Le chatbot médical: avancée ou danger?
Par Jean-Noël Chaintreuil, fondateur de Change Factory
Décider de créer un chatbot dans le domaine de la santé, c’est un sacré challenge et une sacrée responsabilité. Vous avez probablement déjà fait l’expérience d’internet qui vous diagnostique une maladie mortelle et incurable alors que vous vouliez seulement savoir pourquoi votre genou droit vous grattait. Vous avez également probablement déjà fait l’expérience du chatbot d’un service de télécommunication quelconque qui ne comprend pas votre question, ou répond complètement à côté (on espère que vous n’avez pas fini avec 40€ de plus sur votre abonnement). Imaginez maintenant une fusion des deux : le chatbot médical. Avancée ou danger?
Chatbot, un outil de personnalisation de la décision thérapeutique et du suivi
Décider d’une prise en charge thérapeutique nécessite pour le médecin de disposer d’autant d’informations sur le patient et sa pathologie que nécessaire, afin de dégager des options de soin possibles, leurs conséquences éventuelles, les événements humainement contrôlables et les événements aléatoires. Une identification claire de ces paramètres permet de les exposer clairement aux patients, qui peuvent alors prendre des décisions éclairées sur les accompagnements les plus adaptés à leurs cas.
Le développement de bases de données personnelles relatives à la santé, telles que celles regroupées et harmonisées dans des dossiers informatisés lors de consultations médicales, mais aussi celles issues des technologies de quantified self (montres et balances connectées, applications de mesure et suivi de la qualité du sommeil, de la prise alimentaire, etc.), est précieux pour soigner les patients dans une approche globale de leur santé plutôt que leurs maladies ponctuelles. Là où l’esprit humain saturerait vite face à une telle quantité de données, un algorithme adapté peut rapidement les confronter pour atteindre un niveau de précision inédit dans la personnalisation des soins. Et la communication avec le patient se ferait alors via un chatbot.
Leur exploitation pourrait cependant également permettre, grâce à leur confrontation avec des données issues de la recherche scientifique correspondant aux différentes pathologies, d’anticiper sur les évolutions de maladies existantes chez le patient, les réactions aux traitements, ou de prédire des probabilités d’apparition d’autres troubles. Cela donnerait l’opportunité, à terme, d’intervenir au plus tôt sur le traitement, voire la prévention de maladies, ce qui améliore considérablement leurs chances de guérison – ou de non-apparition!
Un chatbot de suivi post-opératoire, conçu avec des professionnels experts et avec des patients, pourrait également intervenir au moment du suivi de ces derniers, pour permettre, là aussi, davantage de personnalisation dans leur accompagnement, une meilleure observance des traitements et du suivi thérapeutique et une facilité d’accès au plus grand nombre. Par exemple, le chatbot ASISPO, fruit du travail du Dr Jean-David Wolfeler (chirurgien stomatologue) avec ses patients et avec Thomas Gouritin (expert chatbots et IA), permet d’assurer un suivi post-opératoire systématique, bienveillant, et efficace pour les remontées d’alertes.
Toute la force de la conversation avec ce chatbot réside dans un accès sécurisé et très simple pour le patient sans application à télécharger ni de compte à créer, et dans le monitoring et les remontées d’alerte en temps réel du côté de l’équipe médicale. Une brique indispensable pour intégrer le chatbot au parcours de soin, au cœur du système pour le fluidifier et l’augmenter… avec, et pour, les professionnels de santé et les patients.
Nous ne sommes pas tous égaux face à l’accès aux soins
Les chatbots médicaux sont une promesse d’avancée considérable pour les personnes vivant dans des zones de désert médicaux, ce qui est le cas de beaucoup de zones rurales, ou de conflits – à condition que ces dernières ne soient pas aussi des déserts numériques bien entendu. A l’inverse dans les grandes métropoles, les patients sont souvent confrontés à des délais parfois indécents pour arriver à prendre rendez-vous avec un spécialiste. Selon une enquête de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), il faut en France en moyenne entre 6 et 80 jours suivant les spécialités pour obtenir un rendez-vous.
Les chatbots seraient alors l’assistant parfait pour offrir une première assistance à ces patients. En délivrant des conseils directement via une plateforme web, une application ou des messageries, telles que Messenger, ces agents conversationnels permettraient aux patients de gagner du temps et de grandement limiter les surcharges des services d’urgences des cliniques et des hôpitaux, ou, en particulier pour les zones de désert médicaux, d’avoir une première évaluation de la gravité de leur état de santé et de l’urgence à laquelle la traiter pour pouvoir être redirigés au mieux. Autre avantage : ces petits assistants sont disponibles 7 jours sur 7 et 24h sur 24, ayant ainsi le potentiel d’alléger les appels aux pompiers ou services d’urgence de nuit. Dans le cas des applications ou des messageries, on notera quand même l’importance d’une vérification de la protection des données sensibles que sont les données médicales avant de se lancer…
Une solution qui doit être encadrée
Les données médicales étant par nature extrêmement sensibles, elles nécessitent bien entendu un cadre légal solide afin de pouvoir être collectées, stockées et exploitées. Développer un chatbot dans le domaine de la santé, a fortiori lorsqu’il délivre des préconisations relatives à un traitement médical soumis à prescription, implique une grande responsabilité. Il y a une obligation absolue de fiabilité. L’entraînement du moteur d’analyse du chatbot doit passer par un apprentissage supervisé, et les questions auxquelles le chatbot n’a pas su répondre doivent systématiquement être recueillies et analysées par un humain pour corriger le moteur et/ou enrichir ses capacités sémantiques.
Pour ce faire, des cadres de gouvernance pour l’utilisation responsable des chatbots dans la conversation médicale sont en train d’être mis en place dans différentes parties du globe. Attention cependant : il est plus facile de définir les normes éthiques qu’un système doit respecter que de concevoir et de déployer un système pour y répondre. Il existe aussi des lacunes d’apprentissage, avec des activités qui se déroulent en silos et peu de mécanismes en place pour stimuler la collaboration mondiale et la mise à l’échelle rapide d’outils et de pratiques éprouvés.
Pour parer à ces lacunes, a été fondée la Global AI Action Alliance du Forum économique mondial ; une communauté mondiale et un accélérateur d’action qui rassemble les plus grands développeurs et utilisateurs d’IA au monde pour:
- accélérer l’adoption d’une IA fiable, transparente et inclusive à l’échelle mondiale et dans tous les secteurs
- créer une boucle de rétroaction sur l’apprentissage et la mise à l’échelle en temps réel dans les secteurs clés et les domaines difficiles
- catalyser et incuber de nouveaux partenariats et initiatives pour combler les lacunes et les besoins urgents
« La création d’une gouvernance ferme pour l’utilisation de l’IA dans [le secteur de la santé] sera transformatrice et permettra à de nombreuses personnes qui n’auraient autrement pas accès aux soins de santé d’être soignées », déclare Firth-Butterfield, Responsable de l’Intelligence Artificielle et du Machine Learning au sein du Forum. « Le cadre permet une utilisation rapide et itérative des chatbots dans le secteur de la santé en fournissant des directives qui peuvent être utilisées par tous. Il pourrait être transformé en loi, mais il pourrait également être utilisé comme auto-gouvernance par les créateurs de chatbot. »
Cependant, tant que ces éléments ne seront pas pris en compte et que des politiques d’implémentation strictement encadrées ne seront pas mises en place pour le déploiement de ces chatbots, il restera compliqué de profiter pleinement de la puissance de frappe de l’intelligence artificielle dans le domaine médical.
Une partie de cet article est extrait de notre livre en cours de rédaction, autour de l’IA dans le domaine de la santé. Si vous êtes un professionnel du secteur de la santé et que vous souhaitez témoigner, ou que vous avez un intérêt pour la lecture de cet ouvrage, contactez-nous !
Le contributeur :
Jean-Noël Chaintreuil est le fondateur de Change Factory, laboratoire d’acculturation et d’accompagnement au changement où l’humain est au centre. Les missions principales sont la compréhension des cultures, l’accompagnement des Comex, les transformations culturelles et la mise en application de stratégies de rupture.
Il intervient également dans diverses universités (La Sorbonne, Sciences Po, Berkeley, Dauphine, Sorbonne Abu Dhabi, etc.) sur le futur du travail, les ressources humaines, les transformations culturelles et accompagne les programmes d’intrapreneuriat.
Vous pouvez retrouver ses articles sur Quora,