Le Crowdbuzzing ou l’abus des foules
Le crowdfunding a bonne presse. Il permet à tout un tas de projets étonnants d’être financés, que ce soit un enregistrement studio pour un groupe de musique indépendant ou une imprimante 3D grand public. On ne peut que se réjouir du succès de ce mode de financement alternatif. Le problème, c’est que certaines grandes entreprises cherchent à profiter de cette bonne presse pour lancer des projets éthiquement discutables, parfois à la limite de l’arnaque.
Vous avez forcément entendu parler de la BD Largo Winch. Succès d’édition incontestable pour Dupuis, adapté à la télé et au cinéma. On compte plus de 250 000 exemplaires vendus pour “Mer Noire”, le dernier album en date. Aussi, à l’approche de la publication du prochain volume, l’éditeur Dupuis, en association avec My Major Company BD, lance une opération de crowd funding qui n’en a que le nom.
On nous explique ainsi que pour “remercier les fans de leur fidelité”, Dupuis lance une collecte de 10 000€ (ou plus si affinités !) et que les donateurs pourront bénéficier en contrepartie d’une copie numérique en avant-première de l’album, d’une édition collector ou d’une invitation pour un cocktail en compagnie des auteurs. A quoi serviront ces 10 000€ exactement ? A financer le projet. Quel projet ? Mais celui de distribuer des contreparties. L’album sortira de toutes façons, avec ou sans participation du public, et si on est sur un site qui prétend faire du crowdfunding, on s’apperçoit bien vite qu’il s’agit plus simplement d’une opération d’e-commerce.
En soit, rien de scandaleux au fait de lancer une souscription. Le problème, c’est qu’on tente de faire passer pour une nouvelle forme de financement ce qui ressemble plutôt à une bonne vieille forme de monétisation, tout en se vantant dans un communiqué de presse de rapprocher les communautés de fans et les créateurs.
Le crowdbuzzing, c’est ça : profiter de l’aura du crowdfunding ou du crowdsourcing pour faire du bon vieux business 1.0. A rapprocher du social washing, la pratique est vieille comme les médias sociaux. Combien de musiciens “découverts par internet” ne doivent leur notoriété qu’au travail d’un label tout ce qu’il y a de plus classique ?
On peut aussi faire un parallèle avec ce que les Américains appellent “l’astroturfing”, pratique qui consiste à déguiser en mouvement populaire spontané les manipulations de lobbies et de cabinets. L’un des meilleurs exemples récent est le Tea Party, force politique américaine émergente, soi-disant née d’un ras-le-bol d’une majorité silencieuse mais discrètement financée par des think tanks républicains.
Crowdbuzzing vidéo-ludique
Les choses vont plus loin dans le monde des jeux vidéos, où le crowdfunding est en train de devenir un phénomène particulièrement impressionnant : sur Kickstarter, des projets de jeux vidéos dépassent régulièrement la barre du million de dollars récolté, et avec la OUYA c’est carrément une console de jeu qui va être lancée grâce à plus de 8 millions de dollars collectés.
Kickstarter est une aubaine pour les développeurs, puisque non seulement ils peuvent y trouver leur financement, mais lorsque le jeu est finalement disponible, il arrive estampillé du label “crowdfunding” dont la presse spécialisée est friante, et dispose déjà d’une communauté d’ambassadeurs toute faite.
Pas étonnant, donc, qu’on découvre aujourd’hui des témoignages de développeurs à qui les éditeurs de jeux vidéos ont proposé de monter un Kickstarter plutôt que de leur avancer l’argent eux-mêmes.
La solution pour lutter contre le crowdbuzzing ? Les foules elles-mêmes peuvent se défendre : l’initiative de Dupuis lui a valu un petit bad buzz sur Twitter, et quelques coups de gueules de blogueurs du milieu. Ce qui n’empêche pas le projet d’attirer les participations déjà nombreuses des fans de Largo Winch.
Le fait est que le crowdfunding est encore un domaine un peu nouveau, qui pour l’instant fonctionne avant tout grâce à la bonne foi de toutes les parties (comme l’a révélé la polémique sur les projets ratés d’il y a quelques semaines). A mesure que les sommes engagées deviennent de plus en plus importantes, cependant, les profiteurs vont se multiplier et des processus de contrôle devront être mis en place.
Ne nous alarmons pas, toutefois : la plupart des projets sur Kickstarter ou Ulule sont tout à fait honnêtes, et nous n’avons encore jamais entendu parler d’un projet qui se soit terminé avec des donateurs spoliés par un porteur de projet parti au soleil avec tout leur argent.
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