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Halte au Social Selling bla bla

Par Cyril Bladier, fondateur de Business-on-Line

On entend dire et on lit un peu tout et n’importe quoi autour du social selling. C’est à la mode, il faut en être. Certains voient aussi le social selling comme la solution à leurs problèmes de développement business ou comme une nouvelle mine d’or. D’autres abusent de la méconnaissance du sujet par de nombreux décideurs pour vendre des prestations pas toujours efficaces ni pertinentes. Mise au point.

J’ai fait une «école de commerce», mais tout le monde sait qu’on y apprend énormément de choses, sauf à commercer, à vendre. En 4 ans d’études, en France et à l’étranger, pas 1 heure de cours sur la vente. Les métiers commerciaux étaient même vus de haut par de nombreux étudiants et professeurs.

Ensuite, j’ai passé toute ma carrière salariée principalement dans des fonctions commerciales en gravissant les échelons les uns après les autres depuis le poste de commercial jusqu’à Directeur de Business Unit où j’avais sous ma responsabilité l’avant vente (prescription), la vente, l’administration des ventes, le SAV et le marketing. J’ai vendu et managé des forces de vente jusqu’à 100 commerciaux dans des contextes de BtoB vente directe et via réseaux de distribution. C’est donc naturellement que quand j’ai créé mon activité en 2009, j’ai associé un de mes savoir-faire (la vente) avec mon nouveau métier (le Web et les réseaux sociaux).

J’ai publié mes premiers articles sur le social selling en 2012. A l’époque (voir graphique Google Trends ci-dessous), le sujet n’intéressait personne. J’ai fait ma première intervention sur le sujet chez Oracle, en anglais, en Janvier 2013.

Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de demandes sur ce sujet: 555.000 résultats Google sur «social selling»; 2.124 profils LinkedIn en France qui contiennent l’expression «social selling».

On dit et on lit que le Social Selling est devenu incontournable. Je ne sais pas si c’est le cas. Selon l’étude sur la génération de leads publiée par Companeo en Juillet 2017, 60% des commerciaux n’utilisent pas les réseaux sociaux en lead gen. C’est effectivement incontournable d’en parler et d’avoir un avis sur le sujet, dans la réalité du quotidien de l’entreprise, on en est encore très loin.

Il y a pas mal de «problèmes» avec le social selling:

  • Beaucoup d’experts auto proclamés qui n’y connaissent rien voire n’y comprennent rien et qui comme dans tous les domaines du Web (développement de sites, référencement, publicité, contenu, inbound marketing…) font plus de mal que de bien en voulant surfer sur une vague porteuse et en profitant du fait que la majorité des décideurs n’est pas très connaisseur des sujets digitaux. Un peu comme si je donnais des cours de pilotage de Formule1 parce que j’ai lu la biographie d’Alain Prost.
  • Des «experts» auto proclamés qui n’ont jamais rien vendu de leur vie, n’ont jamais été en face d’un client.
  • Des pseudos «experts» mis en avant et cités comme exemples dans des interviews, des petits déjeuners ou des conférences.
  • Des décideurs peu formés, n’ayant pas les clés ni les codes pour comprendre.
  • Des décideurs ou des managers qui pensent que faire du social selling cela revient à avoir un beau profil LinkedIn. Utiliser LinkedIn dans sa démarche commerciale, cela peut se faire et c’est très bien si c’est bien fait. Mais le social selling ne se limite pas à cela.
  • Des organisations qui veulent passer au social selling sans repenser le mode de management de leurs commerciaux.
  • Des bourrins, on en a des exemples réguliers, qui prennent LinkedIn comme nouvel outil de spam, en remplacement du téléphone.
  • Beaucoup de chiffres circulent autour de l’efficacité du social selling, mais ces chiffres viennent d’études US ou de solutions de social selling (qui vous diront surtout que ça marche). Mais, à ma connaissance, aucune étude sérieuse n’a été menée en France sur le sujet ou ne serait-ce que sur la performance commerciale réelle de LinkedIn.

 

Les acheteurs vont s’auto former et vont s’informer en ligne. C’est vrai. L’info est accessible en 1 clic. Ils le savent et ils le font. Mais ces besoins de formation, d’information de compréhension, de comparaison en ligne, se font généralement via un moteur de recherche. On va sur Google avec une intention (information, comparaison, achat). On ne va pas principalement sur LinkedIn ou Facebook pour cela. Croire que des acheteurs iraient sur LinkedIn pour chercher un prestataire et qu’ils pourraient nous trouver si on a un profil bien fait est une erreur. D’anciens de LinkedIn m’ont indiqué que la recherche de prestataire existe mais que c’est un épiphénomène.

En revanche ce qui est très probable c’est qu’un décideur aille vérifier un profil sur LinkedIn (et dans ce cas le profil doit être clair et irréprochable) ou qu’il aille lire des articles ou des contributions quitte à contacter ensuite un rédacteur dont l’avis l’aura séduit.

On lit que 90% des décideurs ne répondent pas à une prospection commerciale à froid. Mais on lit aussi (études de companeo et d’iko) que le téléphone reste encore très efficace et que dans tous les cas, il donne encore de meilleurs résultats que les réseaux sociaux.

Etude été 2017 de Companeo:

Ce qui fonctionne pour prospecter les directeurs marketing selon iko:

Et pour prospecter les directeurs généraux (toujours selon iko):

On lit aussi que l’email de prospection ne marche pas, mais une étude de début d’année indique que selon les directeurs marketing en France, c’est le levier le plus rentable.

On en est encore à séparer BtoB et BtoC. Je ne partage pas du tout cette opposition. Pour moi, la distinction ne se fait pas entre BtoB et BtoC. La question n’est pas d’être en BtoB ou en BtoC, la question est la typologie d’achat et le niveau d’implication de l’acheteur dans le processus d’achat. Pour les PGC (Produits de Grande Consommation), le niveau d’implication est, je pense, moins élevé. On peut être attaché à une marque mais on ne va a priori pas passer des heures en recherche d’informations pour savoir si on achète le produit A ou B. En revanche, quand en BtoC on est sur un achat impliquant: voiture, électroménager, ameublement, voyage… on est dans un processus de recherche d’informations et de comparaison assez proche de celui d’un acheteur BtoB. Il y a moins de décideurs, le cycle d’achat est moins long, les critères de choix peuvent être différents, mais le processus de recherche, d’information, de compréhension, de comparaison et de sélection est assez proche.

Ce qui est clair en revanche, c’est qu’on est passé au pré achat: dans des cas de plus en plus nombreux, aussi bien en BtoB qu’en BtoC, le vendeur n’est plus qu’un preneur d’ordre. L’acheteur ou le consommateur a déjà fait tout son travail de recherche et de sélection en ligne et le commercial ne devient qu’un preneur d’ordre.

Ce qui est clair également, c’est qu’on est dans une démarche Push à outrance. Une directrice marketing dans un grand groupe de FMCG (Fast Moving Consumer Goods) me disait que c’est ce qui marche encore le mieux aujourd’hui sur le Web pour ce type de produit: du mass media, de l’achat d’espace, de la part de voix. De plus pour ces produits, le coût d’acquisition unitaire est souvent très faible et que la conversion est difficile à mesurer. On ne peut pas cibler 1 consommateur, on est encore dans une logique où il faut toucher le plus de monde possible. Le consommateur peut passer 2 heures à tout lire sur un produit sur un site, le choix final se fait souvent sur le point de vente : rupture, promotion concurrente… En revanche, pour le BtoB et pour les achats impliquants en BtoC, le Push est nettement moins efficace (et souvent plus cher) que le Pull, même si l’immense majorité des opérateurs reste dans une logique très push. Le data marketing par exemple, basé sur une démarche orientée clients donne d’excellents résultats.

Je ne critique absolument pas et je ne remets pas du tout en cause le social selling, mais l’usage qui en fait ou qui est mis en avant par certains.

Le social selling, comme les réseaux sociaux d’une manière générale peuvent donner d’excellents résultats s’ils sont bien utilisés, comme ils peuvent très bien ne rien donner du tout. Mes articles m’ont apporté énormément de contacts, de connexions, de rencontres passionnantes, d’interviews, de conférences, de rendez-vous, de business… Mais un DG de PME que j’ai rencontré récemment m’indiquait avoir publié 2 articles par semaine pendant 1 an (soit en gros 2 fois plus que moi). Ce sont de bons articles, qui répondent à des enjeux RH, bien écrits avec de belles photos. Sans aller jusqu’à un client ou un lead, cela ne lui a même pas apporté un contact.

J’ai rencontré des commerciaux qui font «ce qu’il ne faut pas faire»: de l’approche directe de prospects par LinkedIn et qui ont des RV. Il y en a même un qui a généré 150 000 euros de marge à la suite d’un RV avec un prospect approché directement sur LindedIn. Et je rencontre d’autres commerciaux dont l’approche directe ne donne absolument rien.

Arrêtez aussi de lire les stats. J’ai lu plusieurs études disant que les réseaux sociaux n’apportaient aucun business, une bonne partie de mes clients viennent des réseaux sociaux. On dit de ne pas publier le jeudi, c’est le plus mauvais jour: mon post qui a le mieux fonctionné et de loin a été publié un jeudi. Si 60% des interrogés constatent quelque chose, vous faites peut être partie des 40% autres. Les réseaux sociaux, c’est du Test and Learn.

Le social selling ne se limite pas à du LinkedIn Selling; le social selling ce n’est pas profiter d’une facilité d’accès à des prospects pour se comporter en troll en les spammant ; le social selling ce n’est pas balancer du contenu à tort et à travers en espérant que «ça morde»; le social selling ne transforme pas les fondamentaux de la vente (aider ses clients plutôt que vouloir à tout prix leur soutirer un bon de commande, montrer un intérêt sincère pour la problématique de ses clients, adapter son discours, écouter, comprendre les contraintes et les enjeux, expliquer, argumenter…).

Le social selling n’est pas un changement de la vente. Le social selling c’est écouter, accompagner, faire de la pédagogie, s’adapter aux besoins, comprendre le contexte de ses clients, faire la veille, partager, c’est du WIFT (What’s In For Them) et non du WIFM (What’s In For Me), c’est ne pas voir que des euros dans les yeux de ses clients.

L’idéal, c’est d’avoir tellement bien fait son travail qu’on se «fait acheter».

Le contributeur :

Après 15 de Direction Commerciale et Marketing en BtoB, Cyril Bladier a créé Business-on-Line; agence digitale en réseau. Il est spécialisé dans les stratégies digitales et expert de LinkedIn. Professeur à HEC / Google@HEC / ESCP / Neoma BS, il anime des conférences et accompagne entrepreneurs, dirigeants et entreprises dans leurs stratégies digitales (BtoB, BtoC, RH). Il anime le blog B2B. Il a co-écrit «Réussir avec les Réseaux Sociaux» (L’Express Réussir) et «Le Marketing de Soi» (Eyrolles, 01/2014). Il a écrit «La Boîte à Outils des Réseaux Sociaux» (Dunod, 02/2012), nominé pour le prix «Livre influent de l’année 2012 dans le digital» du HubForum; et La Boîte à Outils des Réseaux Sociaux_ Edition 2014 (Dunod, 01/2014). Il est membre fondateur et membre du bureau de l’Association Française des Décideurs du Digital.

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Un commentaire

  1. Bonjour, Cyril
    j’ai particulièrement apprécié cet article qui remet bien les fondamentaux à leur place.
    Il y a tout à perdre de prendre le « social selling » comme une simple technique à la mode et massive. Le « social selling » est avant tout un état d’esprit avec, certes, ses codes (de temps en temps un peu énervants) . Mais l’utilisation, entre autres, des outils comme Linkedin est fabuleuse pour peu que l’on soit dans ce que vous appelez le « Test and Learn »

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