Cyrille FrankLes Experts

Information des Français en 2019: des disparités d’usage qui s’accentuent

Par Cyrille Frank, fondateur de Mediaculture.fr

Quels sont les modes d’information des Français à la veille de 2020? Le dernier rapport de l’Arcep apporte beaucoup d’enseignements, des confirmations et balaye quelques idées reçues.

7 décembre 2019. J’ai mis la main aujourd’hui sur la 19e édition du baromètre numérique de l’Arcep et l’Agence du numérique paru le 27 novembre 2019. Si intéressant, que je me suis surpris à en faire un décryptage détaillé, via un thread sur Twitter.

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Voici la synthèse de ce fil de tweets, en 16 points clés.

1. La télé n’es pas morte! Mais est surtout regardée par les plus âgés et les moins diplômés 

La télé est l’outil d’info ultra-dominant des non et peu diplômés (9 à 10 fois plus important que la radio et Internet.

Les réseaux sociaux comme outil pour s’informer sont quasiment ignorés de ce public.

La radio et la presse sont peu consultés par les 12-24 ans. Internet est roi pour les 18-24 ans mais est globalement plus mixte socialement.

Par ailleurs, le replay, la VOD et le streaming redonnent de la vigueur au vieux téléviseur. Si les jeunes de 12-24 ans regardent beaucoup moins la télé que leurs aînés (25-39 ans), ils restent 60% à le quand même via ces usages.

2. La personne touchée par l’illectronisme est plutôt une femme âgée 

Cet autre graphique est édifiant. Il dessine le portrait robot des principales victimes “d’illectronisme” :

Il s’agit d’une femme âgée (70 ans et plus), non-diplômée, habitant une petite ville rurale ou de taille intermédiaire (la fameuse France péri-urbaine).

3. Fin de l’utopie technologiste, méfiance des plus fragiles 

On note une baisse notable de l’optimisme des Français depuis dix ans, face aux nouvelles technologies. C’est la fin des utopies de l’accès à tous à l’information et de la concorde mondiale.

Mais il y a une polarisation sociale sur cette question. Evidemment, les plus pessimistes sont ceux qui pâtissent le plus de la mondialisation, les moins armés pour y faire face: les moins diplômés.

Il y a aussi un facteur générationnel à cette méfiance: les plus âgés, là aussi plus en difficulté face aux outils numériques qu’ils maîtrisent mal.

4. L’équipement en smartphone dépend surtout de l’âge et du niveau d’instruction 

L’âge et le niveau de diplôme sont les critères déterminants du taux d’équipement du smartphone, et pas tant le niveau de revenus. Les prix des smartphones et abonnements se sont en effet beaucoup démocratisés.

Il n’en va pas de même pour l’ordinateur qui reste un produit de consommation cher qui freine son adoption par les moins fortunés. C’est d’ailleurs l’une des raisons de la percée du smartphone dans toutes les classes sociales: l’arbitrage économique par rapport au PC.

Il y a un rapport direct entre l’usage internet et le niveau scolaire, l’âge et la localisation géographique. Sous la moyenne (en gris), on retrouve la France “déclassée”, péri-urbaine, isolée, pauvre et/ou âgée.

5. L’absence de diplôme est un critère clé de la déconnexion 

On voit que les moins connectés – hormis les personnes âgées – sont les non-diplômés. Il y a là un facteur d’aggravation des inégalités socio-culturelles pour ceux qui décrochent (12 à 15% des Français scolarisés).

Le monde est de fait de plus en plus numérique, qu’il s’agisse de l’univers professionnel ou personnel, notamment les relations avec l’administration, les services publics uniquement accessibles en ligne, de plus en plus.

6. L’inégalité géographique d’accès au réseau renforce les inégalités culturelles 

Il ne faut pas sous-estimer les difficultés d’accès au réseau (14% des Français) qui concernent des zones rurales ou péri-urbaines, c’est à dire les populations les plus pauvres aussi.

7. Les enceintes connectées intéressent une minorité de français 

Les enceintes connectées concernent pour le moment moins d’un Français sur 10, surtout les catégories les plus favorisées. Mais aux Etats-Unis, ce chiffre atteint 25% de la population. Donc il y a une belle progression à envisager.

Toutefois, ce n’est pas gagné, car près de 60% des Français ne voient pas l’intérêt des objets connectés, à ce stade.

8. Les jeunes utilisent de moins en moins l’ordinateur 

Le tandem gagnant du multi-équipement est le smartphone et l’ordinateur, le trio (plus rare et plus âgé) rajoute la tablette.

Mais il est à noter que les 18-39 ans se passent de plus en plus d’ordinateur : par souci d’économie, et parce qu’ils font de plus en plus de choses avec leur smartphone (dont la taille d’écran a augmenté, ainsi que les capacités).

9. Les plus jeunes sont connectés tous les jours

Ce graphique montre une évolution importante: la connexion permanente des plus jeunes, contrairement à la génération précédente. D’autant que les notifications de notre mobile nous accaparent plusieurs milliers de fois par jour selon certaines étudesAvec ce que cela peut parfois impliquer:

▶️ Socialement : compétition-comparaison sociale, contrainte normative encore plus forte, car constante (sur le temps extra-scolaire)
▶️ C
ulturellement : information chaude avant tout, snacking, zapping…
▶️ Psychologiquement : sollicitations émotionnelles, syndrome FOMO, 
dépendances diverses.

10. L’usage des réseaux progresse un peu, dans la classe moyenne-basse 

L’usage des réseaux sociaux est en légère progression (60% des Français), très lié à l’âge (94% des 18-24 ans), mais aussi au niveau d’étude. Les plus gros utilisateurs (72%) sont de niveau Bac. Les non ou peu diplômés sont beaucoup plus rares, ainsi que chez les diplômés du supérieur (-8 points).

Il est étonnant de constater que la sous-instruction est aussi un frein majeur à l’usage des réseaux sociaux, y compris Facebook. Il serait très utile d’en creuser les raisons: manque de maîtrise de l’outil informatique? Manque d’ouverture et repli vers sa tribu proche (joignable par téléphone et WhatsApp)? Autre?

11. La messagerie mobile est en rapide progression

L’usage qui progresse le plus sur mobile, c’est les messageries qui vont probablement dépasser la navigation web l’an prochain en termes de popularité d’usage. Même si la navigation a aussi augmenté (meilleures interfaces de sites? Meilleurs matériels?)

L’usage est dominant chez les jeunes adultes (90% des 18-24 ans).
Cet outil témoigne aussi d’un usage égalitariste : il touche environ 60% de la population, tous types de revenus confondus, excepté les hauts revenus encore plus utilisateurs (72%).

12. Les utilisateurs d’Iphone sont plus riches et plus jeunes

Les utilisateurs d’iPhones sont plus riches, plus diplômés, plus urbains, certes… mais surtout plus jeunes ! Il y a une sur-représentation des 12-24 ans dans les utilisateurs. Effet “hype” d’une communication réussie? 

13. La SVOD progresse vite et touche désormais plus d’un tiers des Français 

Le phénomène culturel de l’année 2018, c’est l’accélération de la hausse des abonnements au SVOD de type Netflix, Canal Play, Amazon etc.(+ 11 points en un an), pour atteindre 36%. Parmi eux, surtout les jeunes adultes de revenus supérieurs.

Ces abonnements pour une bonne partie des Français constituent un arbitrage budgétaire en faveur du divertissement. Ils auront ainsi d’autant plus de mal à s’abonner à un journal/site d’information, car lassés par ces multiples abonnements. C’est ce que le Pew Research Center a appelé la “fatigue de l’abonnement” dans son Digital News Report 2019.

14. Le consommateur de direct sur mobile est jeune, de niveau Bac

Le portrait-type du consommateur d’info live sur les nouveaux supports est un jeune adulte, niveau bac, parisien. Grosse différence là selon niveau d’étude (-7 points pour les diplômés du supérieur).

Les consommateurs de directs en télévision (BFM par exemple), sont surtout des personnes âgées, faiblement diplômés (BEPC). Les non-diplômés sont d’ailleurs moins consommateurs. Cela s’expliquerait-il par le désintérêt plus grand vis-à-vis de l’information en général de ceux-là?

15. Ceux qui s’informent sur Internet ont un niveau scolaire minimum 

Qui s’informe sur Internet? Surtout les 18-40 ans qui ont au moins le BAC. De l’importance d’un socle de connaissances générales pour tirer profit des nouvelles technologies. Cette fameuse “culture générale” qui ne sert à rien, et sert à tout.

16. La télévision reste le principal outil de compréhension de l’acte des Français 

La télévision, même en recul de deux points, reste le principal outil de compréhension de l’info des Français, mais l’écart avec Internet est plus réduit avec la presse que sur le suivi. La radio et Internet sont en recul. Le seul média bénéficiaire est le le livre!

A noter la hausse (+2 points) de ceux qui ne savent pas où trouver de l’explication!

Quand on voit l’importance de la télé sur l’information des plus fragiles, on mesure le travail qu’il reste à faire au service public en termes de pédagogie pour apporter de l’explication accessible.

D’autant que la télévision reste le média en lequel les Français ont le plus confiance (en général), en particulier les catégories sociales les plus défavorisées. Les plus instruits/riches privilégiant la presse écrite et la radio.

Conclusion:

Ce rapport ne fait hélas que confirmer ce que j’écrivais en juillet 2017 à propos du risque d’accentuation des inégalités d’accès à l’info, étant donné la fin de l’info gratuite financée par la publicité. D’où la nécessité d’améliorer la qualité de l’information de service public, surtout en télévision. Les messageries mobile sont aussi un outil très intéressant pour toucher le plus grand nombre. Reste à innover sur les formats et la pédagogie pour apporter de la profondeur, sans rebuter les moins instruits. Il y va de la cohésion sociale, car on voit où mène les inégalités socio-culturelles : l’incommunicabilité et la violence sociale, comme en témoignent les gilets jaunes.

L’expert :

Cyrille Frank (@cyceron) est Journaliste, formateur, consultant – Co-fondateur de Askmedia (quoi.info, Le Parisien Magazine, Pôle dataviz). Formateur aux techniques rédactionnelles plurimédia, au marketing éditorial, au data-journalisme. Consultant en stratégie éditoriale : augmentation de trafic, fidélisation, monétisation d’audience. – Usages des réseaux sociaux (acquisition de trafic, engagement…). Auteur de Mediaculture.fr. Directeur de l’ESJ-Pro Media Paris.

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