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La technologie est elle vraiment le mal ?

Par Bertrand Duperrin, expert FrenchWeb

Aussi loin que je me souvienne on a toujours suspecté la technologie de nous amener les pires maux sans qu’au final les prophéties ne se réalisent. Manque de connaissance du sujet par les prophètes qui n’y voyaient qu’une boite noire incomprise ? Manque de compréhension de l’évolution de la société qui un jour est prête à accepter voire demande ce qu’elle aurait refusé hier ? Autre chose ? Ca doit être un peu de tout ça.

L’humain est schizophrène quand on parle du bien et du mal.

Et puis on ne peut aborder les notions de bien et de mal sans essayer de comprendre le prisme par lequel l’humain regarde les choses. Et force est de reconnaitre qu’il est souvent ambigu voire schizophrène. Il suffit de regarder un sujet d’actualité pour s’en rendre compte : les données personnelles.

Une même personne vous dira dans la même discussion qu’elle tient au respect de sa vie privée, qu’elle est soucieuse de l’usage que les entreprises font des données collectée sur elle mais qu’elle est demandeuse de service personnalisé, tout en prenant soin de bloquer les cookies sur son navigateur. A ne plus savoir quoi en penser.

La technologie n’est pas le problème, l’usage oui.

J’ai toujours eu la même réponse quand ce sujet était abordé. Le problème n’est pas la technologie quelle qu’elle soit mais celui qui s’en sert. Mais ça n’a rien de neuf : on peut utiliser une pelle pour creuser et planter un arbre comme pour tuer quelqu’un.

Aujourd’hui j’irai quand même un peu plus loin dans mon propos. Le problème est au niveau de celui qui s’en sert et de celui qui la conçoit. Quand on crée une arme de destruction massive on ne peut pas simplement se dédouaner en mettant tout sur le dos du fou inconscient qui l’a utilisée. Des gens fiers d’avoir intellectuellement contribué au programme de la bombe atomique se sont sentis mal à l’aise quand elle a vraiment été utilisée.

Bref on en revient toujours au même sujet l’éthique. La technologie est neutre, l’éthique de l’utilisateur et du concepteur, elles, ne le sont pas.

Et aujourd’hui le grand sujet c’est bien sur les données personnelles.

Affaire Cambridge Analytica avec Facebook, aspiration de données non désirées par Androïd, evangélisation autour de la GDPR, l’internaute a fini par se réveiller. S’il a mis du temps à comprendre que « si c’est gratuit c’est que tu es le produit » il comprend désormais que ça va beaucoup plus loin. Voire trop.

Je suis d’ailleurs amusé que des gens aient été surpris ou choqué par l’affaire Cambridge Analytica. La donnée c’est le business model de Facebook et quand on devient milliardaire en vendant la vie des gens il ne faut pas s’attendre à ce que cela change un jour. C’était non seulement inéluctable mais cela se reproduira car c’est la logique des choses.

Quand je parle d’utilisateur de la technologie je ne parle bien sur pas de l’utilisateur final qui est souvent la cible, le « produit » mais de l’entreprise qui la met en œuvre. Ici Facebook, indissociable de son fondateur. Oui Zuckerberg n’a aucune forme d’éthique, ou alors il est en avance de 30 ans sur la société. Ou son manque d’éthique va justement pousser la société à ne pas aller dans ce sens. Et on a vu des salariés quitter Facebook précisément pour cette raison : ils ne cautionnaient plus la direction prise par l’entreprise…même si peu s’en sont ouvert publiquement, ou l’ont fait trop tard. Et des utilisateurs en ont fait de même.

La tech a-t-elle ses lanceurs d’alerte ?

Les lanceurs d’alerte jouissent d’une bonne cote de sympathie dans la société, pour vu qu’ils ne confondent pas ce rôle et la poursuite d’intérêts personnels. La question qui se pose est : qui, dans une boite de technologie peut ou doit faire office de lanceur d’alerte. Ou faire preuve d’une éthique qui leur fera dire « non je ne développerai pas ça », « non je ne peux pas vendre ça ».

Ce qui rappelle une initiative de la fondation Mozilla qui, en collaboration avec des chercheurs et des professeurs, vient de lancer un programme visant à réintroduire l’éthique dans le formations en informatique. D’autres universités majeures ont également introduit l’éthique dans les parcours de formation des informaticiens (MIT, Stanford). A mon avis, c’est un sujet qui est plus à introduire qu’à réintroduire. Déjà que l’éthique n’a jamais tenu le haut du pavé dans les cursus de formation, à part pour hauts dirigeants (peu importe ce qu’ils en faisaient), on ne s’était jamais dit que c’était un sujet d’exécutants, mais, justement, de décideurs. Avec des décideurs éthiques, pas besoin que le sujet pollue le terrain. L’initiative de Mozilla laisse à penser que l’éthique doit être un sujet mieux distribué dans l’entreprise et que si le décideur n’en fait pas preuve c’est à d’autre d’en faire preuve à sa place.

Si la donnée est le nouveau pétrole, il n’y aura jamais de business de la data sans éthique de la data. Et voir qu’on essaie d’en faire un sujet chez ceux qui développent les technologies de demain est certainement une bonne chose.

Reste à voir comment cela transposera ensuite en entreprise. Alors que les Chief Data Officers fleurissent à tout les coins de rue, je n’ai pas encore vu d’entreprise remettre l’éthique au centre de son business. Je veux dire avec des moyens et une personne à un niveau suffisant pour que sa voit porte et l’autorité nécessaire pour arrêter une initiative déviante. Et je ne serai pas surpris que ça n’arrive pas avant une rébellion des clients ou une condamnation lourde devant la justice.

Bref ayons confiance dans le progrès technologique, il est neutre. Mais regardons toujours les Hommes qui sont derrière.

Crédit Photo Une : Diable De Tampo via Shutterstock

L’expert:

bertrand-duperrinBertrand Duperrin est Digital Transformation Practice Leader chez Emakina. Il a été précédemment directeur conseil chez Nextmodernity, un cabinet dans le domaine de la transformation des entreprises et du management au travers du social business et de l’utilisation des technologies sociales.

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