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Le modèle anti-startup : Odoo, 20 ans de croissance à 50 % sans outbound, sans dette, sans exit

L’histoire d’Odoo détonne. Dans un écosystème dominé par les levées de fonds, les valorisations spectaculaires et les stratégies d’hypercroissance, l’éditeur belge de logiciels de gestion affiche un modèle radicalement opposé. Zéro outbound jusqu’à récemment, deux levées en vingt ans, une croissance annuelle de 50 % depuis sa création, une rentabilité soutenue, et un refus catégorique d’introduction en bourse ou de vente industrielle. En 2025, Odoo franchit les 550 millions d’euros de chiffre d’affaires, avec un effectif de 5 000 collaborateurs. Son fondateur, Fabien Pinckaers, détient encore 57 % du capital.

Une croissance construite sur le produit, pas sur le capital

La trajectoire d’Odoo s’inscrit dans un temps long, étranger aux cycles d’amorçage, de série A ou de blitzscaling. Dès l’origine, la société est construite autour d’une vision claire : créer une suite logicielle unifiée couvrant l’ensemble des besoins de gestion des PME. Le projet est ambitieux. Contrairement aux injonctions du lean startup, Odoo ne débute pas par un MVP mais développe simultanément comptabilité, CRM, logistique, facturation et e-commerce. Deux années de R&D sont nécessaires pour sortir une première version. Ce choix, risqué, pose pourtant les fondations d’une architecture logicielle intégrée, cohérente, et conçue dès le départ comme une alternative aux solutions fragmentées du marché.

Pas de levée, pas de dette, pas de cash : une école de résilience

Le modèle de départ repose sur les services. Pour financer le développement, l’entreprise vend des prestations sur mesure à ses clients. La croissance est lente, contrainte par le manque de trésorerie. À plusieurs reprises, la société frôle la faillite. Les salaires sont versés avec du retard. La première levée de fonds intervient en 2010 — trois millions d’euros levés auprès de Sofinnova Partners. La valorisation post-money s’élève à dix millions d’euros. Pinckaers conserve la majorité. En 2014, une seconde levée de sept millions d’euros est réalisée, à une valorisation de 30 millions. Depuis, Odoo ne fait plus appel au capital-risque. La société est autofinancée, rentable, et réalise uniquement des opérations secondaires pour permettre la sortie progressive d’actionnaires historiques.

Une distribution entièrement inbound… jusqu’à 500 M€ de revenus

Pendant plus de quinze ans, Odoo se développe sans outbound marketing. L’acquisition repose exclusivement sur le bouche-à-oreille et la satisfaction produit. Les clients recommandent le logiciel, les partenaires l’intègrent, la croissance se propage par la qualité de l’expérience utilisateur. Encore aujourd’hui, la majorité des leads sont issus de recommandations. La force commerciale exécute un processus simple : démonstration produit, pas d’argumentaire complexe, pas de segmentation verticale initiale. Le ticket moyen avoisine les 3 500 euros annuels par client. Ce modèle, largement sous le radar des grandes places financières, permet pourtant à Odoo de dépasser la barre des 500 millions d’euros de revenus en 2025.

Le choix assumé d’un pricing bas et d’une logique de volume

Là où la plupart des éditeurs SaaS alignent leur stratégie de prix sur la taille des clients, Odoo opte pour une tarification inversée. En 2022, l’entreprise décide de réduire ses prix pour les petites structures : 20 euros par utilisateur et par mois, contre 120 auparavant. Résultat : une accélération immédiate des souscriptions. Le nombre de nouveaux clients est multiplié par 2,8. Cette logique de commoditisation repose sur une conviction : comme Word ou Excel, les logiciels de gestion finiront par être standardisés et omniprésents. Pour y parvenir, il faut un produit complet, une intégration fluide, une interface intuitive, et un coût marginal. Odoo construit son avance sur ces quatre piliers.

Un modèle d’organisation opposé aux codes dominants

Odoo ne recrute aucun manager externe. Tous les cadres sont issus de promotions internes. L’entreprise fonctionne sans budget distribué, sans forecast par équipe, sans KPI hors équipe commerciale, et sans réunion récurrente. Le recrutement repose sur des tests pratiques et un test de logique, sans examen des CV. Le titre de poste est choisi librement par les salariés. La culture d’entreprise est articulée autour de trois valeurs : autonomie, responsabilité, évolution. Dans cette architecture minimaliste, l’efficacité se mesure au contact du travail, non par des tableaux de bord.

Une vision assumée de long terme, sans IPO ni exit

Fabien Pinckaers le répète : Odoo ne fera jamais d’introduction en bourse, ni de cession industrielle. L’entreprise génère suffisamment de cash pour financer sa croissance, rémunérer ses équipes et acquérir ses propres actions. La dernière opération secondaire de 500 millions d’euros en 2023, valorisant la société à cinq milliards, a permis à Sequoia Capital, BlackRock, CapitalG et Mubadala de rejoindre le capital, sans dilution du fondateur. Ce dernier continue d’acheter des actions à chaque opération, contractant même des prêts personnels pour le faire. Il n’a jamais vendu une seule part de sa société.

Une ambition simple : construire le Word du logiciel de gestion

L’objectif d’Odoo n’est pas de devenir un leader sectoriel, mais de rendre les logiciels de gestion universels, intégrés, abordables. Là où Salesforce et SAP multiplient les fonctionnalités et la complexité, Odoo choisit la cohérence, l’efficience, et la sobriété logicielle. L’ensemble du code source — seulement 400 000 lignes — est maîtrisé en interne. L’entreprise se déploie géographiquement non pas en fonction des marchés, mais des talents disponibles en interne. Chaque ouverture de bureau résulte d’une opportunité humaine, pas d’un plan marketing.

Une autre idée de la réussite entrepreneuriale

Odoo interroge les dogmes de la tech contemporaine : croissance lente mais solide, absence de levées répétées, centralité du produit, méfiance envers le branding, et radicalité organisationnelle. Cette trajectoire singulière montre qu’un modèle alternatif est possible. Un modèle dans lequel l’obsession pour la valorisation, la dette et le bruit médiatique cède la place à la patience, à la maîtrise, et à la construction durable.

 

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