Le futur du contrat de travail ? Les CGU !
La transformation digitale ne bouleverse pas seulement la manière dont on travaille, elle transforme également le cadre de ce travail. Ce sont les notions mêmes d’emploi et de contrat de travail qui sont chamboulées, selon certains, voire amenées à disparaître ou à n’être que l’apanage de quelques profils favorisés.
Parlons d’un sujet à la mode : l’ubérisation du travail. Sujet à la mode mais terme galvaudé.
L’ubérisation du travail recouvre une foule de choses :
• la rareté du travail salarié telle qu’on l'a connue
• la rareté du travail tout court (même si en la matière je parlerai davantage de la watsonisation à venir que de l’ubérisation en cours)
• la dégradation des relations employeur/employé, ce dernier devenant une commodité, substituable, interchangeable, un mal nécessaire auquel on dénie le moindre droit, la moindre protection.
Si du côté des clients un Uber connaît un succès retentissant, si du côté des chauffeurs il a permis à beaucoup de sortir de l’ornière et de trouver une activité, voire de trouver une place dans la société, on ne peut pas ne pas entendre non plus la voix des déçus. De tous les chauffeurs qui voient leur situation se dégrader du jour au lendemain, voient leurs conditions de collaboration changer sans autre forme de procès, se voient exclure du programme sans autre recours, voire se voient dénier le droit à se regrouper dans un syndicat pour faire valoir leurs droits. Bref, le côté sombre du travail flexible, qui nous fait bien comprendre que ce qu’on désigne souvent sous le nom enjolivé d’économie du partage ou économie collaborative (où sont le partage et la collaboration dans le système ?) est en fait une économie de la demande.
Le vrai enjeu derrière le freelancing : les plateformes
Une réponse facile est de dire que c’est logique. On rentre dans une économie de freelance et le freelance est moins protégé qu’un salarié. Il n’a pas de contrat de travail avec un employeur mais un contrat de prestation de services avec un client avec tout ce que cela implique. Le volet «social», assurances, etc., est de la responsabilité du travailleur et les conditions d’exécution et de rupture du contrat, si elles sont supposées être négociées, sont en fait imposées par le plus puissant des deux contractants. Donc pas le travailleur.
C'est une version dégradée du contrat de travail, adaptée au monde de demain, qui favorise l’activité et la flexibilité au détriment d’une certaine sécurité dans le temps. De toute manière, c’est comme ça. C’est là où nous allons et au moins ça met des gens au travail, peu importe le travail et les conditions dans lesquelles il se réalise. Finalement, peu importe qu’on soit d’accord ou pas avec ce qui va arriver : c’est irrémédiable et c’est la moins mauvaise solution dans le monde qui nous attend. Sauf que ce n’est pas du tout ce qui nous attend : la réalité est même pire.
Vers la «plateformisation» du travail
Ce qui caractérise l’économie vers laquelle nous allons n’est pas qu’elle soit une économie de freelance mais une économie de plateformes. A ce titre, je parlerai plutôt de «plateformisation» du travail plutôt que d’ubérisation.
La plateforme, c’est ce qui permet à une entreprise, Uber ou autres, de mettre en relation client final et prestataire à grande échelle et à coût marginal quasi nul. Il n’y a pas à proprement parler de contrat entre l’opérateur de la plateforme, ses clients et ses prestataires, juste l’acceptation de conditions générales d’utilisation (CGU). Dans la pratique, il y a bien des contrats, implicites, mais ce qui régit tout, notamment dans la relation avec les prestataires, ce sont les conditions générales d’utilisation. La prestation ne se passe que dans le cadre des CGU, une fois que celles-ci sont acceptées.
Les CGU sont l’avenir du contrat de travail
Il est beaucoup plus simple de modifier unilatéralement des CGU qu’un contrat, fût-il de prestation ou de travail. On peut y ajouter des clauses comme le renoncement à certains droits et le seul fait de ne pas accepter la modification unilatérale prive le prestataire de son activité. Il sort du système. Il n’est ni contractant, ni salarié, ni prestataire : il est l'utilisateur d’une plateforme dont il doit accepter les conditions générales d’utilisation avant de rentrer dans une logique de prestation plus classique. Les CGU sont la barrière à l’entrée qui permettent ensuite de contractualiser «normalement», sachant que les clauses les moins acceptables étaient dans les CGU qu’il fallait accepter en amont.
L’avantage des CGU, c’est qu’on peut y mettre des clauses qui ne seraient jamais acceptables dans un contrat de travail ou un contrat classique. Le prestataire est libre d’accepter ou non, d’utiliser la plateforme ou non. Ainsi s’il le veut, il se plie à ses règles. Il n’est ni employé, ni contractant. C'est juste un utilisateur.
A l’heure de l’économie des plateformes, ne cherchez pas plus loin l’avenir du contrat et de la relation de travail : ce sont les conditions générales d’utilisation des plateformes.
De quoi faire frémir ou satisfaire les DRH…. selon leurs valeurs.
Article initialement publié sur Bloc-notes, le blog de Bertrand Duperrin.
Bertrand Duperrin est Digital Transformation Practice Leader chez Emakina. Il a été précédemment directeur conseil chez Nextmodernity, un cabinet dans le domaine de la transformation des entreprises et du management au travers du social business et de l’utilisation des technologies sociales.
Il traite régulièrement de l’actualité social media sur son blog.
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Votre article reflète la réflexion que beaucoup doivent avoir entre une société dite « classique » et les entreprises créant et gérant des plateformes.
Par contre, je regrette que vous utilisiez le terme « d’ubérisation » pour parler de ces plateformes.
La raison de votre utilisation de ce terme reflète soit d’un suivi intentionnel de la presse avec comme objectif de décrier ce principe de plateforme, soit d’une mauvaise connaissance du problème juridique inhérent à la société Uber;
Problème totalement différent et inexistant dans la majorité des plateformes existantes sur le marché.
De manière constructive, pourquoi utilisez-vous le terme d’ubérisation?