[Expert] Faire payer les données publiques est une grosse bêtise
Faire payer l’accès aux données publiques, en finir avec l’open-data. Voici la brillante idée d’Olivier Schrameck, l’ancien sherpa de Lionel Jospin et actuel membre de la Commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique.
En ces temps de bouclage budgétaire difficile, c’est la dernière astuce du gouvernement pour récupérer un peu de sous. Il y va aussi de la morale publique, puisqu’un bien public, non-rival et non-exclusif, ne saurait être offert au privé, sans le consentement de ses usufruitiers, j’ai nommé nous, les citoyens.
Il ne faudrait pas que ce bien public exploité par le privé tarisse la source et conduise à privilégier certains publics (ceux qui paient) au détriment des autres.
Première objection à cet argument : on ne voit pas bien en quoi cela concerne les données qui par nature sont illimitées, et qui actuellement ne produisent de bénéfice que pour de rares apparatchiks de l’administration.
Par ailleurs, il y a la théorie, les grands principes auxquels la raideur protestante jospinienne sied si bien. Et puis, il y a la réalité, le pragmatisme moins vaniteux, parfois un peu piteux, et généralement plus efficace. Louis XI versus Charles VIII, son fils.
LE PRAGMATISME C’EST PRÉFÉRER L’EFFICACITE AU PRINCIPE
La question essentielle qui nous préoccupe en France, ce n’est pas de savoir si les riches gagnent beaucoup d’argent. Ce n’est pas de savoir si Google s’enrichit éhontément grâce à un modèle économique aussi malin qu’inégal. Le souci qui nous ronge, c’est le chômage. Le problème, c’est l’absence d’emploi et sa précarisation.
Les questions de principes, les théories morales ou juridiques sur la justice distributive… Tout cela est un luxe de nantis, une muleta qui répand la fumée médiatique , laquelle passionne plus l’intelligentsia parisienne que le clanpin moyen.
Le président Hollande tient-il ses ministres et ses femmes ? Les entrepreneurs ont-ils raison de se révolter contre la taxation potentielle des profits réalisés sur la cession rapide de leur société ? Bernard Arnault méritait-il une première de couv’ insultante et drôle ? Facebook est-il surévalué, Apple a-t-il raté son iPhone 5 ? A quoi ressemblera l’Ipad mini ?…
Tous ces sujets divertissants et diversifs, nous masquent les vrais enjeux : la crise espagnole va-telle nous rattraper ? Allons-nous réussir à créer de l’activité et donc de l’emploi ? Pourrons-nous préserver notre niveau de vie et notre modèle de société ?
Mais les Français sont fans de ces querelles d’idées, de ces débats théoriques co(s)miques. Du moins dans les cercles socio-supérieurs majoritairement masculins. « Le coq est le seul animal qui continue à chanter les deux pieds dans la merde » disait Coluche.
Pour la Commission Théodule, il est donc plus intelligent de prélever la dîme publique en amont de la production, plutôt qu’en aval. On fait payer le bien public (les données collectées grâce à l’argent des contribuables) pour renflouer les caisses de l’Etat, plutôt qu’en investissant sur de jeunes sociétés, en espérant qu’elles nous le rendrons demain.
Ce point de vue traduit plusieurs choses , dont je ne mesure pas l’importance respective :
– Une détresse financière de la France
– Un aveu d’impuissance face à l’évasion fiscale (ce sera toujours ça de pris)
– Un manque criant de confiance en l’avenir
– Un parti-pris plus politique qu’économique
Si nous devons faire les fonds de tiroirs pour boucler le budget et rester dans les clous du déficit public, alors j’imagine que nous n’avons pas le choix. Les banques nous tiennent par les gonades et perdre le peu de crédit que nous accordent encore nos bailleurs de fonds internationaux nous coûterait trop cher. Jamais lettre de l’alphabet n’aura coûté aussi cher .
Si la France est à ce point désemparée face à l’évasion fiscale, qu’elle préfère être payée par avance, c’est dramatique. Cela consacre la subordination de la politique économique française aux pratiques de l’entreprise. Qui commande, nom de Zeus ?
S’il s’agit de l’application aveugle d’un principe de droit public, alors l’énarchie a encore frappé. Le dogmatisme professionnel conjugué à l’idéologie politique font rarement de beaux enfants économiques.
Si c’est un coup politique destiné à marquer les esprits du vulgus pecum, « voyez, on les fait bien cracher ces entreprises à gros chiffre d’affaire », alors on retombe dans la ventilation sarkosyste tant décriée.
LA GRATUITE DES DONNEES PUBLIQUES, C’EST UN INVESTISSEMENT PRODUCTIF
Faire payer les données, c’est une prime aux mastodontes, aux groupes déjà rentables qui seuls, mettront la main à la poche.
C’est un frein à l’innovation des petites entreprises, des micro-entrepreneurs, en peine de trésorerie.
C’est l’arrêt de mort du bidouillage des étudiants, curieux, passionnés, autodidactes qui ont là un terrain de jeu gratuit, qu’ils ne joueront plus, dès lors qu’il faudra payer.
On fera certes cracher Google et ses petits camarades oligopolistiques. On récupérera un peu de maille pour tricoter un budget Pénélope.
Mais on adoptera ainsi une logique de rentiers, au lieu de stimuler une créativité et une innovation qui créeront peut-être nos emplois demain. Les grandes révolutions technologiques, sociales, politiques se font par l’accumulation de talents, par le bouillonnement simultané de nombreux cerveaux. Il y a aussi, en matière d’intelligence, des effets de seuil.
Cela était vrai au temps de Périclès, à l’âge d’or des Abbasides, durant la révolution française (XVIIIe s) ou en Californie dans les seventies (n’est-ce pas Steve Jobs ?).
Plus récemment, l’exemple de la Norvège devrait nous inspirer : l’institut météorologique national en évoluant vers un accès gratuit a permis de passer de 100 à 3 000 utilisateurs par semaine, et de créer services et emplois, qui ont à leur tour rapporté à l’Etat taxes et impôts.
FAVORISER L‘INITIATIVE DU PLUS GRAND NOMBRE
Les trappeurs français auraient-ils pris leur baluchon pour troquer la fourrure en terre indienne dès le 17es ? Les colons anglais auraient-ils conquis le grand Ouest sans l’assurance que toute terre conquise sur le dos des Indiens leur serait offerte ? Les conquistadors espagnols seraient-ils partis massacrer du proto-mexicain ou péruvien, s’ils avaient du payer leur ticket d’entrée ? J’en doute, car ceux qui ont conquis ces terres vierges (d’occidentaux) étaient des désespérés, sans le sou, prêts à mourir pour échapper à la misère ou la persécution de leurs pays respectifs.
En revanche, les nobles romains qui ont conquis l’Italie puis les provinces gauloises, ibères ou dalmates ont instauré pendant de très longs siècles des domaines agricoles immenses qui ont été très durs à partager (les Gracques en savent quelque chose). Les aristo-bourgeois créoles partis aux Antilles au XVIIIe s ont bâti des fortunes immenses sur le dos des populations locales. Il s’en est suivi une inégalité économique criante, un sous-développement endémique par faute d’une classe moyenne suffisante. Et les inégalités perdurent aujourd’hui.
Favoriser l’initiative économique du plus grand nombre passe par la gratuité ou en tout cas un faible coût d’entrée. Ce qu’ont permis la micro-informatique, la PAO, la chute des prix du matériel, de la bande passante…
Il y a tellement de barrières socio-culturelles qui empêchent le populaire d’entrer dans le jeu ! N’en rajoutons pas une immédiate et rédhibitoire : le frein économique.
Tant pis si les gros raflent la plus grosse part du gâteau, initié par les deniers publics, du moment que des milliers d’autres y trouvent leur lopin et leur emploi. En revanche, il faudra veiller à faire payer aux géants leur tribut fiscal, ce qu’ils ne font pas aujourd’hui.
Cyrille Frank – Sur Twitter / Sur Facebook
Crédits photo : martinlabar et fdecomite via Flickr.com
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Non mais on est ou là? Ca va pas bien à FrenchWeb?! Lecteur depuis les débuts, je suis scandalisé.
Bien que d’accord avec l’auteur sur l’absurdité et l’iniquité de faire payer l’accès aux données publiques, je ne peux que m’insurger devant ses propos putassiers, son fiel qui dégouline dans la longueur de ce texte, qui est davantage un manifeste politique (anti-gouvernemental, mais là n’est pas le propos) qu’un point de vue sur ce qui regarde les new tech.
Avec le mouvement « geonpi » bruyamment relayé ici, ça commence à faire beaucoup. Avec FrenchWeb, on n’a pas signé pour l’huma, le figaro ou rivarol. Si ça continue, il faudra s’informer ailleurs…
A bon entendeur.
Bonjour Gerbula,
Vous avez le scandale bien prompt ;-)
Je pense que vous n’avez pas bien saisi que ce papier est une tribune : c’est la reprise d’un billet publié sur mon blog mediaculture.fr. J’en parlerai au rédac chef, je pense qu’il faut l’indiquer plus clairement (le surtitre EXPERT, qui correspond à un autre type de papiers que je produits, ne va pas)
Putassier, fiel, dégouline… dites-donc, vous n’y allez pas avec le dos de la main morte… vous n’en rajoutez pas un peu ?
Oui, j’émets des commentaires personnels, mais pour tout vous dire, cette tribune est la réponse à une discussion avec un Twittos qui me soutenait que les données publiques devaient être payantes dans l’intérêt public. Comme il se plaignait de la faiblesse de mes exemples, je les ai développés ici.
Par ailleurs, vous vous trompez, je ne suis pas un anti-gouvernement, et encore moins un pro-pigeon ! Je critique une proposition ponctuelle, venant du bras droit d’un personnage politique que je connais assez bien, ce qui m’incite à parler de rigorisme protestant mâtiné d’une bonne dose de vanité. J’aurais pu ajouter entrisme trotskiste, mais il me faudrait alors développer beaucoup plus longtemps ce point « central » pour comprendre Lionel Jospin.
Cordialement
Je suis d’accord avec la remarque de Gerbula.
Je viens sur FrenchWeb pour la pertinence et la qualité professionnelle des informations, analyses et interviews que j’y trouve. C’est cela qui distingue FrenchWeb d’autres sources et qui en a fait son succès.
Même si je suis également d’accord sur le sujet, je trouve qu’ici vous sortez du ton neutre, objectif et claire habituel. Faites attention à ne pas vous égarez !
Bonjour Nicolas,
C’est bien noté. Même réponse qu’à gerbula : ce papier est la reprise d’un billet publié sur mon blog mediaculture.fr. Il faudra, à l’avenir le préciser plus clairement quand il s’agit de tribune personnelle, comme c’est le cas ici. Je n’écris pas que ce genre de papiers, comme vous pourrez le constater si vous lisez mes autres billets.
Cordialement