«La transformation digitale est-elle la Loana de l’innovation?»
Entreprise libérée, entreprise agile, esprit collaboratif, culture start-up, écosystème, lean start-up, transformation digitale, digital workplace, travail en mode projets : voici les buzzwords de 2016. Derrière ces mots, se cachent des concepts bien précis, reflets d’une certaine conception de l’entreprise; ils annoncent plus globalement une évolution sociétale. Mais ces mots devenus mots valises pourraient perdre leur sens et leur impact à force d’être utilisés à toutes les sauces.
«Transformation digitale» fait référence dans la bouche de ceux qui l’emploient à des sujets aussi variés que la digitalisation de process, la transformation de la culture d’entreprise, le développement de l’e-commerce, la présence sur les réseaux sociaux, et même, comme je l’ai entendu récemment, l’eticketing, signe que les compréhensions du sujet sont aussi variables que les positions de certains ministres qui twittent contre le gouvernement, avant de le rejoindre. Et pourtant la transformation digitale est bien évidemment un vrai sujet de fond.
«Entreprise libérée» : autre terme à la mode. Là encore, on mélange des démarches comme l’entreprise polycellulaire, les pratiques de l’holacratie, l’amélioration continue et le toyotisme, les réflexions sur la qualité de vie au travail. Si le terme «entreprise libérée» vient du livre d’Isaac Getz, il est utilisé pour parler de sujets, pratiques et théories très variées et parfois opposées entre elles !
L’objectif de cet article n’est pas de faire l’apologie de telle ou telle tendance, bien que j’en sois évidemment convaincu qu’elles sont le futur. Il s’agit d’anticiper quels sont les risques de leur surexposition médiatique. L’entreprise libérée, l’agilité et la transformation digitale sont-elles condamnées, comme des starlettes ayant connu une gloire éphémère grâce à un show de téléréalité, à une longue descente aux enfers? La transformation digitale est-elle la Loana de l’innovation?
La quête de sens au travail est une réalité pus forte que jamais : lorsque nous recrutons chez LearnAssembly, nous voyons arriver de nombreux consultants ou salariés d’entreprise lassés d’un travail répétitif, dans des structures souvent prestigieuses, mais étouffantes d’un point de vue managérial.
L’usure liée à des pratiques managériales contrôlantes est une réalité. L’une de mes motivations en tant qu’entrepreneur est d’ailleurs de fuir ces pratiques et de réinventer mon mode de travail, à travers ma start-up. Parallèlement, nous constatons que le digital est un phénoménal appel d’air pour l’innovation et le changement. La réduction des barrières à l’entrée, la mobilité professionnelle et la circulation de l’information permises par le digital sont autant de bouffées d’oxygène dont a besoin notre société. Derrière le buzz, c’est une mutation profonde qui s’opère.
«Je vous l'avais dit»
Mais toutes les modes contiennent les germes de leur propre destruction, n’est-ce pas d’ailleurs le principe d’une mode? Si les DRH et dirigeants ne s’emparent pas du sujet de l’innovation managériale, celuici risquera cannibalisé par des gourous autoproclamés; il restera un sujet de niche, réservé à un groupe réduit de passionnés un peu idéologues. Pour citer La Rochefoucauld (relire les grands moralistes du XVIIème est d’une grande aide en ces temps perturbés) : «La pénétration a un air de prophétie qui flatte plus notre vanité que toutes les autres qualités de l'esprit».
Par manque de pragmatisme, les mutations portées par l’innovation managériale ne se répandront pas dans les entreprises et dans cinq ans, les sceptiques conservateurs seront victorieux et pourront dire : «je vous l’avais bien dit».
Il en va de même pour la transformation digitale. Pour vendre une prestation touchant de près de loin au digital, mieux vaut l’enrober du terme de transformation digitale. Les entreprises souhaitent toutes entamer leur transformation digitale; elles ne prennent pas toujours le temps de définir une stratégie, de se former. Là encore, si les dirigeants et l’ensemble de l’entreprise ne s’empare pas du sujet du digital, il restera cantonné à quelques équipes et certaines entreprises passeront à côté de ses opportunités.
Bref, la transformation digitale pourrait elle aussi subir la victoire des sceptiques.
A force de trop vouloir surfer sur la vague, entreprises comme prestataires pourraient déchanter. Il est probable que les entreprises mûriront sur le digital et apprendront de leurs premières erreurs.
Entreprise libérée, innovation et transformation digitale, même combat ? Un peu d’enthousiasme tout de même; comme le dit Erri de Luca «les prophéties sont des mots qui donnent des ordres à l'avenir» .Les buzzwords de 2016 sont les signaux faibles d’un besoin de changement; reste à savoir si les apôtres n’en auront pas détourné les vrais messages en cours de route.
Conférencier et chroniqueur, Antoine Amiel est le fondateur de LearnAssembly, start-up de croissance qui crée des formations digital learning et Moocs d'entreprise pour démocratiser la culture digitale et l'entrepreneuriat. Et il est également le fondateur de la French Touch de l'éducation, le réseau des acteurs de la filière edtech française. Antoine Amiel est aussi créateur du Mooc : www.innomanageriale.com.
Compte twitter : @antoineamiel LinkedIn
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Effectivement, les mots qui viennent donner vie à des concepts nouveaux passent souvent par une phase dans laquelle ils sont généralisés voire galvaudés. Cela a été le cas avec le Web, le mobile, le Big Data…et bien d’autres. Et c’est très frustrant pour les personnes qui mettent derrière ces mots des concepts bien précis, des perspectives d’amélioration et des espoirs de transformation significative.
Au moins, l’avantage de ces mots et de leur diffusion, c’est qu’on en parle. Et c’est indispensable. A nous, porteurs de changements et de transformation de continuer à diffuser nos idées et à faire en sorte que le plus grand nombre comprenne l’intérêt. Pour la transformation digitale par exemple, tout le monde focalise sur le mot digital, mais en fait c’est la transformation qui est importante… Alors à nous de le faire comprendre aux journalistes et autres communicants pour que les messages soient orientés en ce sens.
Pour finir par une note optimiste : le risque n’est pas que les septiques l’emportent et tuent dans l’œuf tous ces nouveaux concepts, le risque est simplement que cela prenne plus de temps que prévu. Mais de toute façon cela arrivera. La transformation est inéluctable, dans tous les domaines de notre vie et les septiques suivront comme toujours avec plus ou moins de retard. Faisons en sorte que ces concepts continuent à naître plutôt dans les environnements qui délivrent et partagent la connaissance et le savoir (aussi en mutation, n’est-ce pas Learn Assembly ?) comme ce fut le cas du mail, du Web… Et cela permettra à chaque génération de d’aporter sa part de transformation.