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La scorecard de VivaTech 2018

Par Olivier Ezratty, expert FrenchWeb

La troisième édition de VivaTech vient de se terminer. L’événement qui se tient dans le Hall 1 du Parc des Expositions de la Porte de Versailles à Paris est toujours aussi clivant, surtout pour les râleurs et il n’en manque pas en France, y compris dans « la tech ».

Il y a toujours de quoi se plaindre : trop de CAC 40, une offre brouillonne, pas assez de ceci ou de cela, la chaleur, le bruit et les files d’attente à l’entrée, pour les sessions plénières et pour se sustenter, ou encore l’abus de buzzwords et autres anglicismes. Et ces incessants scans de son badge presque partout, aux entrées, certes, mais aussi aux sorties, puis pour l’entrée dans les salles et les sessions. Tout cela la veille et le jour même de la mise en place du RGPD !

N’oublions pas cependant que ce genre d’événement n’est qu’une place de marché permettant aux uns et aux autres de se rencontrer. Les startups cherchent des clients, des investisseurs et de la notoriété. Les grandes entreprises peaufinent leur image de marque dans l’innovation ouverte. Tous cherchent à recruter des talents. Si les bonnes rencontres se font, alors, de quoi se plaindre ? De ce point de vue-là, Vivatech est une réussite indéniable et à grande échelle.

Une maturité grandissante

D’année en année, Vivatech gagne en maturité et en dimension. Cette édition était marquée par une plus grande portée internationale avec un nombre de pavillons de pays impressionnant, atteignant ou dépassant ce que l’on peut voir dans nombre d’événements internationaux comme le CES ou le Web Summit. Avec Israël, le Royaume-Uni, la Corée du Sud, le Japon, l’Allemagne, l’Italie, la Suède, la Suisse (avec des drones), la Belgique (précisément, la Wallonie), le Luxembourg, la Russie, le Rwanda (et son président Paul Kagamé accompagnant Emmanuel Macron), le Maroc, le Nigeria, l’Afrique du Sud, l’Arabie Saoudite et d’autres que j’oublie peut-être. Les USA ? Ils étaient là avec leurs leaders du numérique (Google, Facebook, Microsoft). Pas besoin de pavillon dédié !

L’international était aussi toujours aussi visible dans le parterre d’intervenants de haut vol, avec les dirigeants mondiaux d’IBM, Microsoft, Facebook, Uber, D-Wave et de nombre d’autres entreprises. Et puis avec un hackathon géant organisé par Techcrunch. Et évidemment, des conférences délivrées en Anglais le jeudi et le vendredi.

La journée de samedi ouverte au grand public semble être toujours une réussite pour faire de la tech une fête et attirer les jeunes et les familles, garçons et filles. Cela en fait le plus grand événement technologique et numérique en France ouvert à tous, et offrant un concentré d’innovations comme dans la robotique et des ateliers pour apprendre à coder.

Une pléthore de startups

Vivatech regroupait autour de 1600 startups à revoir ou découvrir, réparties principalement dans les stands de grandes entreprises françaises ou étrangères, de régions françaises (PACA, Auvergne-Rhône Alpes, Grand Est, Centre, Ile de France, Euratech de Lille), de services ou entreprises publics (Business France où j’intervenais avec Maxime Sabanec au sujet du CES, Bpifrance, INPI, Pôle Emploi, RATP, La Poste, …) et aussi d’établissements d’enseignement (Groupe IONIS, X, MinesTelecom, …). Et environ la moitié de ces startups étaient étrangères.

Un service de l’Etat original était pour la première fois à Vivatech : la DGSE. Un peu planqué au fond du salon, près des stands de Polytechnique et MinesTelecom, le service du renseignement extérieur était surtout là afin de recruter des cadres et ingénieurs pour sa Direction Technique.  Ils recherchent à peu près toutes les spécialités de pointe du moment, notamment dans les data sciences et la cryptographie. Et ils distribuaient un petit goodie pour cacher la caméra de son laptop servant à éviter son activation intempestive à l’insu de votre plein gré pendant vos séances de strip poker en ligne. Il ne fallait pas s’attendre à un village de startups et à de l’innovation ouverte !

La grandcomptisation de l’écosystème de l’innovation française et européenne est toujours bien visible. Elle rend difficile la recherche de startups par thème car ceux-ci se chevauchent entre les puissances accueillantes. Si vous cherchiez des startups faisant de la Blockchain, des Fintechs ou de l’IA, il fallait balayer à peu près tout le salon, ce qui était évidemment fastidieux. On pouvait bien entendu utiliser l’annuaire des exposants et bien préparer son expédition mais qui fait vraiment celà ?

Autre solution : se faire accompagner par des guides de visite, comme ceux et celles du Hub Institute ou autres organisateurs. Comme de nombreux grands salons, VivaTech est ainsi devenu une sorte de zoo de l’innovation avec ses guides. Les visiteurs de grands comptes se transforment en touristes japonais suivant machinalement un ou une guide et un porte drapeau pour écouter le pitch d’une quinzaine de startups présélectionnées pendant environ deux heures d’affilée, avant d’aller gambader plus librement. Vous pouvez aussi profiter de leur résumé de Vivatech dans deux présentations de 147 et 171 slides. Un bon boulot de compilation de citations et de startups, dans de nombreux domaines et pas que dans le “digital” pris au sens marcom du terme.

Contrairement au CES auquel il est parfois comparé, on y trouve à la fois des solutions B2C et B2B. Les dimensions ne sont pas les mêmes. VivaTech rivalise maintenant plutôt avec le Web Summit qu’avec le CES en termes de participation (respectivement 100 000 dont une part de grand public – cf le bilan post-événement, 60 000 dont une part d’étudiants portugais n’assistant qu’aux séances plénières dans les rangées hautes de la grande salle, et 185 000, uniquement des professionnels).

Si les exposants internationaux étaient en proportion respectable, cela ne semblait pas être le cas du visitorat. Cela s’entendait, ou ne s’entendait pas : l’anglais n’étant pas très audible dans les allées. Mais les visiteurs étrangers s’organisent peut-être différemment des Français qui déambulent dans ce grand hall de la Porte de Versailles. La proportion des visiteurs étrangers d’un salon est d’ailleurs quasiment systématiquement plus faible que celle de ses exposants étrangers.

Des à-côté qui donnaient vie à l’événement

L’un des plus de cette édition était sa dimension « hors salon » avec un grand nombre de side-events organisés par les partenaires et les exposants du salon. Ils relèvent évidemment d’opérations de récupération pour leurs organisateurs, mais contribuent à faire de Vivatech un événement bien vivant et accueillant.

J’ai passé une tête à la « Privacy Party » sauce “Eyes Wide shut” organisée par Qwant,  Snips, Faber Novel, Cozy Cloud et la MAIF. Mais il y en avait en tout plusieurs dizaines. Cela rappelle ce qui se passe dans les grands événements tels que le CES, le Web Summit ou même SXSW, même si la dimension artistique et culturelle n’était pas très visible. Il y avait aussi divers coins dans le salon, comme l’inévitable zone pour les rendez-vous entre investisseurs et startups.

La selfiesation des politiques

Côté politique, les amateurs étaient servis avec l’ouverture du salon par Emmanuel Macron (vidéo), protégé dans sa déambulation au travers du salon comme s’il allait visiter le Salon de l’Agriculture ou une manifestation du syndicat Sud le premier mai, mais bien plus chassé par les collectionneurs et collectionneuses de selfies que pour des discussions politiques enflammées sur la France Startup Nation.

Mais c’était l’occasion pour Wandercraft de faire la démonstration son exosquelette devant le Président de la République, j’ai l’impression que c’était une première pour ce produit attendu (ci-dessous). Et en plénière, le Président lisait son discours en alternant l’anglais et le français, une pratique inédite pour un chef d’Etat français.

S’y ajoutaient neufs membres du gouvernement dont Mounir Mahjoubi, en charge du numérique, qui avait déplacé, dans une petite salle accessible à partir de la grande salle VIP sponsorisée par EY, la totalité de son cabinet ministériel. Il enchaînait des visites sur le salon, des rendez-vous dans la salle et des interventions à différents endroits du salon, comme sur le stand de Bpifrance ou en plénière. A la fin de la seconde journée de VivaTech, Mounir Mahjoubi annonçait une nouvelle feuille de route et intronisait Kat Borlongan qui était enfin confirmée comme nouvelle Directrice de la Mission French Tech. Cela se poursuivait avec une soirée French Tech à Station F où elle intervenait pour se présenter (ci-dessous).

Mounir Mahjoubi faisait aussi part de ses impressions après son tour de France des startups, ayant collecté une sorte de cahier de leurs doléances online et offline. Il s’est matérialisé sous la forme d’une liste de propositions, toutes de bon sens même si pas forcément faciles à déployer, portant sur les seuils sociaux, les ICOs, un relèvement des seuils des marchés publics à 100K€, des actions dans la formation (peut-être pas assez axées sur l’enseignement supérieur) et quelques actions focalisées sur des marchés spécifiques (edtechs, fintechs, santé).

La priorité semble donnée à la croissance des « scale-ups ». On en a besoin, mais n’oublions pas qu’un écosystème de startup doit être équilibré de bout en bout. Il ne faut pas délaisser un bout lorsque l’on s’attaque à l’autre bout du cycle !

Viva Tech avait été précédé d’une journée Tech For Good à l’Elysée avec les CEO des grandes entreprises mondiales de la tech (IBM, Facebook, Microsoft, SAP, …) annonçant du réchauffé pour ce qui est de leurs investissements en France et des patrons du CAC40. Les entrepreneurs français n’y semblaient pas très nombreux, à leur grand dam. Trois des plus connus avaient été invités au dernier instant pour éviter le oops-moment (source).

La principale vedette était le cyborg Mark Zuckerberg, présent à ce sommet de l’Elysée et pour un talk en plénière sur VivaTech (vidéo). Sa froideur apparente a été confirmée par ceux qui l’ont vu et ceux qui lui ont serré la main ! Mais elle était moins manifeste que lors de son témoignage à Bruxelles en début de semaine (vidéo).

La possibilité de faire de belles rencontres ciblées

J’ai croisé à Vivatech un nombre incroyable de connaissances et d’entrepreneurs, parfois, un(e) tous les 5 mètres. Et surtout, j’y ai glané de nombreux tuyaux techniques sur mon dada du moment, l’informatique quantique, grâce à des rencontres avec des représentants d’IBM (et l’un de leurs ordinateurs quantiques de Yorktown, ci-dessous), Microsoft et D-Wave. C’en était presque improbable. Je vais les utiliser à Nantes au Web2day avec Fanny Bouton pour notre conférence sur l’informatique quantique du 14 juin.

En cherchant bien, on devait pouvoir trouver son bonheur dans un très grand nombre de centres d’intérêt. C’était ainsi le cas dans le domaine des transports avec SeaBubbles et ses démonstrations sur la Seine, EVA, ce projet de dronecopter Toulousain soutenu par la RATP, et tout ce que l’on pouvait voir sur les stands SNCFValeo et Airbus. On pouvait même trouver son compte dans les agritechs, notamment sur le stand de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Ou dans la santé, en particulier avec les startups et PME hébergées chez France Biotech et Sanofi. C’était aussi vrai pour la robotique, bien représentée et notamment avec l’écosystème de partenaires logiciels de Softbank Robotics et Pepper. Bref, quand on cherche les bonnes personnes, on trouve !

J’ai aussi fait la chasse aux startups de l’IA, collectionnant plutôt les photos de stands pour dépiauter plus tard leur activité, et les intégrer dans la prochaine version de l’ebook Les usages de l’IA, faute de temps sur place.

Quand aux startups présentes, nombre d’entre elles témoignent de belles rencontres avec des décideurs de grandes entreprises et des avancées dans des cycles de vente ou de génération de notoriété qui traversent bien évidemment plusieurs mois voire années. Le tout avec un excellent retour sur investissement temps/argent, sachant que nombre de startups étaient invitées gratuitement à exposer par les puissances accueillantes.

Des startups toujours sous l’aile des grandes entreprises

Cette année marquait cependant un tournant avec une quasi-disparition de la zone des startups « Discovery » qui n’étaient pas affiliées à une grande entreprise. Elle représentait un bon tiers de Viva Tech lors de la première édition en 2016, reprenant le côté un peu foire à la startup de l’Eureka Park du CES ou l’esprit d’un Futur en Seine, devenu Futur.e.s en 2018, du 21 au 23 juin à La Villette. Cette année, ces startups non CAC40-isées ont été saupoudrées à divers endroits en remplissage du plan d’attribution des stands des grandes entreprises, et avec une maigre zone Discovery sur le stand EDF, un grand compte de plus.

Certains comme Frank Lefevre se plaignent de l’allégeance des startups aux grandes entreprises qui les hébergent. J’en suis tout autant désolé. Les startups françaises devraient pouvoir décoller sans autant dépendre des grandes entreprises. Sachant que nombre d’entre elles étaient présentes sur des stands du CAC 40 sans pour autant avoir une relation étroite avec eux. Elles étaient souvent sélectionnées via le challenge global de Vivatech et, avaient d’ailleurs la possibilité de choisir sur quel stand s’installer tant elles sont demandées. Certaines startups étaient même présentes sur deux à trois stands.

D’autres visiteurs se plaignaient de l’absence de grandes startups comme Blablacar sur Viva Tech, en oubliant que la présence à un événement relève de leurs propres choix et mix marketing. S’ils ne sont pas là, c’est leur problème plus que le vôtre ! Et aussi, ne remarquant probablement pas que AppAnnie, avec son stand, est une startup américaine créée par un Français, Bertrand Schmitt, et qui cartonne dans son domaine, les mobile apps analytics, ayant au passage levé $156M.

Mais soyons pratiques. Il est difficile d’organiser un événement de cette taille à Paris sans les grandes entreprises françaises. Pour une raison simple : son financement ! Le CES organise son village Eureka Park et n’y gagne pas d’argent. Ce sont les grands exposants du consumer electronics tels que Samsung, LG, Panasonic, Sony, Intel, Alibaba, Baidu, les constructeurs chinois, les constructeurs automobiles et autres qui le financent indirectement avec leurs stands géants payés au prix fort. Il n’y a pas beaucoup de place pour organiser une copie à l’identique de l’IFA ou du CES à Paris. Ces grands constructeurs ne peuvent pas démultiplier à l’infini leurs budgets salons sachant que par ailleurs, ils allouent une bonne part de leurs budgets marketing à des événements spécifiques pour leurs lancements importants.

Comme les grandes entreprises françaises ne sont pas leaders du numérique, mais dans d’autres domaines, cela a tendance à verticaliser en mode mixte b2b/b2c le salon VivaTech bien plus que le CES ne peut l’être. Ceci explique cela. Il faut faire avec. Préfère-t-on que Viva Tech soit entièrement sponsorisé par les grands acteurs américains ou asiatiques, déjà bien présents (Google, Facebook, Microsoft, SAP, Alibaba, Softbank Robotics) ? Difficile de tout avoir ! La voie à suivre pour les organisateurs de Vivatech serait de convaincre des entreprises européennes non françaises, au-delà de Bosch et SAP, de participer à l’événement. Ils ont essayé et cela n’a pas encore porté ses fruits. Patience !

Le business des grands salons est plein d’aléas. Pour la petite histoire, Maurice Levy avait démarré des négociations en 2014 avec Gary Shapiro, le patron de la CTA qui organise le CES, pour obtenir une licence d’organisation du CES en France. Les négociations avaient capoté et cela a donné VivaTech qui vit de sa propre vie. Et j’ai entendu dire que Paris serait candidat pour accueillir le Web Summit à partir de 2019, cette conférence de la taille de VivaTech devant quitter Lisbonne après trois ans dans cette ville. Si Paris gagnait cette compétition, à supposer que l’information soit fiable, cela aurait un impact sur Vivatech et réciproquement. Le business de l’événementiel est en disruption permanente !

L’expert:

Olivier-Ezratty

Olivier Ezratty est consultant et auteur. Il conseille les entreprises pour l’élaboration de leurs stratégies d’innovation, et en particulier dans le secteur des objets connectés et l’intelligence artificielle. Très actif dans l’écosystème des startups qu’il accompagne comme consultant, advisor, conférencier et auteur, il est apprécié pour les articles fouillés de son blog Opinions Libres dans des domaines très divers. Il y publie le « Guide des Startups » ainsi que le « Rapport du CES de Las Vegas » chaque année depuis 2006. Olivier est expert pour FrenchWeb qui reprend de temps à autres la publication des articles de son blog.

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