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La renaissance des start-up scientifiques – Partie 1

Depuis une douzaine d’années, la démocratisation de l’Internet fixe et mobile a engendré la création d’une majorité de start-up d’innovations de services. Elles se sont appuyées le plus souvent sur des technologies établies de développement logiciels et d’infrastructures Internet qui ont certes évolué graduellement, mais dont elles n’étaient que des utilisatrices comme les autres.

L’avènement des réseaux sociaux de dimension mondiale (Facebook, Twitter, Snapchat, Whatsapp) et des solutions de l’économie collaborative (Airbnb, Blablacar, Uber) a permis la création de sociétés-plateformes créant des écosystèmes entiers à même de dépasser largement, au moins au niveau de la valorisation, des entreprises établies de secteurs traditionnels. Combien de fois n’a-t-on ainsi pas vu comparer la valorisation d’acquisition par Facebook de Whatsapp ($19B) avec ses 55 salariés à celles de constructeurs automobiles employant des centaines de milliers de salariés (11 milliards d'euros pour PSA et 21 milliards d'euro pour Renault-Nissan)? Le concept de l’uberisation d’acteurs établis lancé fin 2014 par Maurice Levy a perpétué un mythe du caractère inéluctable du remplacement de ces derniers par des barbares déstabilisant tout sur leur passage. Une bonne part des start-up qui se lancent dans cette mouvance vise à disrupter les services d’un métier donné, le plus souvent par un mécanisme d’intermédiation avec ses clients. Des solutions assez simples à mettre en place d’un point de vue purement technique, tout du moins au démarrage.

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Cela a généré un engouement pour les innovations de services en France, culminant notamment avec le lancement de l’initiative Innovation Nouvelle Génération de Bpifrance début 2015. Cette initiative louable consistait à valoriser le fait que les start-up devaient pouvoir aussi bénéficier d’aides et financements publics lorsqu’elles sont positionnées sur les innovations de services et non pas sur des innovations purement technologiques, notamment celles qui sortent de laboratoires de recherche. L’idée était de répliquer à plus grande échelle les succès tels que celui de Blablacar et de s’adapter à la vague des start-up de services et d’intermédiation lancée aux USA.

Le propos de cet article est d’expliquer que ces initiatives sont intéressantes mais sont arrivées à contre cycle d’un nouveau cycle déjà entamé qui voit renaître l’importance des start-up scientifiques. Ces start-up se développent à partir de la mise en œuvre d’avancées scientifiques significatives et dans de nombreux secteurs: dans le numérique, la santé, l’énergie, l’environnement, les transports, le BTP ou les matériaux. Elles ont un impact généralement très positif sur la société, plus orienté vers l’utile que le futile.

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Emily Leproust est une entrepreneuse française star aux USA dans les medtech. Elle y a créé Twist Bioscience, le leader mondial de la production d'ADN synthétique. Et a levé 135 millions de dollars pour se développer. Elle intervenait à la conférence Hello Tomorrow en octobre 2016 à Paris, la plus grande conférence française dédiée aux entrepreneurs scientifiques, lancée par Xavier Duportet, créateur d'une biotech, Eligo Bioscience.

Il faudrait que l’on se penche à nouveau sur ces start-up en France, que l’on apprenne des succès et surtout des échecs passés et que l’on soit plus ambitieux dans les grands marchés qu’elles couvrent. Dans la lignée de ce que j’exposais dans «L’état peut-il avoir une stratégie industrielle ?» publiée pendant l’été 2016, ces start-up scientifiques ont aussi un rôle à jouer pour dynamiser l’ensemble des industries françaises et pas seulement celles du numérique. Plus que dans les services numériques, ceci est amplifié par la continuité qui existe entre de véritables start-up scientifiques, commercialisant des produits avec de fortes économies d’échelle et des PME industrielles innovantes mais exerçant leur activité sur des marchés niches et de faible volume et forte valeur ajoutée.

Comme presque tous les trimestres, je vais me lancer dans une nouvelle série en plusieurs parties, avec:

  • Une analyse de ce phénomène, des barrières à l’entrée des start-up de services numériques et des origines du renouveau de l’intérêt pour les start-up scientifiques.
  • Un tour de l’écosystème français de ces start-up: laboratoires de recherche, valorisation de la recherche, pôles de compétitivité, accélérateurs, innovation ouverte, financement.
  • Puis un passage en revue de quelques études de cas de start-up scientifiques dans la santé, l’environnement et aussi dans le numérique. Je vais notamment m’appuyer sur certaines des start-up découvertes à l’occasion de la dernière édition de la très belle conférence Hello Tomorrow, du Web Summit de Lisbonne et d’autres de mes pérégrinations, notamment en région, et notamment à Lyon et Poitiers où j’interviens entre fin novembre et début décembre dans différents événements (Journées OPPE de l’AFE et Talend Day d’Imaginove pour Lyon et les Rencontres Nationales du Numérique pour Poitiers).
     

Les barrières à l’entrée des start-up de services du numérique

Comme toutes les start-up, celles des innovations de services font face à diverses barrières à l’entrée: l’accès aux compétences techniques, l’accès au financement et aux grands marchés, le tout dans un monde où ceux-ci se consolident naturellement autour de plateformes dominantes.

L’accès aux compétences techniques

Les start-up cherchent généralement à accéder à une compétence devenue plutôt rares: les bons développeurs. Ce sont ceux qui maîtrisent les derniers outils de développement logiciels et travaillent à la fois rapidement et en faisant de la qualité, les deux n’étant pas toujours compatibles. Les développeurs sont formés de manière traditionnelle dans des cycles de formation universitaires ou d’écoles d’ingénieur ou dans des cycles où l’auto-formation et le mode projets sont la règle, comme à l’EPITECH ou dans l’école 42. Le gouvernement a même lancé la Grande Ecole du Numérique pour financer et référencer des dizaines de formations destinées notamment à enseigner l’informatique et surtout le développement logiciel à un maximum de jeunes, notamment issus de milieux défavorisés. Les start-up embauchent souvent les développeurs lorsqu’ils sont jeunes et encore abordables. En France, ils sont convenablement rémunérés, mais pas autant qu’aux USA où leur salaire annuel dépasse allègrement les 120.000 dollars.

Le phénomène doit pour une bonne part au fait que les start-up de services innovants sont souvent créées par des anciens d’écoles de commerce qui galèrent pour trouver ne serait-ce qu’un seul développeur, à défaut d’un co-fondateur jouant le rôle de CTO, ce qui est préférable.

Le développement logiciel est devenu le Graal de ces start-ups. Mais il est également une commodité. Il existe certes des différences sensibles de performance entre un bon et un mauvais développeur, qui peut impacter l’évolution d’une start-up. Mais cela reste très empirique. Et cette performance dépend aussi de considérations humaines, comme la capacité à travailler en équipes, à coordonner des projets dont la complexité augmente avec le temps et à se mettre dans la peau des utilisateurs.

Il vaut mieux aussi s’adjoindre les compétences de designers qui sont encore trop rares dans les start-up ainsi que de bons marketeurs produits dotés d’une culture mixte business et technologique. D’autres compétences rares sont également demandées, notamment des experts en déploiement d’applications dans le cloud et dans la cybersécurité.

L’accès aux capitaux et aux grands marchés

Les innovations de services ont donné l’impression que les ruptures étaient faciles à générer dans le numérique, que l’innovation pouvait provenir d’un garage parce que le développement logiciel ne coûtait pas cher et ne nécessitait qu’un simple ordinateur. Mais la technique n’est pas la seule rareté pour créer de telles sociétés. Le capital l’est tout autant pour acquérir des clients et générer des numéros un sur les plus grands marchés mondiaux, celui des USA en tête. Avec ou sans «growth hacking»!

Les unicorns incarnent ces start-up ayant levé des montants énormes dans les poches du capital risque, souvent de l’ordre de plusieurs centaines de millions de dollars. Uber a, à ce jour, levé plus de 15 milliards de dollars dont plus de la moitié en capital, un record pour une start-up américaine et même mondiale. Pinterest, qui n’a pas encore de véritable modèle économique éprouvé a levé plus de 1 milliard de dollars. Pour lever ces montants énormes et devenir leader sur la plupart des marchés du numérique, il faut être présent sur le marché américain, ce qui est très couteux. Ces montants permettent soit d’aller très vite dans la conquête des marchés, soit de tenir le coup longtemps en attendant d’atteindre une hypothétique profitabilité.

Le capital disponible pour ces levées de fonds est proportionnel d’une part aux PIB des pays d’origine et d’autre part, à l’orientation de leur épargne vers le capital risque. La France a un PIB qui est de l’ordre du septième de celui des USA (15% exactement). Mais l’orientation de l’épargne vers le capital risque est plus forte aux USA qu’en France et en Europe. La totalité des investissements en capital risque européen représente cinq fois les montants investis en Europe, y compris au Royaume-Uni.

Il faut donc chercher à la fois les clients et les financements là où ils sont pour réussir à créer un leader mondial. L’Europe est loin d’être suffisante. Qui plus est, son marché intérieur est trop fragmenté: culturellement, linguistiquement ainsi qu’au niveau des grands effets de leviers que sont les opérateurs télécoms, les médias, les organismes financiers, le retail et j’en passe. On peut éventuellement lever des fonds ailleurs qu’aux USA, au Moyen Orient ou en Asie. Quand aux effets de leviers numériques, ils sont pour la plupart situés aux USA et dans la Silicon Valley. Ce sont les GAFAM et divers autres intervenants dans les composants électroniques (Intel, Qualcomm, …) ainsi que dans les solutions destinées aux entreprises (IBM, HP Entreprise, Oracle, SAS, …).

En France, nous avons deux unicorns, Blablacar et Sigfox. Le premier a levé un montant record de 350 millions de dollars, en s’appuyant notamment sur le fonds américain Accel Partners. Le second qui a aussi levé en tout plus de 300millions de dollars a des sources de financement plus diversifiées, notamment auprès de grandes entreprises comme Samsung ou Total. Blablacar est un cas spécifique avec une offre qui intéresse le monde entier, sauf les USA car le coût des transports automobiles est faible avec une essence peu chère et des voies rapides sans péages. Sigfox a de son côté une approche mondiale ambitieuse et dispose d’un patrimoine technologique avec son expérience dans les réseaux M2M.

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Dans la pratique, ce sont les start-up qui ont un accès direct aux plus grands marchés mondiaux homogènes qui emportent la mise en termes de levées de fonds et de valorisation. Le schéma ci-dessus issu des données récupérées sur CBInsight illustre cette concentration: 54% des unicorns sont américaines, 21% sont chinoises et 4% indiennes. La France a deux unicorns sur 178 mondiales. En nombre, en montants levés ainsi qu’en valorisation, ce sont les trois plus grands marchés mondiaux qui sont en tête: les USA, la Chine et l’Inde.

La Crunchbase dénombre 201 unicorns, mais la proportion reste la même par pays. On y apprend surtout que ces start-up ont levé en tout 121,9 milliards de dollars. Le capital risque français, en bonne forme actuellement, finance les start-up à hauteur d’environ 2 milliards d’euros par an en tendance depuis le second semestre 2015 (source du schéma ci-dessous, EY).

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Une concurrence exacerbée

La concurrence est exacerbée dans les applications numériques. Pour ne prendre qu’un exemple, les applications mobiles se sont banalisées. Les revenus qu’elles génèrent sont toujours en hausse, mais il y en a plus de deux millions sur l’App Store d’Apple et 2,2 millions sur Google Play (en juin 2016, source).

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Les investisseurs de la Silicon Valley commencent à s’en détourner. Qui plus est, la notion même d’application mobile est en train d’être remise en cause par les systèmes de commande vocale type Apple Siri, Google Hello et Microsoft Cortana. Très peu de ces start-up du numérique scalent à l’échelle mondiale. Il y a très peu d’élues qui arrivent à lever les fonds pour devenir les unicorns de leur secteur.

Le renouveau de l’intérêt pour les start-up scientifiques

La vague des innovations de services est personnifiée par la fameuse citation de Peter Thiel, «On a rêvé de voitures volantes et à la place, on a eu 140 caractères», illustrant le faible dosage d’avancées amenées par les nouveaux usages du numérique pendant la vague du web 2.0. Mais cela résume mal les progrès techniques récents et leurs opportunités qui sont énormes. CBInsight lui a répondu en mettant en avant un beau panorama de start-up qui changent maintenant la donne via les sciences et dans de nombreux domaines. On pourrait faire la même chose pour la France et mettre en avant de nombreuses start-up scientifiques capables de changer le monde dans les mêmes domaines.

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Les start-up scientifiques françaises étaient jusqu’à présent un peu laissées pour compte ou négligées pour diverses raisons. L’histoire des innovations françaises a montré qu’il était difficile de faire grandir ces entreprises, qu’elles demandaient des compétences que l’on ne trouvait pas chez les chercheurs qui en étaient souvent à l’origine et qu’elles se faisaient souvent acquérir prématurément par de grands groupes, souvent étrangers.

Les sociétés de capital risques ont été de plus en plus prudentes sur les investissements dans les «produits matériels», où les retours sur investissements et les économies d’échelle sont moins intéressants que dans l’immatériel. Cela a été accentué depuis environ 2005 par la vague des investissements dans les start-up grand public qui mettaient en œuvre moins d’innovations technologiques que dans les applications et outils d’entreprises.

Dans le contexte du numérique, la situation n’était pas arrangée par la mauvaise santé chronique des grands industriels du secteur: Technicolor, Alcatel, Sagem en tête, peu à même de mener des acquisitions et de faire fonctionner localement la chaine alimentaire de l’innovation. Ceux des grands acteurs qui s’en sortent mieux font partie du complexe militaro-industriel qui génère de faibles économies d’échelle, Safran et Thalès en tête.

Il est en fait temps de redécouvrir l’intérêt de ces start-up scientifiques.

Nous en sommes en pleine vague d’innovations dans les NBIC (Nanotechs – BioTech – Information – Sciences Cognitives). Il s’agit d’une véritable course contre la montre qui pourrait faire persister la dominance américaine sur le numérique et les nouvelles technologies dans leur ensemble. Cela concerne notamment les nombreuses opportunités de développement de la puissance matérielle des ordinateurs par la photonique, les ordinateurs quantiques et les chipsets synaptiques, l’univers de la santé, celui de l’énergie, des transports avec les voitures à conduite automatique. Cf cet article sur Les stratégies industrielles de la singularité publié en mai 2015 ou je mettais en avant cet enjeu. Les objets connectés font partie de la première vague de cette mouvance, intégrant pour l’instant de manière désordonnée des composants électroniques, logiciels et télécoms.

Il est plus qu’urgent d’innover pour ralentir le réchauffement climatique d’origine humaine. Cela concerne les domaines de l’énergie, des matières premières ainsi que sur les moyens de stockage efficaces de l’énergie, batteries en premier. Qui plus est, nombre de ces innovations peuvent exploiter les avancées du numérique et particulier autour du savoir faire grandissant de l’intelligence artificielle et de la robotique. Cf ma série sur les Avancées de l’intelligence artificielle publiée sous forme d’ebook au printemps 2016.

Nous assistons à un renouveau des projets ambitieux de nature scientifique et aventurière, surtout aux USA et via le secteur privé. On le trouve avec les start-up du spatial, notamment celle qui veut gérer de la propulsion de vaisseaux par l’antimatière, ainsi que les projets d’Elon Musk concernant la conquête de Mars. Ces projets ont besoin d’apports technologiques significatifs. La France contribue aussi à la conquête spatiale, que ce soit avec les fusées Ariane, ou avec la création de nombre d’instruments scientifiques, comme ceux qui étaient embarqués dans la sonde Curiosity. Et les technologies associées peuvent avoir des débouchés industriels en volume, a posteriori.

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L'avion électrique, Graal exploré par Solar Explorer, et aussi chez Airbus, ici pendant l'événement Osons la France en 2014, au Grand Palais.

Enfin, intégrons la capacité potentielle des startups scientifiques à réindustrialiser les pays occidentaux et la plus grande capacité à se différentier et à tirer parti des investissements publics toujours significatifs dans la recherche scientifique et dans sa valorisation de par le monde, aussi bien aux USA qu’en Asie ou en Europe. Les startups scientifiques constituent un bon moyen de moderniser le tissu industriel traditionnel.

Toutes ces opportunités ne se concrétiseront pas au détriment des startups du numérique. Au contraire, les startups scientifiques pourront en tirer parti de plusieurs manières. Elles ont toutes besoin d’un sérieux outillage numérique, notamment dans les champs de l’intelligence artificielle, du big data, du cloud et des objets connectés.

La montée en compétence des startups du numérique peut profiter à celles d’autres disciplines. Les startups du numérique ont permis de créer un pool de compétences business significatif qui peut maintenant être mis au service des startups scientifiques, au minimum, en le titillant, au mieux, via des fusions/acquisitions.

Les startups scientifiques n’échappent cependant pas à toutes les barrières évoquées plus haut et qui affectent les startups de services dans le numérique. Elles présentent cependant des voies de valorisation industrielles différentes et complémentaires. Quand une startup de services numérique échoue, elle disparait ou se transforme souvent en prestataire de services destiné à l’économie locale. Quand une startup scientifique échoue, son patrimoine intellectuel et industriel a souvent une plus grande valeur qui peut être réutilisée et exploitée. Les effets de levier sont peut-être moins élevés que dans les startups 100% numériques, mais ils sont plus étalés dans le temps.

Les bonnes pratiques des startups scientifiques

Ces dernières décennies ont permis de tirer parti de l’expérience plus ou moins réussie de nombreuses startups issues notamment des laboratoires de recherche publique. Créer une startup à fort contenu scientifique n’est pas encore une sinécure.

Bien différencier recherche et produit

Une erreur fréquente consiste à créer une startup scientifique à partir d’un seul projet de recherche et sans avoir la moindre idée des marchés visés et des problèmes à résoudre chez des clients potentiels. Qui plus est, un projet de recherche ne fait pas un produit. La culture de création d’un produit est très différente de la culture nécessaire pour mener des projets de recherche, quels que soient les domaines.

Donc, créer une start-up avec d’un côté des chercheurs et de l’autre, des «business developers» loupe le coche sur toutes les compétences intermédiaires: les designers, marketeurs et ingénieurs qui définissent et créent des produits. Sans compter ceux qui s’assurent de leur industrialisation: la fabrication inshore ou offshore, l’installation, la maintenance et le support technique.

Il ne faut aussi pas se tromper sur le rôle de la recherche qui est en amont de celui des startups. Dans une startup, le risque doit être de l’ordre du produit, de son industrialisation et des marchés, pas au niveau scientifique. Il existe une exception dans le domaine des biotechs où il faut plusieurs années avant de pouvoir valider le bon fonctionnement d’une molécule à usage thérapeutique. Mais la recherche n’est pas une finalité en soi pour une startup. Son but est de trouver des clients! Voici un exemple de contre-sens avec ImmunControl, une start-up dans la santé croisée au Web Summit qui travaille à la gestion des suites d’opérations de greffes. Indiquer que la start-up est orientée recherche est un bien curieux positionnement. C’est un non sens dans la mesure où, par nature, la recherche n’est pas scalable!

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Développer une approche intégrative de l’innovation

Nous avons aussi besoin de sortir d’une vision trop linéaire de l’innovation consistant à transformer individuellement des projets de recherche en start-up. Pour résoudre des problèmes de clients, il est souvent nécessaire d’adopter une approche intégrative associant l’état de l’art technologique ainsi que le fruit d’un, voire même de plusieurs projets de recherche.

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La robotique est le champ typique de l'innovation scientifique multidomaines, qui associe l'intelligence artificielle, les capteurs, la mécanique, les moteurs et les batteries. Sans compter les sciences cognitives. Ici, Pepper et Romeo de Softbank Robotics, anciennement Aldebaran Robotics.

D’où l’intérêt d’organiser des rencontres plus systématiques entre chercheurs et entrepreneurs, comme le font les SATT (sociétés publiques qui gèrent les transferts technologiques des grands laboratoires de recherche publique) tout comme les grands laboratoires eux-mêmes, comme le CEA. Les modèles collaboratifs et d’innovation ouverte sont aussi très utiles aux startups scientifiques, histoire de bien les décloisonner.

Anticiper les besoins en capitaux

L’économie des projets scientifiques et industriels est différente de celle des projets 100% numériques. Les économies d’échelle et effets de levier sont généralement moins importants, mais les risques peuvent être moins élevés. L’équation risque/retour sur investissement est intermédiaire entre les startups de l’immatériel et les entreprises industrielles traditionnelles. Les besoins en capitaux peuvent être très élevés lorsque l’innovation a besoin d’un outil industriel lourd.

Dans la pratique, les investissements en capital risque ne sont pas plus orientés vers les startups scientifiques. J’ai compilé le graphe suivant en exploitant les données de l’indicateur de Chausson Finances. On y constate une fluctuation permanente des investissements par secteurs d’activité. La seule tendance lourde semble être le désinvestissement dans le secteur des télécoms. La santé se porte bien, surtout sur le premier semestre 2016. Mais cet indicateur ne comprend pas le financement d’origine étrangère qui alimente les startups françaises, et celui-ci semble en augmentation.

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En tout cas, cinq sociétés du top 10 des levées de fonds de Q1 2016 sont du secteur de la santé : Enyo Pharma ($29m, molécules antivirales, collaboration avec l’INSERM), Allecra Therapeutics ($25m, traitements contre les infections bactériennes multi-résistantes aux médicaments), MedDay ($49m de levés au total, traitement de la sclérose en plaques, de l’autisme et de la maladie d’Alzheimer, hébergé à l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris (ICM), Eye Tech Care ($33m, Lyon, appareil à ultrasons de traitement non-invasif du glaucome réfractaire, issu de recherches réalisées avec l’INSERM), Gecko Biomedical ($30m, Paris, produits d’étanchéité et adhésifs biodégradables pour la fermeture des plaies).

Dans les belles levées de fonds du secteur de la santé, on peut aussi citer Carmat (cœur artificiel) qui a levé en tout $55m, Onxeo (traitements orphelins en oncologie, plus de $12m de levés avec des investisseurs étrangers), Maat Pharma (12m€ levés en tout, notamment auprès de CM-CIC Innovation, Seventure Partners, du laboratoire Biocodex et de l’Inra, créateur d’un médicament permettant de traiter les déséquilibres du microbiome consécutifs à des traitements lourds contre les cancers et divers infections) et DBV, la première biotech française introduite au Nasdaq en 2015 en 2015, qui y a levé un record de 240millions de dollars. La société a inventé le Viaskin, un patch contre les allergies à la cacahuète visant un marché de plus de 2 milliards de dollars.

De son côté, la start-up Montpelliéraine créatrice de robots de chirurgie Medtech avait levé 20 millions d'euros, mais ce n’était pas assez pour assurer son développement de manière indépendante. Elle a été acquise pour 164 millions d'euros en juillet 2016 par l’américain Zimmer Biomet. Les exits se font souvent auprès d’entreprises américaines dans la mesure où la France n’a pas de grand acteur industriel des medtechs. En biotechs, nous avons un peu plus d’ouvertures avec Sanofi et Mérieux.

Ces levées de fonds dans la santé ne sont pas surprenantes. C’est le secteur numéro deux de l’investissement en capital risque derrière le numérique et depuis longtemps. La montée en puissance des autres domaines, notamment dans ceux des greentechs est plus difficile. En cause, des économies d’échelle moins importantes et une plus grande difficulté à se différencier.

Choisir son modèle de distribution

Les startups scientifiques, surtout hors santé, font souvent face à un dilemme sur le choix de leur manière d’accéder au marché. Doivent-elles créer un produit, quitte à cibler un marché vertical spécifique, ou vendre leur technologie sous forme de composant et en OEM ?

C’est un dilemme qui porte sur plusieurs variables : les économies d’échelle, la position dans la chaine de valeur, le cout d’accès au marché, le financement et les compétences. Il n’existe pas de solution toute faite à l’interrogation sur ce choix.

Si la startup produit un composant matériel qui s’intègre dans des solutions, la vente en OEM génère des effets de volume et de bonnes économies d’échelle. Cela a du sens si le composant est très différentié fonctionnement ou économiquement par rapport à la concurrence. Quand la différentiation est plus faible, on est tenté d’adopter une stratégie d’intégration verticale et d’intégrer son composant dans son propre produit fini.

Les stratégies OEM présentent l’avantage court terme de requérir moins de compétences business et marketing que dans la création d’un produit fini, surtout grand public. La vente en OEM nécessite des talents de négociateur avec un nombre limité de clients, complété d’un peu de marketing. Un produit fini demande une stratégie de distribution, beaucoup de marketing, de la négociation avec des canaux de distribution souvent fragmentés.

La création d’un produit fini focalise le risque sur un marché cible. On choisit en général le marché le plus porteur et celui où le produit sera le plus différentiant par rapport à l’état de l’art. Et ensuite seulement, on peut élargir sa gamme de produit pour augmenter son potentiel de marché, et éventuellement passer à un modèle OEM. Nombre de startups sont passées par les deux modèles, dans les deux sens : de l’OEM au produit et du produit à l’OEM. L’OEM peut-être une solution de repli pour une approche produit qui n’a pas fonctionné.

En règle générale, l’approche OEM demande moins de capitaux qu’une stratégie d’intégration verticale. Les stratégies de sorties sont aussi différentes. Les multiples de valorisation peuvent être plus élevés pour une acquisition d’une startup fonctionnant en mode OEM, car son marché cible est probablement plus grand en volume, avec de plus grandes économies d’échelle. La stratégie produit intéressera d’autres types d’acteurs, souhaitant prendre pied dans de nouveaux marchés. On en a eu l’exemple récent avec l’acquisition de Withings par Nokia Communications.

Dans le domaine des biotechs et medtechs, l’approche des startups est souvent OEM. En effet, les startups biotechs commercialisent souvent leurs nouveautés via des grandes entreprises de pharmacie (Novartis, Pfeizer, Roche, Sanofi, Merck, GSK, Astra Zenneca) ou de medtechs (GE, Agilent, Illumina, Medtronic, avec aucun français dans le Top 40) qui les utilisent comme des services de R&D outsourcés. Certaines arrivent à commercialiser directement leurs produits lorsqu’elles ciblent des marchés de niche.

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Enfin, il faut citer un dernier modèle de commercialisation, plus rare mais potentiellement profitable : celui de la propriété intellectuelle et des brevets. Certains procédés scientifiques et techniques brevetés peuvent donner lieu à la génération de revenus substantiels. Ils sont plus difficiles à générer pour des startups car le coût de la protection intellectuelle est assez élevé. Mais les grandes entreprises y sont plus habituées, tout comme les SATT qui valorisent les brevets des établissements de recherche publique.

Cette bataille mondiale de la propriété intellectuelle change d’ailleurs de forme. Le WIPO, qui est l’équivalent mondial de l’AFNOR, indique ainsi que le premier pays déposant de brevets dans le monde est maintenant largement la Chine. Elle a déjà déposé 1,1 millions de brevets en 2016, presque le double des USA. Et la Corée du Sud a déposé plus de brevet que tous les pays de l’Union Européenne ! En mettant de côté, la lutte contre les “patent trolls” (brevets abusifs) qui bat son plein aux USA, notamment dans ce qui relève de l’immatériel, on peut constater que l’Asie a pris le dessus sur l’occident. Elle n’est pas que l’usine du monde !

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Développer une approche long terme

L’approche d’une startup dans les biotechs est bien plus long terme que dans la plupart des autres domaines. Cela provient de ce qu’elles comportent un risque scientifique élevé, qui perdure généralement pendant les cinq à dix premières années de la vie des startups tandis que le risque dans les innovations de service ou dans d’autres industries est au niveau du produit et du marché mais pas de niveau scientifique.

C’est notamment lié à “la logique floue” des résultats thérapeutiques. Un traitement nouveau n’est quasiment jamais opérant dans 100% des cas, comme dans les nouvelles immunothérapies ciblées contre les cancers. Il fonctionne dans x% des cas. La courbe de réussite d’un traitement est presque toujours une gaussienne !

L’autre raison d’une approche long terme tient à l’industrialisation. Dans le logiciel, l’industrialisation est relativement facile si la solution est bien développée et peut se déployer sur les ressources du cloud, que l’on aligne ensuite en fonction des besoins et du nombre d’utilisateurs. Dans les produits matériels, c’est plus délicat. Un prototype réalisé en impression 3D devra ensuite être fabricable et fabriqué avec des techniques de production plus traditionnelles. Elles ne seront pas les mêmes aux débuts de la production, lorsque les volumes sont faibles. Elles s’adapteront à la montée en charge. Il faut prendre tout cela en compte pour faire grandir la société. Elle doit savoir s’entourer des bons sous-traitants.

Intégrer le rôle de l’Etat

L’Etat a un rôle encore plus clé à jouer dans les startups scientifiques que dans celles des services numériques. En effet, une bonne part des startups scientifiques utilisent les fruits des travaux de la recherche publique, issus de très nombreux laboratoires : universitaires, des grands organismes de recherche comme l’INSERM, le CEA, l’INRA, l’INRIA, etc. L’Etat finance ces travaux de recherche publique, en association avec des entreprises privées. C’est lui qui a la vision la plus long terme. Il définit des priorités, non sans difficultés d’ailleurs.

L’Etat joue aussi un rôle d’encouragement des innovations de rupture, surtout dans la santé et la génomique. Ce rôle passe par le fléchage des investissements, par les grands projets de recherche et aussi par un assouplissement de la règlementation permettant, au minimum, de mener des expériences et d’accélérer la commercialisation des solutions abouties. La FDA américaine serait bien plus hardie de ce côté là que les régulateurs de santé européens. Le coût de la santé est bien plus élevé aux USA et l’Etat fédéral y est plus sensible à l’innovation et à la prise de risques.

Il y a un pâle revers de cette médaille. Les industries pharmaceutiques profitent d’un marché faiblement régulé et où les tiers payants sont essentiellement privés. D’où des prix en moyenne trois fois plus élevés des médicaments qu’en Europe (source), même s’ils sont négociés au coup par coup entre les industries pharmaceutiques et les tiers payants privés.

Dans l’univers de la santé, l’Etat et ses dépendances paritaires joue également un rôle critique, de par sa fonction de tiers payant. Toute startup de l’univers de la santé, et surtout dans la e-santé, doit passer par les fourches caudines des tiers payants pour pouvoir commercialiser ses solutions. Cela passe donc par les CPAM, les mutuelles et autres assurances.

Dans l’énergie et l’environnement, il en va de même avec la dominance d’EDF, de Veolia et Engie. Ce sont des rôles encore plus influents sur le sort des innovations que tout ce qui peut se faire dans le domaine du numérique. L’Etat a son mot à dire au moins pour EDF et Engie dont il est actionnaire à hauteur respectivement de 85,3% et 32,76%.

Profiter de l’innovation ouverte des grandes entreprises

L’innovation scientifique passe aussi par les grandes entreprises qui disposent des capacités à industrialiser et toucher des marchés de volume.

Les processus d’innovation ouverte ont été lancés par nombre de grandes entreprises traditionnelles en se focalisant d’abord sur les innovations numériques. Nos entreprises industrielles vont heureusement au-delà (Air Liquide, Total, SNCF, …). Par rapport aux applications numériques, les effets de leviers industriels des grandes entreprises françaises sont potentiellement plus directs, surtout pour des modèles de valorisation en mode OEM.

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Dans une partie suivante, je me pencherai sur l’écosystème français des startups scientifique et son évolution récente. Puis, je ferais le tour de quelques startups dans le secteur de la santé, de l’environnement et de l’énergie, et pas seulement françaises.

N’hésitez pas à me faire part de vos expériences et impressions sur ce sujet !

Article initialement sur le blog d'Olivier Ezratty

Olivier-EzrattyOlivier Ezratty est consultant en nouvelles technologies et auteur d’Opinions Libres, un blog sur les médias numériques (TV numérique, cinéma numérique, photo numérique) et sur l’entrepreneuriat (innovation, marketing, politiques publiques…). Olivier est expert pour FrenchWeb.

 

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