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IA de défense : jusqu’où l’État peut-il collaborer avec le privé sans compromettre sa souveraineté ?

Il y a tout juste un an, en mars 2024, le ministère des Armées officialisait sa stratégie ministérielle en matière d’intelligence artificielle de défense, marquant une accélération dans l’intégration des technologies d’IA au sein des forces armées françaises. Deux mois plus tard, l’Agence ministérielle de l’IA de défense (AMIAD) voyait le jour, avec pour mission de structurer le développement et l’adoption des outils algorithmiques dans un cadre souverain. Mais dans un domaine où la sécurité nationale est en jeu, l’État peut-il réellement s’appuyer sur des acteurs privés sans mettre en péril sa maîtrise technologique et stratégique ? c’est l’un des points abordés par Olivia Penichou, déléguée à l’information et à la communication de la Défense et Bertrand Rondepierre, directeur de l’Agence ministérielle pour l’intelligence artificielle de Défense (Amiad) dans un point presse la semaine dernière.

Un équilibre délicat entre autonomie et collaboration

En amont du Sommet pour l’Action dans l’IA, Bertrand Rondepierre, directeur de l’AMIAD, a posé les bases d’une politique industrielle hybride articulant développement interne et collaboration avec le secteur privé, politique industrielle en matière d’IA de défense, qui sera développée plus précisément dans les prochaines semaines, une fois le Sommet passé. Loin d’une doctrine rigide, il insiste sur une approche pragmatique :

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« Sur des domaines qui sont éminemment régaliens et sensibles, voire trop confidentiels même pour en parler, il y a des choses que nous ne pourrons ni déléguer ni partager avec des industriels. »

L’IA appliquée au renseignement, aux systèmes de commandement stratégiques ou encore aux opérations cybernétiques fait partie des domaines où l’État conserve la main, à l’abri des interférences extérieures. En revanche, des champs plus ouverts, comme la logistique, la maintenance prédictive ou l’analyse de données opérationnelles, peuvent bénéficier des avancées du secteur privé.

L’AMIAD, un outil stratégique pour la souveraineté numérique

C’est dans cette optique que le ministère a lancé l’Agence ministérielle de l’intelligence artificielle de défense (AMIAD) en mai 2024. Conçue comme un pilier central de l’IA de défense française, cette entité a pour mission d’assurer la montée en puissance des capacités IA au sein des forces armées. Elle joue un rôle de coordination entre les différentes branches du ministère, les forces opérationnelles et les acteurs industriels, afin d’accélérer le développement et l’adoption des technologies d’intelligence artificielle dans un cadre souverain et sécurisé.

L’AMIAD ne se limite pas à la gestion des projets internes, elle agit également comme un pont entre innovation civile et besoins militaires. Son rôle est d’identifier les domaines où l’armée peut bénéficier des avancées du secteur privé sans compromettre ses exigences stratégiques. Elle permet ainsi d’adopter une approche différenciée : certaines technologies peuvent être externalisées, tandis que d’autres, plus sensibles, restent sous contrôle exclusif du ministère.

Le partenariat avec Mistral AI : un modèle de coopération maîtrisée

La récente collaboration entre l’AMIAD et Mistral AI, annoncée par le ministère, illustre cette dynamique de co-construction technologique entre puissance publique et entreprise privée. L’objectif n’est pas de sous-traiter l’IA de défense, mais bien d’intégrer des modèles de pointe tout en assurant un contrôle étroit sur leur adaptation aux besoins militaires.

« Ce que nous apportons, c’est toute la connaissance du ministère et des usages très spécifiques qu’on a, et sur lesquels eux ne sont pas compétents, » explique Bertrand Rondepierre. « En échange, Mistral AI nous fait bénéficier de modèles à l’état de l’art, ce qui évite de réinventer ce qui existe déjà. »

Cette logique repose sur un triptyque structurant :

  • L’expertise métier du ministère sur les enjeux militaires,
  • L’accès aux données pour entraîner les modèles sur des scénarios spécifiques,
  • L’infrastructure sécurisée permettant d’exécuter ces algorithmes dans un cadre souverain.

Une grille d’évaluation stricte : coût, délai, performance et confiance

Mais jusqu’où peut aller cette externalisation maîtrisée ? Pour éviter tout risque de dépendance excessive ou de dilution du contrôle souverain, le ministère applique une grille d’évaluation rigoureuse à chaque projet. Quatre critères sont systématiquement pris en compte :

  • Le coût, pour garantir une soutenabilité budgétaire,
  • Le délai, afin de répondre aux besoins opérationnels sans inertie excessive,
  • La performance, pour assurer l’efficacité des outils développés,
  • La confiance, critère central pour déterminer le niveau d’implication du privé.

« Il n’est pas question de créer des rentes de situation ou de confier des prérogatives stratégiques à des industriels. Chaque décision est prise selon un cadre strict, où l’impératif de souveraineté prime sur toute autre considération, » souligne Bertrand Rondepierre.

Vers une IA de défense européenne ?

Au-delà de la question nationale, la coopération industrielle en IA de défense s’inscrit également dans une logique européenne et internationale. L’ambition affichée du ministère est de soutenir l’émergence d’un écosystème compétitif à l’échelle du continent, pour ne pas se retrouver dépendant des acteurs américains (OpenAI, Palantir) ou chinois (Huawei, SenseTime).

« Nous devons accompagner nos partenaires industriels à l’international, tout en veillant à préserver nos intérêts stratégiques. La dynamique IA est globale, il serait naïf de penser qu’elle se limite aux frontières nationales, » rappelle Bertrand Rondepierre.

Mais cette ouverture comporte aussi des risques : quelle part des données et de l’expertise métier peut-on partager avec des entreprises étrangères ? Jusqu’où la France peut-elle aller sans perdre le contrôle sur ses propres technologies ? De nombreuses questions sont encore en suspens.

 

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