BUSINESSCrowdfundingFonds d'investissementLes contributeursLes ExpertsStartupTECHTribune Libre

French Startups Ecosystème: Vaillant, mais bruyant!

Par Marc Rougier, Early stage tech VC at Elaia Partners

Deux ans que j’ai quitté SF pour Paris et troqué la cape d’entrepreneur pour la casquette de VC. On vient à Paris par amour; respectant la tradition je suis revenu pour vivre intimement mon amour avoué de l’écosystème startup français.

Deux ans plus tard mon enthousiasme n’a pas une ride. Pourtant je ressens un malaise, une irritation naissante à l’égard du bruit dont cette fameuse French Tech a le talent de s’auto-enrober.

Ce bruit, c’est l’avatar mode startups de l’art français de l’argumentation.

Et des artistes, on en a!

Je suis certain que notre écosystème de startups explose le monde entier sur une métrique bien précise; pas les montants levés ni le nombre de licornes ni les prix de sorties, mais le nombre d’experts en écosystème. “La French Tech qui se cherche, les méchants VC, la crise qui arrive, les fausses startups, la mode envahissante, la politique qui récupère, les levées de fonds, la Startup Nation, la Silicon Valley, le model israélien, je vous l’avais bien dit, etc etc”. Niveau Champions League de l’introspection, avec un nombre surréaliste d’experts définitifs pour chacune de nos écoles de pensées.

Je ne fais pas la fine bouche pour autant: le progrès s’appuie sur le débat et le débat n’est constructif que nourri d’opinions contradictoires; autant les partager! Et puis de temps en temps éclôt de ce brouhaha un délice éditorial. Cette semaine c’était Noël! Deux papiers incisifs, croustillants dans la forme et robustes sur le fond, pimentés de ce qu’il faut de poil à gratter. Un Carlos énervé et un Jean taquin, souples sur le jeu de jambe et déterminés dans le direct du droit: on n’est pas toujours aussi gâté, merci à vous deux!

Il y a des débats dans ces deux papiers auxquels je souhaitais contribuer en temps réel; j’avais pas le temps, je bossais. Je vais finalement ajouter au bruit maintenant, car ces sujets nourrissent aussi régulièrement mes diverses time lines :

  • les montants levés et les valo qui s’envolent
  • la crise au coin de la rue
  • la relation Entrepreneur — VC
  • Giroptic et la fin du monde
  • la mode startups

Les startups lèvent-elles trop et trop cher?

Oui.

Enfin, ça arrive.

Sous l’effet de l’inflation de l’argent disponible en début de chaine, combiné à une confiance toute neuve, les startups lèvent maintenant en early stageautant en France qu’aux USA, pour un potentiel souvent bien plus petit. Et lever plus, c’est lever plus cher.

C’est doublement dommageable:

  • Pour l’entrepreneur: ça peut contribuer à conduire son aventure sur un rythme faux car illusoire, vers des tours ultérieurs qui, eux, n’ont pas suivi cette inflation. Or, si on ne monte pas, on descend… Il ne faut pas lever le capital qu’on peut lever, mais celui qui correspond au potentiel de notre aventure. Toutes les startups baignent dans le même écosystème mais toutes n’ont pas le même potentiel (note: et ce n’est pas grave); one size does not fit all, il faut viser juste.
  • Pour le système dans sa globalité: si on ne trouve pas en bout de chaine suffisamment de sorties en proportion des prix payés en entrée, les VC perdront de l’argent, globalement; en conséquence ils n’arriveront pas à lever leurs fonds prochains; et, in fine, ne pourront pas financer la prochaine génération de startups. Pas de larmoiement forcé ici, mais un constat pour la survie symbiotique de l’espèce Entrepreneur-VC.

Il existe un équilibre de raison pour pérenniser le système; le prix à l’entrée fait partie de l’équation. C’est au couple Entrepreneur — VC de le trouver et, si on peut se réjouir de l’augmentation du capital dévolu aux startups (surtout après avoir pendant des années utilisé notre talent d’argumentation à la française pour se plaindre qu’il n’y en avait pas assez…), il faut aussi se méfier des maths précipitées, lever le nez et voir venir le coup prochain.

Cela nous mène-t-il à la catastrophe?

Non.

Les startups sont des agents économiques et l’économie suit des cycles. Donc oui, immanquablement, un hiver suivra ce bel été (prédiction étonnante d’audace: on va s’en prendre une). La faute à qui ? Certainement pas juste à l’appétit fut-il aiguisé de quelques startuppers. Le problème est plus vaste et prédire la pluie après le beau temps ne contribue que moyennement à le résoudre. Alors que faire?

En attendant l’hiver, il faut être vigilant: distinguer les startups dont le profil risk / reward justifie des grosses levées de celles, tout aussi belles et légitimes, pour lesquelles un montant plus modeste représente un pari plus intelligent, tant pour l’entrepreneur que l’investisseur. Et investir en conséquence: en respectant les disparités et en pariant des montants et donc des valo qui correspondent au potentiel de chaque opportunité et non à l’argent subitement disponible. L’égalité devant les levées de fonds n’est pas une loi constitutive de l’espèce startup.

Mais il faut aussi se réjouir qu’il existe de plus en plus de startups qui ont, par leur positionnement, leur exécution et leur ambition globale, un usage légitime de ces plus gros montants! Elles traverseront l’hiver et en sortiront en champions. Réjouissons-nous qu’elles puissent alors les trouver en France, ces plus gros montants! C’est aussi une marque de progrès de l’écosystème dans son ensemble, on ne va pas commencer à se plaindre de ça aussi!

Enfin, on peut se réjouir du dynamisme des entrepreneurs et des financiers de l’écosystème et croire que tout n’est pas écrit: les grands groupes progressent (on est loin du compte mais en toute honnêteté, on est sur le chemin: rappelez-vous des années 2000…), les startups s’internationalisent: les options de sorties vont donc augmenter. Cet écosystème grandit et la patience fait partie du jeu, aussi.

Bref: On va s’en prendre une, mais on ne tendra pas l’autre joue.

Si la valo n’est pas le critère #1, alors comment choisir son VC?

Le modèle principal de développement des startups est celui de l’innovation requérant du cash (R&D, marketing) avant que les ventes ne génèrent suffisamment de marge. Le cash disponible à ce stade de maturité est généralement le capital risque. Dans ce modèle (with all due respect to the bootstrap model!), startups et VC sont intimement liés, quasi consubstantiels. C’est pour ça que trouver la bonne équation est nécessaire.

Au delà de la valo, la principale clé de la cohabitation Entrepreneur-VC est la motivation et le bénéfice de travailler ensemble: pourquoi un VC veut investir dans votre startup, pourquoi un entrepreneur veut vous inviter à son capital?

Entrepreneurs, voici une Todo list suggérée, au delà de la négo de valo:

  • Travaillez avec des VC qui aiment et comprennent l’espace où vous évoluez
  • Jaugez sans feinte ni hypocrisie la confiance et l’envie mutuelles. C’est un mariage à long terme, qu’il soit autant d’envie que de raison; et sincère
  • Connaissez les objectifs du VC; sa charte, sa thèse, ses attentes, sa définition du succès, son timing et ses moyens pour y arriver
  • Assurez-vous que votre vision de votre entreprise est comprise et partagée
  • Faites des due diligences réciproques! Références, valeurs, comportements
  • Vérifiez les autres aspects du pacte d’actionnaires, ce fameux contrat de mariage; la valo est importante mais il n’y a pas que ça dans le contrat

Cette todo list qui semble pourtant évidente est souvent négligée, sous la pression de Sainte Valo, juge de paix omnipotent mais pourtant myope.

Quand ce travail préalable est bien fait, l’association Entrepreneurs-VC est synergique. Elle reste asymétrique (temps plein d’un côté, argent de l’autre), mais créatrice de valeur — donc contributrice à la valo prochaine.

Giroptic a sonné la fin de la récré!

(d’ailleurs la preuve: c’est écrit dans la presse)

Non mais faut arrêter là. Giroptic était l’aventure magnifique d’une bande d’entrepreneurs déterminés qui a échoué parce que (<insérer les 24636 raisons possibles qui, en s’y mettant ensemble, ont fait perdre ce pari>). Giroptic était l’aventure magnifique d’une bande d’entrepreneurs déterminés qui a échoué parce qu’une startup ça échoue. C’est écrit dans les hypothèses du modèle, dans la définition de l’innovation. Même si cet échec réjouit l’égo des jvouslavaisdistes de passage, pas la peine d’y chercher la preuve indiscutable de l’imminence d’Armageddon.

D’ailleurs, n’avait-on pas utilisé les problèmes de Save en 2016 déjà pour les mêmes annonces de fin du monde? Depuis, pourtant, la France a battu tous ses records de levées de fonds, plus quelques très beaux succès avérés. Dans un an les mêmes articles seront resservis en remplaçant Save ou Giroptic par le nom d’un futur échec emblématique (prédiction folle: il y aura d’autres échecs).

 

Je ne plains pas les entrepreneurs qui échouent: ils savent pourquoi ils signent. Et ils ont leur part de responsabilité. Je les respecte car ils sont remarquables d’avoir essayé tout en connaissant les règles. Ils sont souvent héroïques dans leur lutte et sortent à la fois meurtris et grandis par l’épreuve. Ils ne sont les annonciateurs d’aucun hiver nucléaire, ni les indicateurs d’aucune faillite systémique; ils sont juste la preuve de l’extrême difficulté du modèle dans lequel ils se sont exposés.

“Startup”, c’est une mode?

Oui.

Plus juste: l’authentique vague de fond qui remue notre pays en rendant l’entreprenariat enfin ubiquitaire s’accompagne d’un florilège de paillettes et d’effets de manche.

On est passé de pas grand chose à un peu trop; en très peu de temps.

C’est vrai, surfant cette vague, il y a abondance de création d’entreprises parfois opportunistes, marginales voire perdues d’avance; abondance de codes, d’artefacts culturels, de miel d’acacia au CES (© Carlos); et puis les chapelles, les gourous, les loueurs de pelles (en 2018 on ne vend plus, ou loue; celle des autres même), les panthéons girouettes, les superficialités, les excès. Abondance enfin de recyclage, de récupération médiatique, politique, sociale.

Moi ça ne me gêne pas.

Je ne suis pas fan de cette mode (le vendredi soir, ça commence même à me fatiguer grave …). Mais je ne pense pas que ce soit un mal et si c’était un mal, il serait pour un bien: la qualité de nos futurs startups viendra, aussi, de la quantité de ceux qui rentrent dans le jeu; alors laissons le jeu grand ouvert. Qui sommes nous pour dire aux autres comment jouer, pour dire qui est une vraie startup et qui ne l’est pas dans les 10.000 candidats au titre? L’important est de pouvoir choisir nos propres partenaires de jeu — et nous sommes toujours libres de le faire.

La richesse vient de la diversité alors acceptons aussi la diversité de ceux qui rentrent sur le terrain et la diversité des spectateurs qui font du bruit autour: on le sait, c’est toujours dans les gradins que se trouvent les meilleurs arbitres et les meilleurs entraineurs… et ça n’empêche pas les bonnes équipes de s’épanouir.

Ces petits effets de mode sont l’entropie fertilisant le terreau d’un plus grand dessein. Arrêtons de perdre du temps à les analyser: on a mieux à faire pour aider cet écosystème à grandir.

Le contributeur :

Marc Rougier est Partner dans le fonds Elaia Partners depuis 2016.

Il découvre l’entreprenariat au Canada pendant une thèse en Intelligence Artificielle à McGill University qu’il quitte pour créer sa première start-up (contrôle d’automates programmables) en 1990.

Il rejoint ensuite Thales pour une expérience en business development international (Australie, Asie, Afrique et Amérique). En 2000, il co-crée sa seconde startup, Meiosys (virtualisation d’applications), transférée à Palo Alto puis acquise par IBM en 2005. Après deux ans en Corporate Development chez IBM, il co-crée Goojet, un média social mobile, puis Scoop.it, solution de content marketing basée à Toulouse et San Francisco, avant de revenir en France.

Découvrez WE, le nouveau media d'intelligence économique consacré à l'innovation en europe. Retrouvez les informations de plus de 4500 startups et 600 fonds d'investissements Pour en savoir plus, cliquez ici

Un commentaire

  1. Très bien cet article, merci :)
    Il faudra en effet que le système (BPI, pôles, investisseurs, collectivités, banquiers…) résiste au crash d’acteurs même emblématiques…
    Que nous ayons la patience de laisser l’écosystème/terreau de pérenniser : il faut voir à cet égard l’interview de l’universitaire Fred Turner dans le 1 consacré à la Silicon Valley pour ne pas oublier qu’il faut absolument inscrire cette action dans la durée !

Bouton retour en haut de la page
Share This