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Faut-il quitter les réseaux sociaux?

Christophe Ginisty, contributeur FrenchWeb

Régulièrement, je vois des messages de copains qui annoncent vouloir quitter les réseaux sociaux pour protester alternativement contre l’utilisation de leurs données personnelles, l’abrutissement de la société, la médiocrité abyssale des contenus, la violence des commentaires, l’inutilité crasse de ces plateformes, le sentiment d’être devenu totalement accro… A chaque fois, je me demande s’ils ont raison ou non de le faire. Après l’avoir annoncé à tout le monde – paradoxe teinté de désespoir qui témoigne de leur très grand attachement à ces réseaux au moment de les quitter -, ils disparaissent effectivement de la toile, conscients de valeureusement montrer la voie… Puis ils y reviennent quelques mois plus tard, discrets, penauds, pas très fiers, comme ces gens qui en sont à leur énième tentative d’arrêter de fumer.

Alors, faut-il quitter les réseaux sociaux?

D’abord, ça veut dire quoi de quitter les réseaux sociaux ? Pour moi, cela signifie deux choses fondamentales. C’est évidemment se désabonner d’un service gratuit qui propose une série de technologies de mise en relation et qui, en l’échange de cette gratuité, commercialise des éléments de profiling à des annonceurs potentiels, mais c’est aussi renoncer au lien social que l’on a pu nouer, grâce à ces fameuses technologies, avec des personnes dont on aime prendre des nouvelles et avec qui l’on a plaisir à échanger. Ces deux dimensions sont indissociables.

Si je me fiche complètement des plateformes, je crois que je ne suis pas prêt à tirer un trait sur la dimension sociale des réseaux. Chaque jour sur Facebook, je vois ce que mes parents font dans le Sud de la France, ce que partagent mes filles qui ne vivent plus à la maison et parfois loin, les activités des autres membres de ma famille dans leurs environnements respectifs. Mais chaque jour aussi, je suis au contact de gens que j’aurais assurément perdu de vue depuis des années si ces réseaux n’existaient pas. Je pense notamment à tous ces amis que j’ai connus dans la première partie de ma vie professionnelle et avec lesquels je continue d’échanger comme si nous nous étions quittés hier. Et puis enfin, ces réseaux me permettent d’échanger avec des gens rencontrés lors de nombreux voyages, dont j’ai parfois simplement croisé le regard mais qui sont devenus des contacts familiers auxquels je suis très attaché.

Pourrais-je faire tout ça sans les réseaux sociaux? Non, d’aucune manière!

Bien sûr que les réseaux ne remplacent pas et ne remplaceront jamais la chaleur des rencontres en face à face, les bonnes bières, les bons dîners, les bonnes soirées à refaire le monde, mais ils ont permis, grâce aux technologies sur lesquelles ils sont développés, de démultiplier les chances de ne pas se perdre de vue, de montrer à l’autre qu’on existe et de transformer un simple smiley en un message implicite d’affection, comme une manière amicale de dire: « je suis là, j’ai vu ce que tu as posté, je t’embrasse. »

Est-ce qu’en échange de ce service, encore une fois totalement gratuit, j’accepte que Facebook ou un autre site me profile, me suive, m’analyse et commercialise mes comportements à qui cela intéresse ? Oui, sans la moindre hésitation ! Je peux même vous dire que je m’en fous un peu.

Je ne suis pas naïf et j’ai toujours en tête cette formule célèbre « Si c’est gratuit, alors vous êtes le produit » mais si je dois mettre d’un côté les points positifs et de l’autre les points négatifs de cette expérience qui dure maintenant depuis plus de 10 ans, je n’ai aucune hésitation sur la place du curseur.

En même temps, au-delà de l’expérience relationnelle, je n’ai aucun espoir quant à la capacité des réseaux sociaux à faire autre chose que de me permettre de jouir de la dimension sociale inhérente à leur principale proposition de valeur. Pour ma part, je ne les utilise pas pour m’informer, pour développer une quelconque connaissance sur le fond des sujets. Je n’attends pas des réseaux qu’ils se substituent aux médias traditionnels ou aux experts. Je ne les prends pas pour ce qu’ils ne sont pas et je m’en porte plutôt bien.

Alors, si vous en êtes d’accord, on va rester connectés encore un peu ensemble, vous et moi, sur ces maudits réseaux. Et on va s’efforcer d’y prendre du plaisir.

A suivre…

Le contributeur:

Christophe Ginisty est spécialiste des stratégies d’engagement sur les réseaux sociaux. Il a notamment fondé et dirigé pendant 22 ans l’agence de stratégie de marque et d’influence Rumeur Publique. Il est aussi à l’origine du cycle de conférences ReputationTime.

Découvrez son blog: https://ginisty.fr/

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7 commentaires

  1. Bonjour et merci d’avoir partagé vos pensées sur cet sujet.

    Vous dites : “j’accepte que Facebook ou un autre site me profile, me suive, m’analyse et commercialise mes comportements auxquels cela intéresse . Oui, sans la moindre hésitation ! Je peux même vous dire que je m’en fous un peu.”

    J’étais plutôt d’accord avec vous il y avait une époque. Dans l’esprit que j’assume ce que je poste et je n’ai rien à cacher, donc cet échange me convient. En revanche :
    1) Cet échange ne s’arrête pas forcément entre Facebook, ses partenaires, et nous. C’est sûr que ce n’est pas le cas si vous sécurisez pas votre profil pour que le moindre d’info est public. Il faut demander si l’utilisateur moyen arrive à comprendre et configure son profil FB. Dans leur privacy policy, Facebook dit (pardon l’anglais) :
    “Promote safety, integrity and security.
    We use the information we have to verify accounts and activity, combat harmful conduct, detect and prevent spam and other bad experiences, maintain the integrity of our Products, and promote safety and security on and off of Facebook Products. For example, we use data we have to investigate suspicious activity or violations of our terms or policies, or to detect when someone needs help. »

    Ça l’air très bien et confortant, sauf qu’on ne dit pas avec qui on utilise ou partage ces données. C’est un peu vague, non ? Si on était dans les années 50 aux États-Unis, ce volontaire de “Promote safety, integrity and security” prendrait une autre forme. Quelle forme prend-il aujourd’hui ? Serait-il la même demain ?

    2) Profiling tel que vous en parlez en général est plutôt de cibler, par exemple, des publicités, des résultats de rechercher adapté à nous, etc. Quand on parle de faire un achat, ça me convient très bien. Quand on parle d’une recherche sur un thème politique, personnellement ça me convient moins. Je préfère des résultats non biasé sur mon profil. Vous pourriez me répondre qu’il suffit de m’informer sur le thème politique via d’autres outils et sources. Je suis d’accord. Mais quand il y a un mouvement entier qui se construit sur les réseaux sociaux et la presse traditionnelle semble d’être menacé par l’internet et réseaux sociaux, est-ce que c’est bien représentative des tendances de la population ?

    J’évoque ces points parce que je me pose pas mal des questions par rapport de mon métier, et je m’interesse de creuser ces interrogations afin de voir quels sont les opportunités ou enjeux pour mettre en place les nouveaux outils de technologie “responsable.”

    Merci de m’avoir lit jusqu’au là !

    Bien à vous,
    Susan
    *écrire par une étrangère malheureusement toujours capable des fautes d’orthographe et grammaire en français ;-)

  2. C. Ginisty pose une excellente question, que je me pose moi-même depuis longtemps (notamment depuis la démission fracassante d’un Vice-président de Facebook il y a quelque temps), et encore davantage depuis l’apparition du phénomène des Gilets jaunes et le début de la propagande liée aux prochaines élections européennes. J’ai plutôt Facebook en ligne de mire car je m’interroge vraiment sur le fait de savoir si la commodité de cet outil (à la mort duquel certains ne sembleraient pas pouvoir survivre !) compense les scandaleux privilèges qu’il s’octroie. En effet, Facebook me semble s’affranchir de bien des contraintes juridiques (conservation ad vitam aeternam – et au-delà – des informations en mémoire, quelle que soit la situation de l’utilisateur; utilisation de celles-ci à des fins variées, mais jamais totalement explicitées; etc.). En plus, la défense présentée par ce géant face aux soupçons d’appui direct ou indirect à la diffusion de messages tendancieux (Russie, Brexit, Cambridge Analytica, etc.) n’est absolument pas convaincante, de l’aveu même des Américains, qui, néanmoins, ne tenteront jamais rien contre un si prodigieux outil de consolidation de données, dont le caractère intrusif ne les dérange absolument pas. Je ne place donc pas le curseur au même endroit que M. Ginisty (dont je respecte le point de vue car il est un expert et il « baigne » dans ces technologies et ces usages) car le danger, aujourd’hui, est précisément dans une circulation étourdissante de données qui ne sont ni qualifiées, ni vérifiées, ni hiérarchisées. Certes, un défouloir peut être utile car spontanéité est synonyme de liberté, mais ce déferlement de messages fugaces, souvent inconsistants, ne favorise, ni la réflexion, ni l’esprit critique, ce qui en fait, en de mauvaises mains, un outil de manipulation collective très performant. Toute addiction dénote un malaise et/ou un manque. Dans ces conditions, le jeu en vaut-il la chandelle ? Personnellement, je pense que la question mérite tout à fait d’être posée car elle est totalement légitime !

  3. Merci pour ce bel article que je m’empresse de partager sur mes réseaux sociaux pro…;-) J’ajouterai juste que professionnaliser sa démarche réseaux sociaux, peut éviter pas mal de chausse-trappes, de temps perdu….
    Bonne journée à vous !

  4. Le pire dans toute cette histoire : donnez un mois à n’importe quel full-stack développeur, et il vous pond un clone de Facebook parfaitement fonctionnel avec stockage dans le Cloud (ce qui le rendrait évidemment payant, mais on parle en centimes, et au pro-rata des médias postés). Il serait temps qu’on éduque et qu’on démystifie ces plateformes, qui techniquement sont nulles, et ne sont « admirables » que parce qu’elles possèdent des infra-structures gigantesques leur permettant de traiter des téra-octets.
    Mais mettez en place des hubs sur le même principes, si on considère que les « friends » rééls, ceux qu’on suit vraiment, sont aux alentours de la vingtaine grand max, alors oui, des « simples » serveurs suffisent, toute la technologie existe pour relier des groupes de proches pour un coût minime, et sans centralisation et revente de données.

  5. Merci pour cette tribune.

    Mais elle ne peut pas être totalement objective car vous ivre un des réseaux sociaux en tant que « spécialiste des stratégies d’engagement sur les réseaux sociaux « 

  6. M. Ginisty, merci pour cet arricle qui reflète une certaine réalité. En effet, nombreux sont ceux qui se posent cette question de quitter les réseaux sociaux. Pour les plus éduqués et les plus avertis, il est possible de suivre votre raisonnement, d’avoir des usages « raisonnables » de ces réseaux et d’accepter en contrepartie une certaine exploitation de nos données. Ceux qui se posent cette question expriment d’avantage une inquiétude d’ordre sociétale et collective, et pas seulement une préccupation individuelle. L’inquiétude porte sur l’avenir, sur la place que peuvent prendre ces réseaux dans l’organisation même de nos démocraties. Quelques pistes de réflexions d’un proche de Zuckerberg : https://www.google.fr/amp/amp.timeinc.net/time/5505441/mark-zuckerberg-mentor-facebook-downfall

  7. Facebook est une nuisance pour la démocratie. Elle n’apporte rien de bien ou rien de bon. Elle fragmente la société plutôt que de créer le lien social, elle propage la haine et les fausses informations. On peut faire sans Facebook sans aucun problème. Le réseau social grand public sans publicité est à inventer.

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