iBeacon, Web-to-Store… Comment la grande distribution affronte les pure players
La grande distribution a longtemps été à la traine. Les grandes surfaces n’ont pas vu venir le e-commerce et ce sont rendues compte un peu tard que les habitudes de consommation allaient changer durablement. Heureusement, nous parlons ici d’une industrie solide de plus de 600 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel en Europe qui s’est finalement remise en question, avec succès.
Nous sommes à la fin des années 90, eBay et Amazon explosent en Bourse, Auchan et Carrefour lancent leurs sites de vente en ligne. Cinq ans de retard au bas mot qui ne seront jamais rattrapé. Trop occupé à mener le combat sur le terrain du hard-discount venu d’Allemagne, la grande distribution française se contente de maintenir une présence minimale sur la toile. En 2008, des sites tel que Ooshop.com ou Auchandirect.fr ne sont pas les vecteurs de croissances attendus pour deux raisons :
- Aucune grande surface n’a résolu le problème du dernier kilomètre sur les livraisons alimentaires et produits frais ;
- Les plateformes e-commerce de la grande distribution sont complètement dépassées et ne peuvent pas rivaliser avec les performances de conversion des pure players.
Heureusement, la crise de 2008 met un terme à ce gaspillage économique. La grande distribution prend conscience qu’elle ne rattrapera jamais son retard sur le champ de bataille du e-commerce et change donc de stratégie. Désormais, la question n’est plus de concurrencer les géants du Web sur leur terrain de jeu mais de déplacer la bataille numérique dans les allées des grandes surfaces.
Remettons néanmoins les choses dans leur contexte. Le e-commerce européen en 2008 c’est 117 milliards d’euros de chiffre d’affaire. La grande distribution représente plus du quintuple à 680 milliards d’euros. Les marges opérationnelles étant plus importantes dans la grande distribution (environ 4% pour la GDS contre 2,5% pour les PP), le problème n’est pas le cash mais bien la croissance. Quand le e-commerce maintient une croissance à deux chiffres, la grande distribution stagne péniblement sous les 5% les bonnes années. Il est donc grand temps de se réinventer et de maintenir l’avance !
Et tout commença par le cross-canal
Les grandes surfaces ne rattraperont jamais les pure players sur le plan technique. Tout simplement parce ça n’est pas leur métier de vendre en ligne. Leur métier, c’est de remplir les caddies des dizaines de millions de Français qui font encore leurs courses en grandes surfaces. Et de maintenir cette fréquentation dans la mesure du possible.
Avant-achat :
Les grandes surfaces ont permis aux consommateurs de préparer les courses avant achat. Progressivement, le niveau d’information par produit disponible online a rattrapé celui du e-commerce. Les catalogues utilisant la technologie Flash ont été rendus natifs afin que l’expérience client soit fluidifiée. Des applications utilisables ont été crées.
Les promotions et autres offres spéciales, sur lesquelles reposent encore beaucoup les grandes surfaces, ont été mieux ciblées et surtout mieux distribuées.
Les grandes surfaces ont été connectées aux plateformes e-commerce afin que des informations comme la disponibilité ou le stock soit facilement accessible depuis son canapé.
Progressivement, les grandes surfaces ont permis aux consommateurs de réserver puis d’acheter un produit en ligne avant de récupérer ses achats en magasin.
Pendant l’achat :
L’expérience client a aussi été améliorée pendant vos achats avec le déploiement de bornes connectées dans les magasins pour vous permettre de chercher un produit voire comparer les prix.
Les vendeurs ont été mieux formés et connectés afin que le syndrome du « client qui sait mieux » disparaisse progressivement.
Les caisses automatiques ont été déployées en nombres pour accélérer les passages en caisse. Des services de « conciergerie » (livraison de la caisse au coffre de la voiture par exemple) ont été déployés avec plus ou moins de succès selon les grandes surfaces.
Le hard-discount ayant montré ses limites, presque tous les groupes de grande distribution ont entamés des politiques de rénovation et de modernisation de leurs grandes surfaces. Des allées plus large, un meilleur éclairage, des produits mieux mis en valeur… L’expérience client est enfin au centre de la stratégie.
Après l’achat :
Les services après-vente ont été mis à niveau, notamment en les rendant accessible sur la toile et, encore, en les connectant avec les grandes surfaces et les comptes clients.
Ces mêmes comptes-clients, maintenant unifiés, ont permis de développer les cartes de fidélités et de récolter toujours plus d’informations sur les comportements clients. Ce qui donne lieu à un ciblage plus précis pour vos prochains achats. La boucle de la consommation continue.
Bref, l’expérience client Web que les grandes surfaces étaient incapables de reproduire sur leurs plateformes onlines a été reproduite autour des magasins physiques, et avec un certain succès.
Si vous êtes un habitué des processus e-commerce, tout cela vous semble évident. Mais encore une fois, il faut se replonger dans le contexte. Un site comme Cdiscount c’est quelques milliers d’employés, une histoire jeune (1999) et donc une flexibilité extrême. Le groupe Carrefour existe depuis 1959 et emploi 115 000 personnes en France. L’inertie n’est pas la même et il a fallu des années pour que les grandes surfaces se renouvellent intelligemment devant les habitudes de consommation.
Martin Toulemonde en témoigne, si Gérard Mulliez en personne ne lui avait pas donné l’autonomie de créer les Chronodrives en les séparant de l’organigramme du groupe, ces derniers n’existeraient probablement pas.
Qu’est ce qu’un bon site e-commerce si ce n’est un site ou le processus d’achat est fluide ? Combien d’ingénieurs Amazon passent leur temps à comprendre où sont les freins dans le processus d’achat et comment ces freins peuvent-être supprimés ? L’AJAX par exemple, a permis de fluidifier le processus d’ajout d’un produit au panier. Comment ajouter facilement au panier dans une grande surface, quand le panier est physique ? En livrant le panier directement dans votre coffre de voiture !
Bienvenue dans l’ère des Drives…
Ces entrepôts ou le consommateur ne met pas les pieds présentent de nombreux avantages pour les grandes surfaces.
L’avantage est d’abord financier. Plus besoins de surface de ventes de milliers de mètres carrés qui doivent être rangées et nettoyées en permanence par de nombreux employés. Plus de parking de milliers places impossible à créer en zone urbaine. L’investissement foncier et humain est bien moindre et donc plus facile à rentabiliser. Les Drives, quand ils ne sont pas développés sur les mêmes zones que les grandes surfaces, sont implantés plus proche des zones urbaines afin de rapprocher la marque du consommateur.
L’avantage est aussi psychologique. Plus besoin de convaincre le consommateur de gâcher sa soirée en arpentant des allées bondées. Vous pouvez désormais faire la même chose depuis votre canapé et passer chercher les produits quand bon vous semble. Le processus d’achat est simplifié et vous pouvez en quelques clicks commander la même liste que la fois précédente, du moins pour les Drives intelligents. La rétention est d’ailleurs excellente sur ces plateformes.
Le nombre de Drive en France a explosé. De quelques centaines en 2010, nous en recensions 3400 au mois d’Avril 2015. Cette explosion relativement récente est due à plusieurs facteurs.
Premièrement, l’habitude de faire ses courses aux supermarchés est une habitude profondément ancrée dans la société française. Il a donc fallu plusieurs années pour convaincre le consommateur d’essayer. Encore aujourd’hui, les Drives sont principalement utilisés chez les CSP+, catégorie sociale qui change ses habitudes de consommation plus facilement.
Deuxièmement, la grande distribution a encore eu du mal à se mettre au niveau sur le plan technique. Pendant plusieurs années, alors que l’écosystème e-commerce parlait mobile et application, les sites de vente de Drives étaient absolument inutilisables sur des périphériques mobiles. L’expérience client était un désastre qui a nécessité quelques années et beaucoup de dépenses marketing pour se faire oublier.
Aujourd’hui les Drives restent un facteur de croissance important pour la grande distribution, même s’ils représentent un faible pourcentage de leurs chiffres d’affaires (4% en 2014), leur croissance est importante puisque de 25% annuel (2014). En 2015, les grandes surfaces devraient stabiliser le nombre d’ouverture de Drive et travailler au développement de leurs clientèles.
Nous l’avons vu, le renouvellement des grandes surfaces a d’abord commencé avec un changement de stratégie. La situation s’est débloquée lorsqu’elles se sont concentrées sur leur cœur de métier plutôt que de vouloir se réinventer en ligne.
Il reste néanmoins de grands défis à relever par la grande distribution car si elles ont réussi à retrouver la croissance en se réinventant, elles n’ont pas ralenti la croissance des pure players pour autant. Leur potentiel de croissance et d’évolution est cependant encore assez large.
Tour d’horizon
Beacon
Après des années d’expérimentation, la technologie Beacon devrait être déployée de façon plus large dans les grandes surfaces. Ces petites balises (beacon en anglais) vont permettre aux grandes surfaces de tracker le consommateur dans les rayons. Vous pourrez donc recevoir une promotion pour une gamme de produit que vous êtes en train de regarder ou bénéficier d’un guidage « GPS » à partir d’une liste de course. En terme d’analyse comportementale, il s’agit d’une mine d’or pour les grandes surfaces.
Click’n’collect
Les grandes surfaces ayant enfin digérées leur échec des années 2000, la réconciliation avec les pure players se fait progressivement. De plus en plus de grandes surfaces mettent à disposition des casiers ou vous pouvez récupérer vos achats fait en ligne. Quand on sait que 26% des consommateurs passant par ces casiers en profitent pour faire des achats en magasin, il aurait été dommage de s’en priver…
Web-to-Store
Les évolutions click’n’collect et Web to Store permettent par ailleurs aux grandes surfaces de travailler sur une problématique plus complexe de zones commerciales. En province plus particulièrement, les nombreux magasins (parfums, jeux vidéos, mode etc…) que vous trouvez en face des grandes surfaces louent leurs boutiques… aux groupes immobiliers de la grande distribution. Or, ces commerces sont les premiers à souffrir de la concurrence de l’e-commerce et de la baisse de fréquentation des grandes surfaces. Les grands groupes doivent donc trouver des solutions pour que leurs clients continuent de consommer chez leurs locataires. Le web to store est l’une de ces solutions et le site Aushopping, qui vous permet d’acheter dans les zones commerciales Auchan en est un bon exemple.
En quinze ans, les grandes surfaces ont profondément évolué. Cette évolution a été longue et douloureuse mais est désormais bien en place. Le plus compliqué fût finalement de comprendre que le combat pure player était perdu d’avance et que la priorité était d’améliorer l’expérience client dans les allées des grandes surfaces. La prochaine bataille s’annonce passionnante puisque cette fois-ci, c’est le géant du web Amazon qui débarque sur les plates bandes alimentaires des grandes surfaces françaises.
Pierre Aurèle Martin travaille depuis près de 10 ans dans l’e-commerce où il accompagne des grands comptes dans le développement de leurs ventes. Spécialisé ces dernières années dans l’analyse comportementale pour la grande distribution, il a récemment fondé ZOKS Media qui accompagne ces mêmes entreprises dans leur communication digitale.
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