«Innovation managériale: sortons de cette logique de pilotage automatique»
Frenchweb publie les bonnes feuilles du nouveau livre (DRH 3.0 – Face aux défis du numérique). Cet ouvrage s’adresse à toutes celles et tous ceux qui ont besoin d’avoir une vision d’ensemble de ce qui se fait aujourd’hui et qui souhaitent définir leurs postures cibles.
Nos entreprises sont bien sûr «pilotées» par la direction et les cadres, lesquels soutiennent la démarche. Mais pas seulement ! Devrions-nous rappeler que, pour beaucoup des axiomes de pilotage et des outils qu’ils sous-tendent, nous nous reposons encore aujourd’hui sur les théories des iconoclastes de la fin du XIXème siècle, lesquels ont inventé les règles et conventions d’un management «moderne»… pour l’époque !
Avons-nous vraiment réinventé ces règles depuis lors? Leurs principes gouvernent invisiblement la façon dont nos entreprises allouent les ressources, établissent les budgets, distribuent le pouvoir, rémunèrent leurs collaborateurs et prennent leurs décisions.
Parlons un peu de l’innovation, credo incontournable de nos organisations. On innove dans le domaine des procédés, des produits et services. On parle même d’innovation stratégique. Mais quid de l’innovation managériale ?
Rappelons que, parmi les iconoclastes, Max Weber, contemporain de Taylor, nous proposait comme modèle universel social « une organisation administrative purement bureaucratique »… « D’un point de vue technique, (seul) capable d’atteindre le plus haut degré d’efficacité (…) le moyen le plus rationnel pour exercer un contrôle nécessaire sur les êtres humains » : division du travail, organisation par postes, structure pyramidale, sélection sur base de compétences techniques et formation intellectuelle, règles strictes et contrôles sur poste… Les règles étaient proposées comme impersonnelles et uniformément appliquées, gages de l’ordre global.
Et maintenant?
Qu’avons-nous inventé depuis ? Ces notions vous paraissent-elles empruntées à la fin du XIXème siècle… ou à nos organisations actuelles ? Serions-nous devenus des archevêques qui s’ignorent ? Gardiens du temple des iconoclastes d’alors ? Ces derniers étaient révolutionnaires pour leur époque. Serions-nous devenus les conservateurs des anciennes théories innovantes ?
Nos principes de contrôle et de pilotage nous rendent myopes : nous ne pensons plus pouvoir inventer. Et d’ailleurs quand le ferions-nous ? Tout est organisé pour s’enchaîner (aux sens propre et figuré). Pourtant, seule l’innovation managériale garantirait un atout concurrentiel durable et difficile à dupliquer ! Et il ne faut pas s’attendre à ce que ceux qui ont approuvé et déployé le modèle fassent germer ce qui pourrait le menacer. Que ferons-nous alors des jeunes « hérétiques » qui attendent autre chose ?
Peut-être que notre réelle « innovation » depuis les années 80 a été d’amplifier certaines contradictions de ces modèles fatigués et anachroniques :
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Demander au management de proximité de favoriser l’innovation, tout en exigeant de lui qu’il applique des méthodes ancestrales ;
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Exercer toujours plus de contrôle tout en favorisant l’autonomie et la créativité ;
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Atteindre les résultats, sans échec… tout en étant toujours plus humain et empathique vis-à-vis des équipes ;
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Suggérer de sortir du cadre, en n’oubliant pas de fournir l’ensemble des reportings préformatés, normés et « indispensables » ;
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Et, surtout, d’être « 1er tout » : Manager 1er RH, 1er financier, 1er leader, 1er commercial, 1er gestionnaire… mais simultanément.
Cela ressemble beaucoup au jeu du « qui perd perd » !
Notre première suggestion serait ainsi simple : sortons de cette logique de pilotage automatique ; sortons de l’industriel triptyque « Prescrire – Contrôler – Motiver » qui trouve aujourd’hui si peu d’écho sur le terrain.
Ceci relève du pari un peu fou et suppose d’avoir affronté préalablement quelques forces obscures :
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Force 1 – « Pourquoi changer ? ». C’est vrai : quelle utilité à être le premier à innover sur des pratiques à haut risque et à forte exposition ? Il faudrait être fou… Et pourtant, c’est ce que vous exigez des équipes en permanence…
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Force 2 – « C’est irréaliste actuellement ! ». Bien sûr, le contexte n’est jamais le bon, ce qui supposerait que le changement soit toujours pour demain ou pour les autres. Et pourtant, c’est bien en période difficile que l’on présage l’avenir. N’est-ce pas en période de crise que l’on peut se permettre d’avoir des idées prohibées en temps normal ?
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Force 3 – « ça a marché jusqu’à présent ». Oui, mais à quel prix ! Si l’Épisode I vous a permis d’apercevoir l’ensemble des stimuli qui déjà frappent à nos portes, comment imaginer que cela puisse durer identiquement encore longtemps ?
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Force 4 – « Personne n’acceptera les impacts ! ». Peut-être ! La perte de contrôle potentielle, voire de pouvoir, aura certainement des impacts mais pouvez-vous imaginer que le système de management de votre entreprise demeure identique ? Ces impacts, qui ne seront que transitoires, ne sont-ils pas, finalement, le prix à payer ?
Une «inéluctable évolution»
Mais, au fait, de quoi parlons-nous ?
De cette inéluctable évolution qui nous fait passer, par une hybridation managériale sensible :
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D’un mode hiérarchique, hérité de l’ère industrielle. Le manager répartit et contrôle. Il maîtrise. Il évalue en « connaissance de cause ».
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À un mode projet, depuis une trentaine d’années. Le manager alloue des ressources. Il évalue les contributions, sans forcément les avoir définies. Il prend les avis des autres.
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Pour enfin atterrir aujourd’hui à un management en réseaux. Et là, danger : le manager n’est plus central ! Par nature, la capacité de conviction doit se substituer à l’injonction. La gestion des relations est prépondérante. La confiance prime. Les logiques de réseaux, informelles par nature, reposent sur le principe d’autonomie
(…)
Nous souhaiterions, en conclusion, insister sur ce qui nous paraît le plus important en matière d’innovation managériale :
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1ère innovation : accepter la remise en cause fondamentale des modes de fonctionnement actuels de nos systèmes de management en cassant le mode « pilotage automatique ».
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2ème innovation : se donner de réelles priorités de transformation au niveau managérial, lesquelles idéalement seraient portées par la Direction.
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3ème innovation : faire muter les habitudes en cassant les codes.
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4ème innovation : accepter que les principes de gestion de l’innovation s’appliquent également au système de management, dont l’acceptation de prendre des risques !
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5ème innovation : le droit à l’erreur doit exister. Changer son ADN, c’est forcément admettre que l’on pourra se tromper. Bousculer son organisation, c’est forcer l’expérimentation pour que chacun puisse s’approprier ces nouveaux paradigmes.
Cela peut paraître évident, mais, au regard de l’ampleur du challenge, il est important de prendre position… avant de saupoudrer de nouvelles actions de formation tous azimuts sur le corps managérial qui a déjà tant à digérer.
Pascal Nicaud est Partner dans le domaine du conseil en RH & Management. Depuis 25 ans, il est spécialisé dans la performance de la fonction RH et le management du capital humain. Diplômé de l’ESIEA, son parcours est fondé sur l’innovation, l’entrepreneuriat et le management (CEGOS, Atos Consulting, fondateur de Lumens Consultants, aujourd’hui Solucom). Il pilota notamment les études de CEGOS sur la Fonction RH. Ses interlocuteurs sont les DG ou les DRH des entreprises qu’il accompagne, depuis la définition des politiques RH jusqu’à leur mise-en-œuvre.
Karim Cherif est Senior Manager dans le domaine du conseil en RH. Depuis plus de 10 ans, il intervient auprès des DRH tant sur l’organisation de la Fonction (missions, services et efficience) que sur l’accompagnement des transformations. Diplômé de Télécom SudParis, son parcours s’est réalisé au sein des sociétés suivantes : IBM Business Consulting, Atos Consulting, Lumens Consultants, aujourd’hui Solucom. Il enseigne au sein de la majeure RH de NEOMA Business School.
Frenchweb se mobilise et organise la cinquième semaine de l’emploi dans le numérique (#SEN5) toute la semaine (portraits, interviews, offres d’emploi, tables rondes…). L’opération #SENFW, destinée à valoriser les opportunités d’emploi dans ce secteur, a lieu tous les 6 mois.
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Bonjour, Je nuancerai un peu en disant que certains groupes, ou PME, et même des industriels, sont déjà dans des nouveaux modèles. Mais en effet, cela reste trop peu étendu. Oui à l’innovation stratégique, oui à l’innovation managériale, le management agile ! Ce que j ‘ai pu observer dans les groupes, est l’acquisition de modèles innovants, pour des opérations, ponctuelles, ou en innovation, et un retour au modèle « prescrire, contrôles, motiver » dès le projet ou la situation résolue. C’est un modèle d’un autre temps, qui ne cesse d’être en échec. La conduite du changement est une démarche qui semble complexe, peu culturelle peut-être, eu égard à nos modèles très hiérarchiques…Ces changements sont inéluctables, car les nouvelles générations n’acceptent pas ces modèles dans lesquels elles ne se reconnaissent pas, une part des séniors non plus d’ailleurs…Je pense que le mouvement est en marche, mais que c’est un peu en combat, et qu’il faudra être…agile !
J’ai l’impression que le modèle des valeurs concurrentes de Quinn rend bien les apparentes contradictions (parlons de tensions) auxquelles est confrontée la fonction managériale et que vous soulignez dans votre article..
https://www.linkedin.com/pulse/le-manager-coach-ne-fait-que-la-moiti%C3%A9-du-travail-robert-duthy?published=t