«Le e/m/f-commerce d’aujourd’hui, ne tolère pas l’à peu près, même lorsque l’on s’appelle Auchan»
Aushopping.com est le nouveau centre commercial digital de Immochan, la foncière du groupe Auchan. Cette dernière gère 96 centres commerciaux en France, 375 dans le monde, et fait face, comme ses concurrents, à une baisse de leurs fréquentations. Si les hypermarchés du groupe s’en sortent plutôt bien, c’est en revanche plus compliqué pour les locataires de ses centres commerciaux qui louent à prix d’or leurs surfaces commerciales.
Immochan s’attache donc depuis de nombreuses années à endiguer cette baisse de fréquentation. D’abord avec un centre commercial 3D en 2010 dont le seul mérite fût d’exister et désormais avec une nouvelle version de Aushopping.com, lancée discrètement en avril 2015.
Le principe de Aushopping est simple, proposer une plateforme Web to store aux 400 enseignes présentes dans ses centres commerciaux. L’intention est louable et jusqu’ici, cela semble une excellente idée. Le projet Aushopping, présente néanmoins quelques erreurs de jeunesse. Il permet aussi de constater que le déploiement de Web to Store à une échelle nationale soulève des problématiques aussi passionnantes que complexe.
Moins d’ambition, plus d’innovation
Le premier objectif de Aushopping.com est de fournir aux consommateurs les promotions et les animations des centres commerciaux Immochan. C’est l’animation du Web to Store et nous pouvons relever quelques manquements aux bases du web marketing, notamment une stratégie de contenu peu lisible. Au travers de neuf onglets, dont certains en doublon, vous parviendrez à obtenir des flyers de promotions ou à localiser les toilettes de votre centre commercial (à conditions d’avoir préparer votre trajet chez vous puisque la carte du centre commercial n’est ni dans l’application, ni dans la version mobile). Des textes ridiculement courts, des illustrations sorties tout droit des catalogues print… Les pages Facebook remplissent aussi bien si ce n’est mieux ce rôle et ont le mérite d’avoir déjà de l’audience.
Le second objectif d’Aushopping est de vous présenter les produits que vous pourrez trouver dans votre centre commercial ! Enfin du Web to Store, le consommateur pourra faire ses courses dans l’ensemble du centre commercial depuis son canapé. Sauf que:
«Cet article n'est pas disponible à la vente sur Aushopping.com mais contactez votre boutique au 05.45.96.05.02 afin d'en connaitre la disponibilité. Pour le mémoriser, ajoutez-le à votre liste d'envies.»
Ou encore :
«Cet article est disponible à la vente sur Aushopping.com mais contactez votre boutique au 05.17.85.00.01 afin d'en connaitre la disponibilité.»
Comble du comble, même pour les produits que vous pouvez acheter en ligne, vous n’avez aucune option vous permettant de choisir le retrait en magasin. Vous pouvez préparer votre liste d’achat mais Aushopping ne vous garantit pas que le produit est effectivement disponible en boutique et le Web to Store est donc simplement inexistant.
Ni la mise en avant des services, ni la partie Web to Store ne sont convaincantes et elles n’apportent que peu – voire aucune – plus value aux consommateurs. Le communiqué de presse SQLI, en charge du développement, annonce «une nouvelle expérience du Shopping», laquelle?
Un problème de SI
La question est donc de savoir pourquoi, en près de deux ans de développement, Immochan et SQLI n’ont pas été en mesure de proposer une expérience Web to Store convaincante. La réponse est simple: lorsque vous avez 150 enseignes différentes dans un centre commercial, vous avez 25 systèmes d’informations différents, 30 versions différentes, 50 configurations différentes et 50 enseignes qui n’ont aucun SI d’envergure. Il tient donc de la mission impossible de tous les interconnectés.
Lorsque vous avez conçu la plateforme d’abord pour vos SI, il faut donc faire du développement personnalisé pour synchroniser les produits, les stocks et surtout les commandes. Cela représente des budgets importants et ne permet plus ni à Aushopping, ni aux enseignes d’évoluer de façon indépendante.
Ensuite sur le plan marketing qui demande une collaboration étroite entre Aushopping et les enseignes. Chaque marque dispose de sa propre stratégie marketing, de ses priorités et de ses systèmes de collectes de données. Lorsque vous demandez à la direction d’Aushopping si Aushopping est une Marketplace, la réponse est non. Pourtant, ils rencontrent exactement la même problématique ! Pour avoir des produits il faut de l’audience et pour avoir de l’audience, il faut des produits. Tant qu'Aushopping n’aura aucune audience solide à proposer, les enseignes favoriseront leurs propres canaux de distribution à celui d’Immochan.
Finalement, absolument rien ne favorise la collaboration entre les différentes enseignes et Aushopping et à court terme, rien ne la favorisera suffisamment pour proposer une expérience Web to Store satisfaisante. Le groupe Auchan porte aussi une responsabilité dans cette problématique. Car le groupe Auchan, c’est aussi Décathlon, Leroy Merlin, tout simplement Auchan.fr et plusieurs autres enseignes. Nous déplorons qu’aucun de ces SI ne communique avec l’autre et il est difficile de demander aux autres de faire ce que vous mêmes ne faites pas.
Enfin, puisqu’il est toujours plus facile de critiquer et que nous croyons beaucoup à un vrai centre commercial digital, voici quelques pistes de réflexions.
Le centre commercial digital est local
L’omnicanal c’est bien, c’est tellement bien que tout le monde en fait. Dans la pratique, c’est assez rarement le cas et il ne suffit pas d’utiliser les solutions Hybris pour en faire. Pourtant, quoi de mieux qu’un centre commercial pour faire de l’omnicanal?
Les promotions visibles sur Aushopping, outre le fait qu’elles ne soient pas spécifiques à la plateforme, ne propose aucun mécanisme de tracking. Il est donc impossible de savoir quels clients ont pour origine Aushopping ce qui n’aide pas dans les négociations ultérieures avec les enseignes.
Toujours sur ces promotions, elles ne vous permettent pas de voir dans la partie e-commerce quels sont les produits concernés et encore moins d’en bénéficier via un achat en ligne (pour les rares produits disponibles). Nous l’avons vu, les stocks en boutiques ne sont pas affichés et il donc difficile de savoir si une promotion pourra être effectivement appliquée.
L’application mobile est strictement inutilisable lorsque vous n’avez pas de connexion Internet. Il n’est pourtant pas rare d’avoir un signal faible voire sans data dans un centre commercial. Conclusion, si la couverture réseau du centre commercial n’est pas optimale, tout le travail de préparation du shopping devient caduque et les datas collectées sur place sont inexistantes.
Si le consommateur veut contacter une enseigne, il ne peut que passer par le téléphone ce qui ne facilite pas le tracking. Il aurait été de bon augure, en 2015, de proposer d’autres modes de communication plus facile à suivre. Mais là encore, Aushopping et SQLI se sont probablement heurter au problème des systèmes d’informations différents, dont les CRM. Il y a néanmoins des intermédiaires, comme une simple adresse email ou un formulaire de contact…
La correction de l’ensemble de ces problèmes devrait emmener Aushopping vers du multicanal, prérequis à la mise en place de l’omnicanal.
Let’s (re)focus
Peu importe l’ampleur du projet, il faut souvent se recentrer sur la problématique de base: augmenter la fréquentation des centres commerciaux Immochan. En attendant de s’attaquer à la synchronisation des SI, mieux vaut se concentrer sur les outils qui peuvent s’en passer.
Par exemple proposer des hot-spots Wi-Fi dans l’ensemble du centre commercial, accessible gratuitement avec son identifiant Aushopping. Avec un maillage intelligent, il y a de nombreuses données pertinentes à en tirer. Cela aura aussi le mérite de rendre l’application Aushopping utilisable et fluide dans les centres commerciaux.
Utiliser des beacons ou du GPS indoor. Les services de localisation des boutiques d’enseigne ne sont disponibles que sur la version grand écran de Aushopping et celle-ci manque de clarté. L’une des attentes du consommateur d’aujourd’hui est de pouvoir trouver une boutique rapidement, depuis son téléphone et soyons fou, recevoir des promotions lorsqu’il passe devant une vitrine.
Le développement de la réalité virtuelle et des caméras 360° permet d’imaginer dès aujourd’hui des usages innovants et pertinents dans les centres commerciaux, nous aurons d’ailleurs l’occasion d’en reparler. La grande distribution devrait être précurseur en la matière, c’est un terrain de jeu idéal!
Enfin, le regain de fréquentation des centres commerciaux passe aussi par de nouvelles propositions d’animations, moins axées sur la consommation. Nous pouvons citer des espaces détentes, cultures, multimédia et bien d’autres, accessibles gratuitement. Transformer ces centres commerciaux en autres choses que des arènes de la Consommation est un défi majeur pour l’ensemble des acteurs de la grande distribution.
Tous ces services soulèvent finalement un inconvénient majeur, et c’est d’ailleurs celui-ci qu’Aushopping a tenté de résoudre: il demande une implication et un travail très local. Vous ne pouvez pas déployer des hot-spots Wi-Fi dans 96 centres commerciaux rapidement, idem pour les beacons, idem pour les animations. Et quoiqu’il arrive, vous ne pouvez pas forcer les enseignes locales à utiliser les outils que vous leurs proposez, encore moins à communiquer dessus.
Il est important de comprendre que le digital n’est plus une révolution, c’est un outil. Et un outil demande de la formation puis du temps à leurs consacrer. La valeur ajoutée doit donc être évidente.
Un long travail de formation…
Les directeurs des magasins Auchan sont à peine formés au webmarketing et les directeurs des centres commerciaux probablement pas beaucoup plus. Quand aux gérants des franchises des centres commerciaux, permettez-nous d’avoir de sérieux doutes. Ainsi, vous pourrez leur proposer tous les outils Web to store du monde, s’ils ne sont pas convaincus de leurs intérêts en amont, vous perdrez votre temps. De même, l’ouverture d’une plateforme e-commerce nécessite la création puis l’animation d’une communauté digitale. Si tous les responsables d’enseignes dans un centre commercial avaient une page Facebook correctement entretenue, la fréquentation du dit centre augmenterait de façon non négligeable.
Vous pourrez nous retoquer que c’est le travail des directions marketings des enseignes et non celui d’Immochan. Nous vous répondrons que l’un n’empêche pas l’autre et que, encore une fois, les enseignes du groupe Auchan ont elles mêmes une large marge de progression en la matière. D’ailleurs, les loyers des enseignes sont indexés sur la fréquentation du centre, c’est donc un investissement pour Immochan.
Et ces Systèmes d’Informations, on abandonne?
Toutes ces belles paroles ne résolvent en rien le problème de synchronisation des différents SI. Immochan avait pour ambition de déployer Aushopping rapidement (moins de 10 ans quand on parle de la grande distribution) dans ses plus de 300 centres commerciaux. Il a donc créé un système adapté à ses systèmes dans lequel il a injecté, plus ou moins de force, le contenu des enseignes partenaires. Avec les résultats que nous venons de voir, personne n’aime que l’on lui force la main et il y a donc très peu de contenu de qualité.
En terme de marketing, il est contre productif de penser que Immochan, depuis son siège Lillois puisse proposer du contenu adapté à la clientèle de tous les centres commerciaux. Mais, une fois les bonnes personnes formées, vous pouvez leurs proposer des outils. Des templates d’emailing Aushopping, des applications Facebook personnalisables, des outils de tracking promotionnels, du push… Immochan peut ensuite récupérer ce matériel marketing original et pertinent afin de le concentrer sous sa marque Aushopping et, pourquoi pas, dans son application.
En terme de Web to Store, il est tout à fait possible de créer une structure vide, sur laquelle viennent se brancher les différents système d’information des enseignes. C’est une marketplace et le business modèle est largement éprouvé. Si une enseigne n’est pas prête à vendre ses produits, laisser lui le temps de se préparer. Aushopping a tout intérêt à présenter correctement dix produits qui se vendront plutôt que de forcer l’intégration de 1000 qui ne se vendront pas. Le e/m/f-commerce d’aujourd’hui, ne tolère pas l’à peu près, même lorsque l’on s’appelle Auchan.
Pour le partage des données, la problématique est la même et la mise en place d’une bête API permettrait aux enseignes de ne pas se sentir lésées mais au contraire, de bénéficier de l’expertise et de la force de frappe d’Immochan.
En conclusion, Immochan avait de bonnes intention et de bonnes idées. L’erreur qui a pu être commise est de vouloir centraliser la création du contenu. Nous pensons que l’arrivé d’un Web to store convaincant dans les centres commerciaux passe par une décentralisation locale de ces contenus. Libre à Immochan de créer l’outils adapté, en prenant toute la mesure de ce que cela implique en terme d’éducation. Il ne reste plus qu’à voir si la nouvelle direction d’Immochan sera à la hauteur du challenger Web to Store.
Pierre Aurèle Martin travaille depuis près de 10 ans dans l’e-commerce où il accompagne des grands comptes dans le développement de leurs ventes. Spécialisé ces dernières années dans l’analyse comportementale pour la grande distribution, il a récemment fondé ZOKS Media qui accompagne ces mêmes entreprises dans leur communication digitale.
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