La vérité derrière l’échec de ma première start-up
Ou comment un Phoenix renaît toujours de ses cendres.
Cela fait un an que je repousse l’écriture et la publication de ce post.
Un an car cela fait un an que j’ai liquidé ma boîte précédente, MommyVille, et que j’aurais aimé pouvoir expliquer à l’époque à mes utilisatrices ce qui s’est passé.
Un an car cela fait un an que notre procédure de liquidation est en cours et qu’a priori, elle n’est toujours pas finie.
Un an car je pense que c’est le temps qu’il faut pour faire le deuil de sa première boîte et d’accepter publiquement de dire «ceci est mon échec, je vais vous expliquer pourquoi», et de rebondir.
Mon premier bébé, mon premier échec
MommyVille était mon premier bébé. Je venais du milieu académique, j’étais professeur de fac à Paris 12, installée tranquillement dans un poste durement acquis après l’obtention de mon doctorat et rien ne me prédestinait à monter une start-up.
MommyVille, avant. (Photo by Douglas Cabel/alike)
J’ai eu la chance d’avoir une idée inspirée de ma vie aux Etats-Unis et de l’expérience de maman de ma sœur: monter un réseau social pour que les mamans puissent se connecter et se retrouver selon des critères qui leur plaisaient. Que les mamans solos puissent discuter avec d’autres mamans solos. Que les primipares trentenaires du 12ème puissent se retrouver entre primipares trentenaires du 12ème. Que les filles enceintes qui se posent des questions puissent parler à des jeunes mamans qui s’étaient posé des questions. Bref, un mix entre Facebook/LinkedIn de réseautage entre mamans, un endroit de partage et de connexion, dans la bienveillance et l’écoute. Ma punchline préférée était (et est toujours): «il existe autant de façon d’être maman qu’il n’existe de façon d’être femme.»
Avec la perspective, je pense que j’ai été super bien entourée et que j’avais mis un max d’atouts de mon côté pour réussir. J’ai été très soutenue par l’Ecole des Ponts et Chaussées, la promotion et les profs de mon MBA que j’ai commencé en 2015. J’ai eu des tonnes de mots d’encouragements et d’excellents conseils des gens de mon réseau ou que j’ai pu rencontrer, qui ont pris de le temps de partager leur expérience, leurs conseils. J’ai lu des dizaines de livres et stabiloté des tonnes de passages importants. Le vrai déclencheur a été Christophe Raynaud que j’ai croisé à HEC en 2013 alors que le projet n’était qu’une idée sur un doc Word et qui m’a dit: «Ne te cache pas derrière le fait que tu n’as pas fait d’école de commerce, il n’y a aucune école au monde qui te prépare à être start-uppeuse, donc ne te cherche pas d’excuse et lance-toi.» Encore aujourd’hui, ces mots résonnent et je ne serais jamais assez reconnaissante qu’il me les ai dits.
De l’importance du business model
Je rigolais un peu à l’époque face aux critiques de mon business model. Il existait, évidemment. J’avais étudié pas mal de cas et de business plans de start-up de copains, j’avais passé des heures à faire des recherches (le côté universitaire a été bien utile). Et comme beaucoup de réseaux sociaux, j’avais décidé que notre BM serait de monétiser notre base d’utilisateurs d’une manière intelligente et respectueuse via pub et partenariats. Ca paraît idiot avec la perspective, de partir sans un BM qui soit organique, surtout après avoir lu l’article d’Oussama sur l’importance du BM, qui m’a depuis convertie à toutes les best practices de TheFamily pour ma nouvelle start-up, JOONE. Mais à l’époque, j’étais animée par l’envie de créer cette communauté pour aider les mamans à mieux se connecter, à trouver des réponses à leurs questions, à se trouver entre mamans qui voulaient se trouver et je croyais sincèrement que la monétisation de la data était la clé du financement.
Notre premier BA était un membre de mon réseau, ce qui nous a permis de nous lancer, avec mon apport perso et un prêt de la BNP qui a été d’un très grand soutien durant toute l’existence de notre boîte. On dit souvent que les banquiers sont frileux et chiants, mais les gens de la maison des entrepreneurs de la BNP ont vraiment été au top avec nous.
Ensuite, nous avons cherché à lever des fonds. Je suis une relativement bonne pitcheuse et j’adore Keynote donc j’ai pu faire des jolies présentations et des pitchs plutôt sympas. Le roadshow était assez cool, on avait des retours positifs, des questions pertinentes, beaucoup de bienveillance, et au final, on a tapé dans l’œil d’un investisseur, un jeune fond américain qui avait monté une branche européenne pour investir dans des start-up en Europe.
Le fonds du fond
C’est ce fonds d’investissement qui a périclité notre chute, dans la plus grande et la plus violente des brutalités. Leur CEO était hyper enthousiaste, l’équipe était petite mais semblait tout à fait légitime, ils nous ont fait une term sheet correcte, ils n’ont pas été trop pénibles pour les négociations, on est allés jusqu’à la signature du bon de souscription et là, la spirale de l’enfer s’est emballée. On a découvert que le fonds était sous le joug d’une potentielle investigation aux USA sans en savoir trop (Blanchiment? Tax fraud? A l’heure actuelle, impossible de savoir).
Et surtout, le CEO du fonds ne répondait plus aux mails ni aux textos. Je suis tombée de ma chaise, car j’avais rencontré pas mal de VCs à Paris et en Silicon Valley et je n’avais trouvé que des gens assez bienveillants, très pro, critiques mais toujours constructifs, certes intéressés par l’idée du profit mais surtout par l’idée de faire grandir des pépites. Clairement, notre fonds (qui a fait le même coup bas à plusieurs start-up en Europe qui sont aujourd’hui pour certaines dans le même cas que MommyVille) ne jouait pas avec les mêmes règles que les autres et son attitude ne reflétait pas celle d’une profession pour laquelle je garde un profond respect. En quinze jours, on est passé de la fière annonce de notre levée de fonds à une liquidation forcée pour protéger les employés qu’on avait recruté en amont et qu’on ne pouvait d’un seul coup plus payer. C’est fou la vitesse à laquelle les choses peuvent mal tourner en start-up. J’en discutais avec le fondateur d’une grosse start-up qui en parlant des débuts de sa boîte me disait «à une semaine près, on fermait aussi. Nous, on a eu plus de chance.»
J’ai donc liquidé sans rien dire à mes utilisatrices car je ne savais pas quel serait le sort du site, si le liquidateur allait réussir à faire payer le fond et à nous relancer ou pas. J’ai espéré pendant des mois qu’il réussisse à le faire payer pour qu’on relance la machine… en vain. Pour mes utilisatrices, je suis tellement, tellement désolée. Je n’avais aucun moyen simple et rapide de dire «on a des problèmes, peut-être qu’on va fermer, peut-être qu’on ne va pas fermer.» L’incertitude était atroce à vivre et je n’arrivais pas à trouver les mots car il n’y avait pas de mots, il n’y avait que des doutes.
Me & my culpa
Evidemment je suis 100% responsable de cet échec, moi et moi seule. Je n’aurais pas dû partir sans business model qui soit intrinsèque. Je n’aurais pas dû être tellement heureuse d’avoir trouvé un investisseur d’en oublier de faire une vraie, grosse due diligence du fonds. Je pense que sur une première start-up, on est tous tellement heureux à l’idée d’avoir un investisseur, BA ou VC, que finalement, au-delà de la négo de la Term Sheet et de la lecture du pacte avec l’avocat, une investigation poussée du fonds semble presque secondaire. J’en parlais dans mon précédent article sur le choix de la pilule bleue de Néo dans MATRIX , du mythe de l’investisseur/chèque de mamie à Noël. On oublie vite qu’un investisseur a des droits et des devoirs et qu’il peut aussi, comme ça a été le cas pour nous, nous couler sans scrupule en nous entraînant dans sa chute.
La bonne nouvelle, c’est la bienveillance des gens. Depuis mes employés qui ont été adorables, patients, toujours là dans le soutien, qui ont été une vraie force pendant cette période difficile aussi pour eux; à mes copains de pépinière et de mon réseau StartUp Leadership qui m’ont soutenu et m’ont conseillé, qui m’ont écouté raconter mon histoire et qui avaient toujours un mot gentil, une idée, quelque chose de constructif à proposer; aux juges qui m’ont accordé la liquidation de ma boîte et aux liquidateurs qui ont été très compréhensifs, bienveillants, abasourdis par cette histoire farfelue et qui mènent à l’heure actuelle à la guerre légale qui est toujours en cours. Sans parler de mes amis et de ma famille, de ma meilleure amie qui me paie le train et m’accueille chez elle au lendemain de mon dépôt en larmes au TGI pour me sortir de Paris et me changer les idées… Bref, j’ai eu la chance d’être super soutenue ce qui m’a donné la force et le courage de repartir.
Repartir oui, mais pas à n’importe quel prix
Sauf que cette fois, je me suis promise de ne pas sacrifier le projet à mon enthousiasme délirant de sagittaire ascendant sagittaire, de ne jamais sacrifier mes valeurs, ce que je voulais et ce en quoi je croyais. Pas de sugarcoating. J’étais très exigeante avec moi-même, je le suis devenu avec les autres. Mon nouvel associé Robin partage 100% des valeurs bienveillance/good business que nous mettons en avant dans notre nouvelle start-up, JOONE. Les investisseurs, prestataires et partenaires avec lesquels nous avons signé partagent ces valeurs. Maintenant, j’arrive en meeting limite en mode brutal «avant toute chose, voilà les valeurs que nous défendons, et c’est non négociable.» Certains nous ont dit non, car l’idée de la transparence, de la bienveillance professionnelle leur semble idéaliste et effrayante. Mais ceux qui travaillent avec nous aujourd’hui sont comme nous, ils voient le vent et les consommateurs changer, et comme nous ils ont envie de réussir en faisant des bonnes choses. Car c’est possible en 2017 de travailler en faisant les choses bien, sans sacrifier son éthique ni ses valeurs et c’est ce que JOONE, Robin, notre équipe, et moi-même défendons, et défendrons toujours.
La Team JOONE (oui on a aussi un chien) (photo: Didier Forest)
Carole Juge est la cofondatrice et CEO de JOONE Paris.
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