Instituts de sondage, IA et réseaux sociaux: Ménage à trois?
Trump, Brexit, Turquie, Grèce. Quatre exemples récents de l’incapacité des sondages à prédire correctement le résultat d’une élection décisive.
Devant l’ampleur et la fréquence de ces erreurs, il est légitime de s’interroger sur l’avenir des instituts de sondages à l’ère du tout digital. Pourquoi ont-ils cessé d’être fiables? Et pourront-ils le redevenir?
Pendant des décennies, la mécanique électorale reposait sur un triumvirat bien établi: partis politiques, électeurs et média.
Presse, Télévision, Radio, média de masse par excellence, agissaient comme de puissants champs magnétiques sur les électeurs. Leurs moyens de diffusion finissaient par aligner les citoyens dans le sens d’un des deux partis de gouvernement, tels des électrons dans un accélérateur de particules.
Les journalistes politiques disposaient de la capacité d’influer jusqu’au plus reclus des individus. Bénéficiant d’un accès prioritaire à l’information, de la légitimité de leur statut et de la coopération des gouvernants, ils ont façonné à volonté l’opinion publique.
Et les instituts de sondages ont toujours travaillé étroitement avec les médias de masse. Leurs enquêtes d’opinion sont le sel de tous les chroniqueurs politiques et sont de toutes les unes. Se renvoyant constamment l’ascenseur et se protégeant mutuellement, leurs liens sont si imbriqués que le défaut de l’un a toujours menacé d’entraîner celui de l’autre.
Et c’est précisément ce qui est survenu depuis 10 ans.
Car ce huis clos à trois acteurs a dû accueillir de force un quatrième qui a changé toute la donne: les réseaux sociaux.
Facebook, Twitter, Instagram, WhatsApp, YouTube, Snapchat ont transformé l’électeur de simple récepteur à militant émetteur. Plus de pensée unique. Plus d’avis d’expert. Tout à chacun peut désormais s’exprimer publiquement et atteindre une audience mondiale instantanément. Dans le même temps, l’héritage du «poids des mots et du choc des photos» a été balayé par la tornade des vidéos et des livecast. Plus de réflexions. Que de l’émotion. A bas les neurones. Vive les hormones.
Et puisque tout le monde parle, l’apparence de vérité s’est aussi substituée à la vérification des faits. Le Web et les plateformes sociales sont truffées de fausses informations, de propagandes industrielles alimentées à coup de retouche photo et de montages vidéos bidons. Peu importe, tant que la machine à «like» et à «repost» fonctionne. Plus un post est partagé plus il est certain. Les foules digitales ne recherchent pas le vrai mais le vraisemblable…
Voilà donc nos vénérables instituts de sondages, forts de deux siècles de méthodes d’échantillonnage et d’extrapolation, bardés de statisticiens, soudainement pris de court et devenus incapables de faire des projections fiables.
Non seulement le mode de diffusion a changé brutalement, passant du broadcast au multicast, mais voilà que les sondés sont devenus eux-mêmes des journalistes et que les réseaux sociaux ont accaparé toute l’audience des médias.
Et donc l’heure de leur messe funèbre a-t-elle sonné?
Pour voir de près les progrès de l’Intelligence Artificielle (IA) dans l’industrie de la relation client, je dirais plutôt que c’est une cure de jouvence qui les attend.
il y a de nombreux parallèles entre le marketing politique et le marketing tout court. Les programmes sont des produits. Les élus sont des marques, les électeurs sont des clients et les échéances électorales sont les renouvellements des contrats d’abonnement. Même si les partis n’ont pas encore de service client on peut d’ores et déjà transposer l’impact de l’IA dans les enquêtes de consommateurs vers les enquêtes d’opinion.
A quoi pourrait donc servir l’IA pour les instituts de sondages?
Puisque chaque électeur privé est devenu un émetteur public, il est possible d’accumuler une immense quantité de données sur chacun d’entre eux. Ils ne s’alignent plus sagement comme des électrons, mais leur prolixité les rend de plus en plus prévisibles. Et surtout, ce stock de data permet de bien mieux anticiper les votes de la masse silencieuse des indécis et des abstentionnistes, clés de toutes les grandes élections. L’analyse des like, des post et des commentaires permet de cartographier les comportements et de disposer de modèles d’extrapolation très performants. Et l’IA est imbattable pour rechercher et trouver des patterns sur des masses considérables d’objets et de paramètres. Si l’on ajoute à ce tableau, le cadeau fait par ceux qui postent leur bulletin depuis l’isoloir, on imagine aisément que, non seulement les prédictions seront de nouveau réalistes, mais surtout, elles le seront en temps réel.
La mainmise des médias traditionnels n’est plus. Facebook représente à lui seul 25% de tout le traffic internet mondial. Les frontières de l’information n’existent plus. Le temps de la compréhension a cédé la place à celui de la réaction instantanée. Les indécis changent d’avis sans cesse. Les abstentionnistes sont mobilisables jusqu’au dernier moment. Presse, Radio, Télé ne sont plus les seuls lieux des grands rendez-vous médiatiques. Un live peut réunir des centaines de milliers d’auditeurs sans aucune annonce préalable. Il importe plus d’être sur le lieu d’un événement que d’en comprendre les rouages. Et les réseaux sociaux sont sans concurrence pour propager la psychologie de l’instant.
Donc l’heure de leur messe funèbre est loin d’être venue pour les instituts de sondage. Par contre, celle de leur audience devant le juge des affaires familiales pour acter de leur divorce avec les médias traditionnels a bien sonné!
Jean-David Benichou est le fondateur et president de Via.io. Serial entrepreneur dans les communications électroniques, c'est l'un des 20 business angels les plus actifs en France. Présent au capital de plus de 30 startups, il investit principalement dans l'industrie de l'IA depuis 2015.
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