La qualité de l’expérience en magasin dépend de la maturité…online
A force, je pense que le débat «online» VS «magasin» va finir par être clos. Le online ne va pas tuer le retail, il le complète et l’enrichit. Il l’amène à se réinventer, se repositionner, mais en aucun cas ne l’enterre sauf à s’entêter et, au sein d’une entreprise, en faire deux entités concurrentes, ce qui est le meilleur moyen de perdre sur les deux terrains. Je n’ai vu le digital tuer le retail ou le retail empêcher le digital de naître au réussir qu’en l’absence de vision partagée et de gouvernance.
Le client exige une continuité des expériences online et en magasin
Ceci dit, comme le disait cet article, le Graal du commerce c’est de donner en magasin la même expérience qu’en ligne. C’est ce dont rêvent tous les clients. Et il est vrai qu’on en est loin.
- avec des vendeurs «déconnectés» et mal informés face à un client qui a fait de longs benchmarks avant de rentrer dans un magasin. Il connaît tout: caractéristiques, prix, prix des concurrents, produits concurrents et même la disponibilité du produit en magasin. Et fait du fact-checking en temps réel à chaque argument du vendeur. Si dans les années 90 le vendeur était l’expert et nous les ignards qui allions quémander son éclairage aujourd’hui la donne a changé et, pour reprendre une phrase mémorable de Philippe Bloch, «le neuneu est passé de l’autre coté du comptoir». Entendez, le neuneu n’est plus le client mais le vendeur.
- avec des vendeurs qui ne savent rien non plus du client. Alors que lorsqu’on est sur le site ecommerce d’un retailer on est reconnu, appelés par son nom, qu’on a des recommandations et des offre personnalisés, on devient un sinistre inconnu une fois rentré dans le magasin. Historique de consommation? Niveau de fidélité? Niveau de dépense dans l’enseigne? Goûts et centres d’intérêt? La vérité est que lorsque le site d’une marque connaît mieux le client que le vendeur le ne connaît il y a un vrai problème.
Je ne doute pas qu’un jour on arrive d’une manière ou d’une autre à aligner les expériences en ligne et en magasin mais, pour y arriver, le magasin a le plus souvent besoin du online alors que la réciproque n’est pas forcément vraie.
Pour connaître le client, le site a recours a différentes stratégies et subterfuges qui lui permettent de:
- connaître ou deviner votre profil socio-démographique,
- connaître votre fidélité à l’enseigne,
- deviner votre capacité de dépense,
- savoir sur quels produits vous vous êtes renseignés auparavant, quels autres sites vous avez visité (concurrents ou non) et ce que vous y avez vu.
Vous savez qu’il suffit de 3 clics sur votre site média favori pour deviner votre profil socio-démographique, vous associer à un jumeau statistique et deviner des intentions d’achats pour revendre le tout à un annonceur? Voilà, maintenant vous le savez.
Pour ce qui est de la collecte et de l’utilisation des données client en ligne tout le monde sait que ça a lieu, tout le monde n’en maîtrise pas l’ampleur et même ceux dont c’est le cas feignent parfois de l’ignorer ou de le minimiser. Qu’on trouve ça normal, choquant, un mal nécessaire, c’est invisible et indolore donc on peut faire comme si on ne savait pas.
En matière de connaissance client ce qui est intrusif en magasin est transparent en ligne
En magasin la chose est toute différente. Pour arriver à un niveau acceptable de connaissance du client et d’intimité avec lui…imaginez qu’un vendeur vous demande.
- Bonjour madame, vous faites quoi dans la vie? Vous avez quel âge? Des enfants? Mariée? Divorcée peut être.
- Vous habitez où? Ah…bel arrondissement.
- Quelles autres boutiques avez vous visité avant de venir? Pour acheter quoi?
- Vous avez lu quel journal? Quelle rubrique? Quel article vous a plu?
- Vous avez déjeuné ou dîné où?
- Vous avez des enfants? De quel âge ? Et ils font des étude?
- Et vos centres d’intérêt dans la vie?
Et si vous acceptez de répondre – ce dont au fond je doute profondément – vous allez voir le stagiaire de la boutique imprimer une fiche à votre propos, en plusieurs exemplaires, et courir ventre à terre la donner aux autres boutiques du quartier. En échange de quoi ces mêmes boutiques lui remettront les fiches profil de certains de leurs clients susceptibles de rentrer dans la boutique où vous vous trouvez.
Horrifiant? Scandaleux? Hors de propos? Logique? Inévitable? Indispensable?
C’est en procédant ainsi qu’on sera à même de personnaliser l’expérience en magasin au même point que l’expérience en ligne. Vous vous rendez par contre compte que la récupération des informations nécessaires est autrement plus compliquée pour le vendeur et désagréable pour le client. En un mot: mission impossible sauf dans pour certains magasins, dans certains secteurs, avec des clients fidèles et réguliers auxquels on arrive à soutirer, au fil du temps, certaines de ces informations au détour d’un conversation. Mais tout le monde n’a pas la chance de travailler dans le luxe – notamment – et d’avoir cette relation personnalisée et qualifiée avec le client qui permet de créer cette intimité nécessaire à la captation d’informations qui, à leur leur tour, permettent de renforcer l’intimité et la préférence.
C’est là où l’on revient au online.
Pas d’expérience en magasin sans maturité en ligne et les data
Il est pratiquement impossible de capter dans le monde physique les informations nécessaires à une expérience client de qualité et cohérente entre le online et le physique. Quand bien même, pour une quelconque raison, l’activité d’une marque ou d’une enseigne se ferait principalement en magasin, c’est sa maturité online qui nourrira en partie ce qui va se passer offline en termes de connaissance client. La capacité à créer de l’engagement en ligne et de capter des données qualifiées, indépendamment d’une quelconque activité de vente en ligne, a donc un impact non négligeable sur le commerce physique.
Je terminerai avec une remarque incidente. Il est intéressant de noter Ô combien il est difficile de capter «physiquement» des données dans le monde physique que l’on peut capter ou extrapoler dans le monde digital. Cela s’explique en partie par la nature et la fréquence des interactions mais pas uniquement. On voit bien qu’on tolère plus ou moins implicitement une forme de collecte et de traitement de données (dont on mesure plus ou moins bien l’importance) dès lors qu’elle s’opère de manière transparente et qu’on peut ignorer ou feindre d’en ignorer l’ampleur. Mais le seul fait que fournir les mêmes informations dans un autre contexte peut sembler dérangeant on peut s’interroger sur l’avenir, quand la maturité globale des clients relativement à la question des données personnelles sera plus élevée. Le client va-t-il être plus vigilant sur ce qui se passe en ligne? Acceptera-t-il les mêmes comportements dans le monde physique? Va-t-on rester dans une zone grise où on accepte tout tant que c’est indolore?
Bertrand Duperrin est Digital Transformation Practice Leader chez Emakina. Il a été précédemment directeur conseil chez Nextmodernity, un cabinet dans le domaine de la transformation des entreprises et du management au travers du social business et de l’utilisation des technologies sociales.
Il traite régulièrement de l’actualité social media sur son blog.
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