Benoit RaphaelBUSINESSLes ExpertsMEDIAStartupTECH

Le jour où Simon a perdu 40 millions

C’est l’histoire d’un mec qui a vu passer 40 millions d’euros entre ses mains et qui a tout perdu en quelques mois. Un entrepreneur qui a connu cette montée d’adrénaline complètement folle qu’Internet procure parfois. Qui a connu ce moment où tout le monde t’appelle parce que tu as levé tellement d’argent. Et puis cet autre moment où plus personne ne répond à tes mails.

C’est l’histoire d’un mec qui a remonté lentement la pente.

C’est l’histoire de Simon Dawlat avec qui j’ai partagé un bo-bun dans le 11ème il y a quelques mois. Simon, dont le regard calme et souriant te donne le sentiment qu’il n’a pas changé depuis le dernier déjeuner que tu avais pris avec lui, à l’époque du succès.

En triant tranquillement ses nouilles, Simon me raconte sa folle histoire. La folle histoire de sa start-up, AppGratis, qui a remporté le jackpot, jusqu’à lever 10 millions d'euros… avant de se faire aussi vite éjecter de l’AppStore. En quelques heures. Le rêve qui explose en fumée. Il se souvient du lieu et de l’heure exacte où il a reçu le coup de fil d’Apple.

Mercredi dernier, Appgratis a définitivement cessé ses activités. La start-up se concentre désormais sur son nouveau produit, Batch, une sorte de concentré plus réfléchi de tout ce que l’équipe a appris.

Il aura fallu deux ans à Simon pour reconstruire sa boîte. Et se reconstruire. Aujourd’hui, Simon est de nouveau dans la course. Entre-temps, il a trié ses amis.

La première chose que te révèle Simon quand tu l’interroges sur lui, c’est le nombre de boîtes qu’il a plantées. Plein.

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Simon Dawlat, fondateur d’AppGratis et de Batch.

Simon est un enfant de la mer. Ses parents et lui vivaient sur un bateau. De 6 à 10 ans, il a fait le tour du monde avec eux. Avec ses livres pour seuls amis. «Je crois que ça a créé chez moi une sorte d’esprit d’outsider».

Le premier métier de Simon, c’était joueur de jeux vidéo. Il tuait des ennemis virtuels à Counter Strike et il excellait dans ce sport. A 18 ans, il a donc monté sa première start-up: un des plus gros forums de gamers en Europe. A l’époque, on n’appelait pas encore ça le «e-sport». Simon était en avance. Il a levé 30 000 euros à la majorité. Avant de jeter l’éponge un an après. Trop tôt.

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Le premier métier de Simon: tueur de soldats virtuels dans un jeu vidéo.

Simon part alors aux USA pour un stage. En 2008, Apple venait de lancer l’iPhone. Simon a donc l’idée de développer un jeu pour iPhone. Logique. Mais le jeu c’est un échec.

En 2009, il se fait virer et rentre en France sans un sou. «Ce n’était pas grave, j’étais encore en mode étudiant». Il mange beaucoup de pâtes en buvant des bières. En attendant de savoir quoi faire de sa vie, il décide de créer un blog. Une idée assez simple, pour s’occuper: chaque jour, il présente une application pour iPhone. Mais le trafic ne lui permet pas de générer assez de pub.

Alors il a cette idée ringarde (c’était avant que le mail revienne à la mode): il crée une newsletter dans laquelle il présente, chaque jour, une application mobile. A chaque fois il propose à l’éditeur de l’application de passer en mode gratuit pour sa communauté.

Très vite, il séduit 10.000 abonnés.

Plutôt encouragé par le résultat il décide d’en faire une application. Le design est super moche. Mais efficace. En quelques jours, «Appgratuites» (oui le nom d’origine était moche aussi) passe de 20.000 à 400.000 abonnés! Avant de franchir aussi vite la barre du million.

Le reste ressemble à un hold-up. En fait c’est juste le résultat complètement fou d’une bonne idée au bon moment, emporté par le succès presque indécent de l’iPhone.

En 2010, AppGratuites génère 300 000 euros de chiffre d’affaires en un trimestre. En 2011, l’entreprise fait 2 millions d'euros. Puis 7 millions d'euros en 2012. «On allait faire 30 à 40 millions d'euros à la fin de l’année.»

Vertige.

A l’époque on a presque envie de lui dire: prends l’oseille et tire-toi. Pars aux Bahamas. Monte un fonds. Aide les autres. Mais là Simon fait une erreur. Il lève des fonds.

Pourquoi lever 10 millions d'euros alors que la start-up gagnait déjà plus d’un million d'euros par mois sans presque rien dépenser? «Je crois qu’on avait besoin de se légitimer», me raconte Simon, calmement. «On s’est dit que ça nous ouvrirait les portes d’Apple. Et que les annonceurs se sentiraient plus sécurisés si on était backés par une levée de fonds.»

Effectivement Apple les a repérés… mais pas pour ouvrir ses portes.

Donc Simon lève des fonds. Beaucoup. Tout le monde en parle. Simon pose avec Maurice Levy. C’est la fête.

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Le jour où tout le monde aimait Simon Dawlat.

 

AppGratuites (qui désormais s’appelle «AppGratis» pour faire plus international) se lance aux USA. Une tornade. La version américaine passe de 0 à 5 millions d'euros de CA en deux mois. Et passe enfin sous le radar d’Apple qui décide de sonner la fin de la partie.

«Je m’en souviens précisément. C’était le 5 avril 2013.»

Simon, millionnaire en puissance, passe des vacances au Brésil dans une vieille voiture d’occasion. Lui, n’a pas changé.

Le téléphone sonne. Il décroche en souriant. C’est le type d’Apple.

«Simon, you can’t continue your business anymore. We will remove your app tomorrow.»

Silence.

Puis Simon répond:

«Are you kidding ? You’re killing my company!»

Clic. Fin de l’histoire. On ne joue pas impunément avec les vrais maîtres du monde. Le rêve américain? C’était avant.

Quelques minutes plus tard, un mail confirme la sentence. Pas de juges. Pas d’avocats. Apple vient de tuer Appgratis.

benoit-raphael3De retour en France, Simon est emporté par le maëlstrom médiatique. La ministre Fleur Pellerin s’empare de l’affaire. Donc l’affaire lui échappe. «Ma mère m’appelait tous les soirs, en pleurs.»

Entre-temps, Simon s’était fait beaucoup d’ennemis. Des jaloux. «Quand la nouvelle est tombée, on s’est fait crucifier sur la place publique. On me traitait de start-up junkie.»

Et comme souvent dans ce milieu: quand tu as du succès et de l’argent, tout le monde veut devenir ton ami tout en te détestant. Et puis le jour où tu tombes, du jour au lendemain, plus personne ne répond à tes mails.

A l’époque, AppGratis, est une jeune entreprise insouciante de 80 personnes. Simon doit licencier. Beaucoup. Le coup de grâce. Il s’effondre. Fin du tome 1 du seigneur des applications.

Pendant 6 mois, Simon sombre dans une semi-dépression. Il se bat comme un diable, sauve les meubles, mais il accuse le coup.

«Je restais au bureau à regarder des vidéos sur YouTube et à me poser plein de questions.»

Et puis un matin Simon décide de se relever. Il se remet au sport. Arrête de fumer. Il reste encore de l’argent sur le compte de la boîte. Alors il réfléchit.

«Début 2014, on a rassemblé tout le monde, et on s’est dit: on se laisse 3 mois.» Il monte 5 équipes. Qui bossent sur 5 projets. «On s’est dit on prendra celui qui marchera le mieux.»

Le projet gagnant, c’est Batch. Un outil qui permet de gérer les notifications sur ton application. «On l’utilisait sur AppGratis, on s’est dit que ça pouvait profiter aux autres». L’outil est lancé en 2015. Les résultats sont là. «Je me sens plus serein depuis une semaine à peine.» Dans un an, il comptera ses vrais amis. Et puis les faux amis reviendront. Ils reviennent toujours avec le succès.

Entre-temps, Simon a changé. Même s’il donne l’impression d’être toujours le même.

«Quand tu es jeune, tu ne sais pas que c’est impossible, alors tu fais. Après, tu es plus craintif. Il faut trouver l’équilibre entre les deux.»

L’entreprenariat: ce mélange de folie et de clairvoyance, de coups de chance et de coups du sort. Ce chemin de traverse qui te construit.

 

benoitraphaelBenoît Raphaël est expert en innovation digitale et média, blogueur et entrepreneur.

Il est à l'origine de nombreux médias à succès sur Internet: Le Post.fr (groupe Le Monde), Le Plus de l'Obs, Le Lab d'Europe 1.

Benoît est également cofondateur de Trendsboard et du média robot Flint.

 

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