d’information s’applique aux cessions conclues 3 mois au moins après la date de publication de la loi du 31 juillet, soit à compter du 1er novembre. Le décret du 28 octobre précise toutefois qu’une cession intervenant à l’issue d’une négociation exclusive organisée par voie contractuelle, dont le contrat de négociation exclusive a été conclu avant le 1er novembre 2014, n’est pas soumise à l’information préalable des salariés.
Le décret n’ayant pas force de loi, les employeurs prudents souhaitant éviter toute contestation auront intérêt à informer leurs salariés dès lors que la date de cession est postérieure au 1er novembre, même si un contrat de négociation exclusive a été conclu avant cette date.
Malgré les efforts d’explication de Bercy, force est de constater que de nombreuses questions restent en suspens concernant ce dispositif qui sera compliqué à mettre en œuvre et qui nous semble peu en phase avec la réalité opérationnelle des PME.
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Cet article n’apporte rien. Il n’est qu’une redite du guide ministériel. Sans analyse de fond, sans apport technique ou professionnel.