[FICTION] Paillettes pour les médias mais POC pathétiques
Par Car Blabla, pseudo d'un collaborateur de start-up
Cette semaine, nous vous proposons de découvrir le retour d’expérience d’un collaborateur de start-up sur la relation ambiguë avec les fonds d’investissement, le décalage entre communication et réalité… Ou simplement son expérience dans une machine à brûler du cash.
Un pitch qui fonctionne et qui attire prospects et médias
Sur le premier semestre 2018, encouragés par tous les prix, challenges et articles de presse glanés, les rendez-vous se multiplient.
Nous sommes surtout pressés par les difficultés pour lever des fonds, sans aucun progrès de fond.
Mais nous rencontrons tous les leaders du Marché, ainsi que leurs principaux challengers : constructeurs, équipementiers, loueurs, assureurs,…
Pour le coup la stratégie business est parfaite : on évite les cold calls à des grands comptes aux contacts aussi innombrables qu’injoignables.
Ce sont eux qui tentent d’entrer en contact avec nous, la start-up dont tout le monde parle dans l’écosystème.
Autre intérêt d’être costaud sur l’image et la communication malgré une coquille vide, c’est qu’on peut presser les prospects sur leurs besoins et leur budget (immédiat ou potentiel).
En effet, n’ayant rien de prêt à vendre, la tactique est de multiplier les réunions, sous couvert de présentation à un maximum de contacts différents, pour comprendre leur besoin en profondeur.
Ceci afin de développer, in fine, ce qui y répondrait.
Mais cela ne rapporte rien (à part les prêts, prix et subventions), et sans traction business pas d’investisseurs au tour de table.
Il faut donc faire le buzz, chaque semaine, surtout pour montrer à ces derniers qu’il se passe toujours quelque chose dans la start-up, que ça va décoller, et donc que c’est le moment d’investir!
Moi-même entre mai 17 et juin 18, j’ai chanté les louanges d’Omega sur les télévisions, dans la presse et les radios françaises.
On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre.
Et le pitch est global (mondial) : la côte ouest US pour gonfler puis défendre la valorisation, la France en grande partie pour les aides publiques, la Chine pour exciter le tout.
La Chine est le pays, le plus innovant – particulièrement dans l’automobile – et le plus dynamique, donc revêt un intérêt majeur pour une technologie prête.
Ce qui est singulier de noter est que les personnes recrutées jusqu’alors travaillent en marketing, design ou communication.
Personne dans le développement, la science des données, l’IT, bref la techno que la start-up TECH promeut!
Le gag en interne est la désignation de Willy (1) le designer Photoshop, simple exécutant payé au lance-pierres, comme objectivement la personne la plus importante d’Omega par ses infographies et illustrations Powerpoint de bénéfices imaginaires!
Mais un client n’est pas un journaliste
Oui, contrairement aux jurys des pitch ou aux média, un prospect veut tester le produit avant d’en dire du bien (et de l’acheter)!
Et vu qu’aucun développeur ou data scientist n’était dans les effectifs sur la période, l’opérationnel commercial devient un numéro d’équilibriste.
Pour rappel, une version Android en MVP stable et qui fonctionnait pour les principaux fabricants n’a été livrée que fin avril 2018. Et bien-sûr aucune promesse tenue sur la réalité de la technologie que l’App est censée montrée!
Si on m’avait dit 1 an plus tôt ce que serait la situation pour mon anniversaire dans cette boîte…
La « pépite » des médias, des accélérateurs et des investissements publiques essuie à la fois multiples échecs sur ses développements produit et démissions de ses collaborateurs au bout de 5 à 7 mois.
Le délai pour comprendre la vacuité d’Omega?
Le management du CEO/fondateur reste toujours très pénible, aussi froid et distant en interne que chaleureux en externe.
Il n’accepte pas que la martingale du produit que tout le monde s’arracherait ne soit pas trouvée. Adopter son optimisme qui se veut auto-réalisateur est de plus en plus difficile.
Mais il faut constater l’incroyable talent de charmeur du CEO pour plaire en externe. La tech est embryonnaire mais peu s’en doute : ce mec est brillant!
Dans sa start-up, pas de saine émulation pour tenter enfin de créer quelque chose de vrai. Mais la torture morale de mentir, encore et toujours, pour vendre quelque chose qui n’existe pas.
En attendant, les fournisseurs ne sont pas payés depuis décembre, les sous-traitants en Moldavie, Roumanie et Ukraine menacent de ne plus maintenir l’App et la plateforme SaaS.
Avril 18, ça commence à sentir le roussi.
Premiers investisseurs du bridge: une lueur d’espoir?
Enfin de l’argent frais !
Fin avril 18, un tour de table “bridge” de 1,6M€ est enfin validé et sera versé sous trois mois par les différents financeurs. L’annonce sera toutefois réalisée en octobre lors de Mondial Tech au Mondial de l’Automobile parisien.
Ce « bridge loan » constitue une avance de trésorerie dans l’attente d’un tour postérieur et aux mêmes conditions (obligations convertibles en actions).
Au-delà de moins trembler pour toucher son salaire à la fin du mois, le principal intérêt, selon moi, de ce tour de table est l’entrée au capital d’un des principaux groupes de distribution automobiles français (60 000 véhicules vendus par an).
Leur métier arrive à un tournant : il faut connecter en direct les concessions automobiles à leurs clients pour leur montrer leur valeur ajoutée. Sans quoi leur existence même est en question.
On dit que la foudre ne frappe jamais deux fois au même endroit. En fait si.
Je me dis qu’après s’être lamentablement ramassés avec Mobauto (cf.Article 4), le CEO et le CTO vont retenir la leçon et travailler cette opportunité unique.
C’est l’inverse qui va se produire.
Échaudé par l’échec Mobauto, le CEO décide de s’en tenir au vent vendu lors des présentations – auxquelles j’assistais, piteusement.
La stratégie reste la même : l’argent va dans la communication tous azimuts et la présence à tous les salons internationaux.
Il évoque les recrutements prioritaires d’un Directeur Marketing (1) et d’un Directeur Financier ou DAF (2).
Pour l’écosystème start-up, la France n’est pas Israël ou la Silicon Valley.
Mais d’énormes sommes d’argent sont disponibles pour les levées de la « French tech ».
On est davantage sur un marché de répartition que de sélection.
Pour autant, un investisseur, surtout « corporate », n’a pas envie de perdre sa mise de départ et encore moins de voir son nom associé à une faillite pour des raisons d’image et de crédibilité dans ses choix d’investissement.
C’est pourquoi, après de longs mois d’hésitations, Mobauto s’est résolu à remettre au pot.
Pour deux raisons principales:
- d’abord, si l’investisseur historique refuse de participer au bridge, le message envoyé à de nouveaux investisseurs est limpide : il faut s’en détourner. Or sans apport d’argent c’est la faillite assurée. Et Mobauto perdrait sa mise initiale.
- Ensuite, le véhicule financier est décorrélé de l’opérationnel. Si ce dernier a vu la vacuité de la tech entre mars et juillet 2017, le VC voit le buzz entretenu et la résilience d’une boîte.
Certes, il n’y a pas de business mais, la notoriété aidant, cela pourrait bien arriver rapidement. Bon pas à court terme avec l’opé Mobauto…
Et les prospects/clients, ils en disent quoi?
Le CEO ne semble pas vouloir réellement avancer sur la tech sans commandes de co-construction fermes.
Par co-construction il faut entendre un besoin qu’on pourrait adresser, un budget conséquent en face, et un client pas trop regardant sur ce qu’Omegasait réellement adresser à date.
Il faut comprendre que nos « POC » sont très simplistes.
Pour ne pas mettre la sécurité en jeu, le protocole de test que nous fournissons ne présente que peu d’intérêt… sauf pour nous : on s’assurait presque de sa réussite.
En 2018, les mois passant et à force de communication, il faut bien, à un moment, monter des POC avec les boîtiers pour montrer ce qu’on « sait faire ».
So What ?
Les résultats sont logiques et à chaque fois implacables : les prescripteurs des grands groupes qui attendaient tant d’Omega vont se trouver injoignables.
Le mépris après l’intérêt. L’arroseur arrosé.
Quid du grand groupe de distribution automobile entré au capital?
Il a un temps long et ses équipes sont affairées à leur métier.
Si le POC ne peut avoir lieu en 2018, ça attendra 2019, voir 2020.
Ils ont pris date avec la tech du futur, Omega a pris un chèque. Voilà.
Entre août et octobre 18, CMO et CFO sont recrutés à Paris.
Bien-sûr c’est moins difficile à trouver qu’un Directeur Technique du Software.
Mais le message est clair.