La stratégie digitale, l’art de se construire un avantage concurrentiel
Comme le disait Vauban «La sueur évite le sang». Ainsi, avec une bonne compréhension de ce qu’il y a à faire, et un haut niveau de préparation, il est possible d’éviter la plupart des écueils auxquels sont confrontés un grand nombre d’entreprises. La stratégie digitale, lorsqu’elle est bien comprise et bien menée, peut permettre cela. Oui, mais de quoi parle-t-on exactement lorsque l’on parle de stratégie digitale?
Définition
Il existe un très grand nombre de définitions de la stratégie. Et avec l’avènement des technologies numériques, la question de définir exactement ce qu’est la stratégie digitale s’est imposée. Pas un mois sans que sorte un livre proposant une nouvelle définition dotée de nouveaux concepts. Parce qu’il est souvent essentiel de faire simple, je vous propose une définition opérationnelle et pragmatique qui devrait s’adapter à la plupart des situations.
L’art de la stratégie digitale, c’est l’ensemble des méthodes et techniques digitales permettant à l’entreprise de construire un avantage concurrentiel.
Cette définition comporte quatre termes clés que je précise ci-dessous. Cet article a une visée pragmatique, je présenterai prochainement de manière plus approfondie chacun de ces concepts.
Stratégie
Le but du management stratégique est de permettre aux managers d’identifier des opportunités pour créer de la valeur dans des environnements concurrentiels et dynamiques. Il est ensuite crucial de bâtir des compétences (individuelles et organisationnelles) pour saisir ces opportunités et en tirer avantage. On parle d’avantage concurrentiel.
Pour rendre l’ensemble cohérent, tout le processus stratégique, de la conception à l’exécution, doit être drivé par la vision. Cette vision permet d’articuler l’ensemble de vos décisions et de vos activités de manière cohérente. La vision, c’est une projection de votre entreprise dans le futur. La stratégie a donc pour objectif de réaliser cette vision, qui donne donc une direction claire de où l’entreprise va: quels services vous voulez offrir, à quels clients, dans quelles conditions, quelle position vous souhaitez adopter, etc. Plus cette vision est limpide, plus les personnes, à la fois dans votre organisation, mais aussi ceux en dehors, seront capables de vous aider à bâtir un ensemble d’objectifs cohérents, et l’ensemble des choses à accomplir pour parvenir à mener à bien ces objectifs.
Digitale
Nous vivions depuis quelques années une révolution numérique. Notre monde change tellement qu’il n’est pas rare de voir qualifiée cette révolution de 3ème révolution industrielle. La première ayant eu lieu suite aux réformes agraires et les «enclosure acts» en Angleterre en 1793. La réforme agraire a conduit les «gens des champs» à devenir des «gens des villes», fournissant en cela la main-d’œuvre aux usines. Cette main d’œuvre nouvelle fut convergente avec l’arrivée de nouvelles technologies conduisant à la première révolution industrielle propulsée par l’avènement de la machine à vapeur. La deuxième révolution industrielle est provoquée par la diffusion massive de l’électricité, puis l’arrivée de la télévision et du téléphone. La troisième révolution industrielle, c’est le passage d’une économie analogique à une économie numérique, ou digitale.
«Numérique» ou «digital»? Est «Numérique» ce qui relève des nombres, ce qui peut se traduire en nombres. Numériser un document, c’est donc représenter un document par des nombres, pour pouvoir par exemple le diffuser facilement. Le terme «digital» vient quant à lui de «digit» (doigt) mais qui signifie aussi «chiffres» ou «nombres». Donc les deux termes relèvent clairement de la même chose: les nombres. D’ailleurs la plupart des dictionnaires précisent que les deux termes sont synonymes. Il y a néanmoins une différence culturelle entre les deux termes. Le terme «numérique» renvoie plutôt à une dimension technique et est régulièrement utilisé en science de l’ingénieur ou dans les départements SI. Le terme «digital» quant à lui fait plutôt référence à une dimension «marché», et c’est plutôt lui qui est préféré dans les départements marketing. J’utilise pour ma part le terme «digital».
Il n’est pas excessif de parler de révolution digitale. En effet, la mutation des économies et l’avènement des technologies digitales ont changé radicalement le comportement des consommateurs. Et si la demande change, l’offre doit s’adapter. Cette révolution a donc impacté fortement le comportement des entreprises.
Pour faire court, la révolution digitale peut être résumée en 3 points:
1. Inter-connectivité des individus:
Certes l’inter-connectivité, mue entre autres par la mobilité et les réseaux sociaux, a conduit à une prolifération des données. La collecte, la reconfiguration, l’analyse puis l’exploitation des données sont au cœur de la stratégie digitale. Connaître mieux le client, ce qu’il fait, son process de prise de décision, etc. tout cela est possible grâce aux technologies digitales.
2. Recherche et recommandations:
La recherche, et donc la possibilité pour tous de trouver une information, a considérablement transformé le comportement des consommateurs. Il y a encore quelques années, pour acheter un réfrigérateur nous nous rendions dans un magasin, faisions confiance au vendeur, ou à un guide publié dans les journaux, comparions les caractéristiques, les prix, etc. Aujourd’hui, le consommateur peut aller sur un comparateur en ligne, chez lui pour choisir un magasin, ou alors dans le magasin, grâce à son mobile, pour savoir si le produit n’est pas moins cher ou en promo ailleurs.
Les moteurs de recommandations, conduits par de puissant algorithmes, peuvent comparer le comportement d’un consommateur à celui d’un grand nombre d’autres personnes afin d’anticiper ses besoins. Ces moteurs segmentent leur clientèle, plus ou moins finement en fonction de la qualité de l’algorithme et des données collectées préalablement (point 1), et déterminent les produits qui vous plairont le plus probablement en fonction du segment auquel vous appartenez. Qui n’a pas été surpris par la qualité des recommandations sur Amazon?
3. Le stockage, l’exploration et l’exploitation des données:
Enfin, le troisième élément qui boucle la boucle et recoupe les points précédents, c’est la question du stockage. La baisse des coûts des matériaux et l’amélioration des technologies de bases de données, comme les bases de données non-relationnelles (noSql par exemple) ont permis d’accroître considérablement les capacités de stockage et d’exploitation des données, conduisant en cela à l’émerge de toutes les nouvelles technologies et méthodes de Big Data, de data visualization, et bien entendu l’intelligence artificielle. Maintenant, la donnée produite peut être stockée et exploitée, presque où qu’elle se trouve. Et cela recoupe la prolifération des données, la puissance des moteurs de recherche, et les moteurs de recommandations.
Cela veut dire que quand on parle de stratégie digitale, on parle de personnes et de comportements, on parle de technologie, on parle aussi de sécurité, d’ergonomie, de réseaux sociaux, de contenus, etc. La pénétration de ces technologies dans notre quotidien est telle!
Pour comprendre comment le digital pénètre nos vies, je vous recommande de passer cette certification.
Méthodes et techniques
La stratégie digitale est une discipline où l’analyse est fondamentale pour laquelle nous utilisons de multiples méthodes et techniques.
Les objectifs de la Start-up de l’analyse stratégique sont:
- Identifier les menaces qui pèsent sur votre business;
- Identifier les opportunités qui vous permettront de transformer votre business.
Pour mener à bien le processus d’analyse stratégique, il faut conduire le cheminement suivant:
- Affirmation de l’Intention stratégique: collecte et analyse des premières intuitions. Le produit de l’intention, c’est la Vision stratégique.
- Détermination de la Vision: la Vision stratégique, c’est la projection de votre business dans le futur. Cette vision va driver l’ensemble des phases suivantes.
- Elaboration du Diagnostic: le diagnostic conduit à une confrontation entre l’analyse interne de votre activité (ce que vous êtes et ce que vous faites) avec l’analyse des forces concurrentielles et les dynamiques de marché.
- Formulation de la Décision stratégique et conception des Plans d’Action: sur la base du diagnostic, il faut ensuite formuler une décision stratégique. Cette décision sera décomposée en plusieurs objectifs à atteindre. Pour chaque objectif, on définit un plan d’actions. Chaque plan d’actions comporte une dimension marketing, supply chaine, UX, SI, etc. A ce stade, on ne parle plus de stratégie, mais de tactique.
- Planification de l’Exécution de chaque plan d’actions: les plans d’actions définis, ils sont ensuite planifiés et dotés de KPI afin de pouvoir mesurer le niveau de réussite de l’exécution par rapport à la planification.
Il y a un très grand nombre d’outils pour mener à bien ces deux objectifs, plus de 80. Vous trouverez dans cet article une méthode pour les choisir.
L’avantage concurrentiel
La notion d’avantage concurrentiel est complexe. Je vous propose ici une vision pragmatique plutôt que livresque.
L’avantage concurrentiel, c’est pour l’offre d’une entreprise la combinaison Prix, caractéristiques, quantité, qui permet de générer une performance plus élevée que la moyenne des performances de ses concurrents sur son marché.
- Prix: quel est le prix public de votre offre (produit ou service) par rapport à vos concurrents?
- Caractéristiques: quelles sont les caractéristiques de vos produits ou services?
- Quantité: comment êtes-vous distribué sur le marché?
On considère généralement qu’il y a deux sources principales d’avantage concurrentiel:
- La différenciation: Créer des biens et services pour lesquels les consommateurs sont prêts à payer beaucoup (willigness to pay) et que les concurrents ne peuvent égaler. (Prix, caractéristiques du produit, distribution, expérience client, etc.)
- L’efficience: trouver un moyen de réduire les coûts pour être moins cher que les concurrents, ce qui conduit à être moins cher que les concurrents, ou être au même prix mais avec un taux de marge plus élevé.
La différenciation est plutôt une stratégie long terme; l’efficience est plutôt transitoire, avec une profitabilité plus basse et des quantités plus élevées.
Ne rechercher que la différenciation est traditionnellement une erreur. Il y a en effet toujours un nouvel entrant qui arrive avec un produit proche, mais moins cher ou avec des coûts plus faibles. Pour toute entreprise, il est fondamental de parvenir à contrôler ses coûts. La clé est de trouver une combinaison des deux.
N’importe quelle stratégie, n’importe quel avantage concurrentiel, finira par disparaître. Nous sommes sur des marchés dynamiques, très compétitifs. Toute sur-performance identifiée par des concurrents hors du marché les conduira nécessairement à rentrer un jour pour disputer l’avantage concurrentiel. Pour rendre l’avantage concurrentiel soutenable, défendable, il est donc indispensable d’innover plus vite que les concurrents. La stratégie digitale permet cela.
Art
Pourquoi qualifier la stratégie digitale d’art? C’est de l’art car après avoir mené l’analyse technique, il faut prendre une décision. Si nous étions des machines, la décision serait étayée à 100% par l’analyse technique, et tous les techniciens dans la même situation, avec les mêmes données, prendraient la même décision. Or nous ne sommes pas des machines. Nous sommes des êtres de passion, entre réel et réalité. Nos décisions sont aussi le reflet de notre histoire, de nos expériences passées, de notre formation, de notre vie privée, bref de ce que nous sommes, chacun. La stratégie digitale décidée est donc un équilibre, fragile, entre la dimension analytique pure, la dimension systémique et la dimension émotionnelle. C’est ça, l’art de la stratégie digitale. C’est pourquoi c’est un travail d’équipe et qu’il faut parvenir, après avoir construit la stratégie, à convaincre d’autres du bien-fondé du raisonnement: trouver les arguments, illustrer, séduire, conduire, être compris. Ce qui est bien conçu s’énonce clairement.
Une fois la définition de la stratégie digitale établie, nous pouvons débattre de son lien avec la stratégie traditionnelle. La stratégie digitale, est-ce de la stratégie, ou est-ce autre chose? En d’autres mots, est-ce de la stratégie, comme la stratégie traditionnelle, mais plus en phase avec l’évolution de notre société? Est-ce une sous-division de la stratégie, ou juste de la stratégie dans un monde digital? Est-ce une discipline à part, totalement différente?
A propos
Jean-Philippe Timsit est professeur de Competitive & Digital Strategy à l’ESC Rennes School of Business.
Il est spécialisé dans l’avantage concurrentiel et la création de valeur, principalement dans le cadre de stratégies digitales, ainsi que dans les domaines de l’entrepreneuriat et du leadership. Il intervient régulièrement sur ces thématiques auprès d’entreprises via des séminaires, formations et missions de conseil ou auprès d’entrepreneurs en phase de création.
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