Interview de Karen McGrane: «Les pratiques d’UX design s’appliquent au contenu autant qu’aux interfaces!»
Interview réalisée par l'USI, Unexpected Source of Inspiration, à retrouver sur leur blog.
Invitée à la conférence USI 2016 pour son expertise UX, Karen McGrane est LA spécialiste en termes de stratégie de contenu, plus particulièrement sur mobile.
En attendant son talk « Content Strategy in a Zombie Apocalypse », nous avons voulu en savoir plus sur son parcours, sa vision du métier et les prochaines tendances de l’UX design.
Qu’est-ce qui vous a plu dans l’UX et la stratégie de contenu en particulier ? Comment en êtes-vous venue à travailler dans ce domaine?
Je fais partie des rares personnes dans cette profession à n’avoir jamais vraiment fait autre chose que ça. J’ai un diplôme d’études supérieures, dans ce que l’on appelait à l’époque « Interaction Personne-Machine et Communication Technique ». En réalité ce n’était rien d’autre que des études d’Expérience Utilisateur, de Design et de Stratégie de Contenu. J’ai fait mes études dans le milieu des années 90 à Rensselaer, une école d’ingénieurs dans l’état de New-York. Là-bas, j’ai acquis les bases solides des principes de design centrés sur l’utilisateur.
De manière générale, beaucoup des principes et pratiques que j’ai vu évoluer plus largement dans le domaine de l’UX ces 20 dernières années sont des choses que j’ai étudiées à l’époque. Je crois que c’est assez rare. La plupart des personnes qui travaillent dans ce secteur ont du apprendre sur le tas et donner sens à la pratique au fur et à mesure. Je suis très reconnaissante d’avoir eu la chance de m’immerger dans les fondamentaux de ce domaine il y a vingt ans, dans le cadre d’un programme d’études supérieures.
Donc ce programme d’études était directement lié au contenu?
Oui. Il y a aux États-Unis une longue tradition dans la communication technique, et dans ce que j’appellerais la discipline rhétorique : comprendre les besoins du lecteur, apprendre à écrire de façon à tester l’expertise, les valeurs et l’esprit du lecteur.
Beaucoup de choses que j’ai pu observer sur le Web en termes d’expérience utilisateur et d’action design viennent tout droit de cette tradition d’écriture en communication technique : comment concevoir son auditoire et se mettre à la place du lecteur, comment écrire et structurer un document de façon à ce que le lecteur comprenne les messages visés.
Un de mes premiers boulot a consisté à tester l’exploitabilité de manuels d’impression. Cette expérience a été fondatrice. Dans un sens, j’ai l’impression que c’est quelque chose qui se perd. On utilise les pratiques de design d’expérience utilisateur comme si ça ne s’appliquait qu’aux interfaces et à l’expérience transaction, et pas nécessairement au contenu en lui-même. C’est pourtant le cas !
Quelles sont les étapes charnières de l’histoire du contenu Web, sur mobile en particulier?
Si l’on se penche sur l’histoire de la gestion de contenu du Web, le milieu des années 90 et le début des années 2000 correspondent à la préhistoire. Il y avait très peu de gestion de contenu, et s’il y en avait, c’était un système d’entreprise complexe qui fonctionnait mal ou qu’il fallait concevoir soi-même ! Beaucoup concevaient leurs propres outils pour créer une interface de gestion pour le contenu Web.
Au cours des dix dernières années, on a pu observer une explosion de produits de gestion de contenu. Comme si tout le monde avait créé son propre CMS et décidé de le mettre en production. Dans un sens, ça a été une très bonne chose pour le Web. Ça a rendu la publication Web beaucoup plus simple.
Mais je crois aussi que la prolifération de ce que j’appellerais des « outils de publication Web » (WordPress, Blogger, tout ce qui utilise un CMS comme s’il n’avait pour seule fonction que de créer des pages internet publiques) a des inconvénients. Le problème de produits de ce genre est qu’ils limitent inévitablement le contenu à un seul format de publication.
Ce serait comme emprunter les mêmes types de modèles que ceux du Print, où contenu et design sont totalement imbriqués. Il est donc très difficile de les penser comme étant des concepts séparés. On a pu voir ça dans l’architecture technique même de ces produits, de ces layouts, de ces modèles de publication…
Aujourd’hui, avec l’avènement du mobile, nous entrons dans une ère où il faut prendre conscience que le contenu ne peut être limité à un seul format de sortie. Parce que par définition, ce contenu va vivre dans de multiples espaces et sur de multiples plateformes.
Ceci a entraîné une très grande évolution dans notre façon de concevoir le contenu et la publication par rapport à notre façon de penser passée.
D’un point de vue technique, cela veut dire que l’on voit plus souvent des outils de publications API-first. Plutôt que d’essayer de traiter contenu et design comme un problème, on les sépare. Il y a d’un côté le CMS, qui a pour unique fonction de gérer le contenu et le répertoire, tandis que le design, le layout et la publication sont gérés par un système distinct.
Cette approche présente aussi des inconvénients, mais si l’on pense aux technologies mobiles, c’est clairement une approche plus facile et simple de concevoir le contenu.
Que pensez-vous des tendances à venir pour l’UX design ? Vers quoi se dirige-t-on ? Sur quoi travaillez-vous déjà?
La croissance est synonyme de fragmentation.
Lorsque j’ai commencé dans ce secteur, j’étais une personne UX. Je pensais que je pouvais, en toute cohérence, exécuter toute une série de tâches de design UX comme des recherches sur les utilisateurs, du prototypage, du design d’interaction, de la stratégie de contenu, du droit d’auteur, des tests d’exploitabilité, etc. Je ne pense pas que quiconque puisse dire ça aujourd’hui. Le secteur s’est développé à tel point qu’il faut plus de spécialistes. Et c’est une bonne chose ! Je suis entièrement pour cette idée parce que la spécialisation implique que l’on nous accorde l’espace et le temps nécessaires pour bien travailler, avec un certain ordre de grandeur. On n’attend pas d’un designer qu’il fasse toutes les activités que j’ai mentionnées.
En même temps, cette fragmentation entraîne la création de silos dans l’industrie. On le remarque tout particulièrement dans la recherche. Il y a une véritable contradiction entre l’idée de vouloir une expertise et des chercheurs spécialisés qui connaissent la bonne méthodologie et la façon de l’appliquer. La difficulté, lorsqu’on spécialise l’équipe, c’est que l’on ne s’attend peut-être pas à ce que l’équipe de design participe à la recherche, où du moins pas de la même manière, ce qui présente des inconvénients.
C’est là le défi auquel ce secteur va devoir faire face à l’avenir. Je le vois dans la division entre le design d’interaction et la stratégie de contenu.
À une époque, l’UX, ou l’architecture de l’information par exemple, était vue comme une discipline qui cherchait explicitement à rassembler les points de vue du contenu et du design d’interaction. Là aussi, il y a eu des désaccords. Et il fallait qu’il y ait des désaccords pour que chacune de ces disciplines puisse obtenir l’attention et le développement nécessaires. Mais maintenant, je vois toute une génération de personnes qui travaillent sur le contenu, convaincues que le design n’est pas leur problème. Elles ne sont pas exposées au langage, aux techniques, aux systèmes de valeurs dont elles devraient discuter et qu’elles devraient designer directement comme on m’a appris à le faire. Une génération entière de designers d’interaction pense que le contenu n’est pas leur problème !
Pour que l’UX fonctionne véritablement, certes il faut une spécialisation, mais il faut aussi s’assurer que les croisements et les doublons entre nos disciplines sont encouragées, respectées et soutenues.
Je ne pense pas qu’il soit possible de faire un travail d’UX remarquable sans collaboration. Il faut s’assurer que les processus et les personnes qui travaillent là-dessus ont pour objectif supérieur de collaborer.
Pour moi, ce n’est pas un problème individuel, c’est un problème qui touche tout le secteur et toute l’industrie.
Et si, à l’avenir, nous n’utilisions plus d’interfaces. Est-ce un scénario plausible ? Si oui, comment consommera-t-on du contenu?
Il nous faudra toujours un moyen de communiquer. À moins de pouvoir brancher quelque chose directement à notre cerveau ! Si c’est une interface basée sur la parole (et c’est un sujet dont je parle beaucoup), comment cette UI conversationnelle va représenter le langage que nous utilisons, le contenu que nous présentons ? Pour moi, cela reste autant une question de design d’interface que s’il s’agissait d’une UI visuelle ou transactionnelle affichée à l’écran.
De la même manière, si l’on pense « l’interface » comme une série de capteurs et d’outils – qu’on s’apprête à en trouver dans nos habitations – qui permettrait de déverrouiller la porte ou d’allumer la lumière automatiquement par exemple, il reste un certain nombre de règles logiques et commerciales sous-jacentes. Et même si l’interface elle-même n’est pas toujours contrôlée par l’utilisateur, il faut néanmoins que quelqu’un décide de la manière de modifier un paramètre. Il s’agit donc bien toujours d’une interface !
Je ne pense pas que « ne plus avoir d’interface » est la bonne façon d’exprimer l’idée. On parle simplement de déplacer différents aspects de l’interface vers différents outils ou systèmes.
A présent, quelques petites questions sur la conférence USIEvents. Avez-vous regardé certaines des vidéos? Qu’attendez-vous de votre première expérience?
Oui j’en ai vues ! Et j’ai hâte d’y être.
Je suis convaincue que je vais voir des intervenants formidables du monde entier. De ce que j’ai pu voir, l’organisation de l’événement est hors-pair, et c’est quelque chose auquel je suis particulièrement sensible. Je fais beaucoup d’interventions publiques, et avoir l’occasion d’aller à un événement de cette qualité est un véritable plaisir.
Qui aimeriez-vous voir sur scène à USI cette année, ou dans les années à venir?
Pour les années à venir, je vous encourage vivement à parler à Sara Wachter-Boettcher. Elle est experte en stratégie de contenu et designer d’expérience utilisateur. Elle vient de publier un ouvrage avec Eric Meyer intitulé Design for Real Life qui se penche sur les utilisateurs en crise ou qui ont d’autres besoins. Parce que ces utilisateurs sont des êtres humains, et non les utilisateurs idéaux qu’on imagine !
Une autre femme que je vous recommanderais est Lisa Welchman. J’ai un respect immense pour elle. Elle a écrit un ouvrage sur la gouvernance numérique qui a été publié l’année dernière. C’est sans doute la personne sur le Web qui en sait le plus sur la maintenance actuelle et la gouvernance à long terme des sites web.
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