L’écosystème numérique français est-il en surchauffe?
Olivier Ezratty est consultant en Nouvelles Technologies et auteur d’Opinions Libres, un blog sur les médias numériques (TV numérique, cinéma numérique, photo numérique) et sur l’entrepreneuriat (innovation, marketing, politiques publiques…). Olivier est expert pour FrenchWeb
Je suis en train de plancher sur la mise à jour du Guide des Startups. Ce sera la 18ième édition. La dernière datait de mars 2013.
C’est un long travail de consolidation de ce qui change dans le pays autour des startups. Chaque année, je modifie un très grand nombre de pages du guide et j’en ajoute. La 17ième édition faisait 304 pages et la 18ième va en faire 30 de plus. Elle paraitra entre fin mars et début avril 2014.
Pourquoi cette augmentation ? A la fois parce que le guide comprend de plus en plus d’éléments d’informations sur la manière de créer sa startup du numérique, mais aussi du fait de l’incessante multiplication des acteurs de l’écosystème.
On ne compte plus les incubateurs, accélérateurs, espaces de coworking, fab labs, programmes de startups de grandes entreprises, fonds d’investisseurs, plateformes de financement participatif (150, qui ne sont pas toutes dédiées au financement des startups, loin s’en faut), nouveaux médias dédiés aux startups (Maddyness, RudeBaguette, etc), une ribambelle de structures de conseil pour accompagner les startups, plus d’un concours de startups par semaine et des événements à gogo, et une multiplication des structures d’accompagnement dans toutes les régions. Chaque région, chaque ville veut sont écosystème d’innovation. Le pays semble avoir enfin compris l’intérêt d’avoir beaucoup de PME innovantes !
Il y en a dans tous les sens ! Cela donne parfois l’impression d’être une ruée vers l’or, un peu comme avec le Bitcoin, l’impression 3D ou les objets connectés.
Phénomène de mode ?
Symbole de cette tendance, ce dernier week-end, je jouais le rôle de mentor au Startup Weekend Polytechnique. Même eux s’y mettent ! Les équipes candidates mélangeaient des élèves de l’X et des jeunes issus de toutes filières d’ingénieurs, de commerce, de design, autant grandes écoles qu’universitaires. Il y en avait de toute la France, jusqu’à Biarritz (avec notamment un support stabilisé de GoPro, ci-dessous) ! J’y ai même croisé trois élèves de 42 ! Qui plus est, il y avait 16 équipes et plus de 100 participants actifs, un niveau rarement atteint dans ces Startups Week-ends et c’était mon 7ième en temps que mentor ! Qui plus est, les élèves de l’X avaient pris soin de tenir leur réputation avec une organisation logistique sans faille, jusqu’au système de commande des burgers et des pizzas ! Tout cela était un beau symbole de creuset d’innovation !
Autre symbole, je dépiaute en ce moment les 119 dossiers des candidats de la Startup Academy, l’un des concours de startups de ce bas monde, celui-ci existant depuis 2008. Le nombre de candidats présélectionnés est assez stable, quoiqu’en légère augmentation. La diversité des projets y est toujours très grande. On retrouve quelques pépites et cependant beaucoup de micro-projets créant de la micro-valeur pour des micro-cibles.
On y retrouve une zone de progrès manifeste pour les projets nés en France : un côté “petits-bras”. Des projets qui ciblent des marchés de niche difficiles d’abord. Une absence de vision côté plateforme. Une faiblesse côté technologique alors que pourtant, nous ne manquons pas de technologues brillants. Certes, il y a de quoi faire dans l’innovation de services, mais la vision proposée est souvent étriquée et pas très scalable. Ce n’est pas bien nouveau mais l’appel d’air de l’entrepreneuriat génère naturellement un grand nombre de projets ayant ce profil là.
Le côté petits-bras est un cercle vicieux qui n’a pas encore été rompu : il a comme origine l’association des difficultés à se financer (en France et en Europe), à créer des équipes pluridisciplinaires, et aussi au côté prudent de notre culture. On ne nous a pas appris l’ambition à l’école en général ! Cela commence à changer heureusement, notamment avec la multiplication des filières entrepreneuriales dans les grandes écoles et même dans certaines universités.
Je constate un mélange entre un phénomène de mode qui attire tout un tas d’acteurs de niveau variable et une densification bienvenue de l’écosystème de l’accompagnement des startups.
Il y a une demi-douzaine d’années, les observateurs pensaient qu’il était trop léger en comparaison avec celui de la Silicon Valley. Aujourd’hui, on peut observer une surchauffe de cette écosystème : beaucoup de structures, d’événements, de concours, au point que l’on s’y perd un peu. L’entrepreneur qui débarque dans cet écosystème ne sait plus où donner de la tête. Il y a une exception dans ce bouillonnement qui est Bpifrance qui au contraire, a consolidé une bonne partie des instruments de l’Etat pour le financement de l’innovation, auparavant répartis sur Oseo et la Caisse des Dépôts. Avec, à la clé, une simplification en cours des processus de financement pour les entrepreneurs. Eux aussi ont lancé leur propre espace de coworking, boulevard Haussmann (ci-dessous) !
Tout ceci semble assez chaotique mais c’est un bon signe. Un écosystème innovant est un écosystème avec beaucoup de pertes en ligne. On accepte la mortalité des idées (moyennes) et des startups (moins bonnes que les autres).
On comprend mieux qu’il y aura peu d’élus sur les milliers de candidats au succès. On constate aussi que les compétences se recyclent mieux : les entrepreneurs qui échouent se relancent, l’échec semble mieux accepté. Parfois, ils entrent ensuite dans de plus grandes structures voire dans le conseil comme indépendants. En tout cas, ils s’adaptent.
Tous entrepreneurs ?
Les jeunes veulent devenir entrepreneurs et prendre leur vie en main. Ils s’expatrieraient maintenant plus facilement, autant pour devenir salarié ailleurs que pour entreprendre, tel Grégoire Henrion de Mindie qui s’était fait remarquer lors de la dernière conférence Leweb dans son débat avec Fleur Pellerin (vidéo). Une étude de la CCIP tendrait à montrer que ce phénomène s’amplifie, même si en masse, il reste malgré tout marginal.
Heureusement que tous ne veulent en tout cas pas devenir entrepreneurs ! Sinon, où seraient les salariés, pardon, “les collaborateurs”, dans les startups ? C’est un paradoxe macro-économique : si tout le monde était entrepreneur, les entreprises ne pourraient pas embaucher ! Mais la répartition de l’envie, de l’effort et du risque est telle qu’il y a toujours eu et il semble qu’il y aura toujours des entrepreneurs et des salariés. Des dominés et des dominants ? Oui, dans une lecture marxiste, mais pas forcément dans une lecture actualisée où le salarié est valorisé à sa juste valeur. Tout du moins, hors des temps de crise économique où l’offre d’emplois est rare. Par chance, l’offre d’emploi dans les startups se porte plutôt bien au regard d’autres secteurs. Tout du moins, tant qu’elle est portée par des structures de financement qui tiennent.
L’écosystème a en fait besoin d’une acceptation intermédiaire du risque : devenir salarié d’une startup. C’est plus risqué que de l’être dans une entreprise traditionnelle, mais moins risqué – tout du moins en apparence – que de devenir entrepreneur soi-même. De ce côté là, l’expérience montre que l’on n’a pas encore atteint la surchauffe. Les startups ont toujours du mal à recruter, notamment des développeurs, alors qu’il y en a des wagons dans les sociétés de service traditionnelles.
C’est ce qui a conduit, entre autres facteurs, Xavier Niel à créer l’école 42. On verra dans trois ans à la sortie de la première promotion qui a démarré son parcours en novembre 2013 ce qu’il en adviendra. Comment les étudiants se répartiront entre sociétés traditionnelles et startups. Coïncidence ou pas, ils termineront leur parcours au moment de l’inauguration de l’incubateur de la Halle Freyssinet, lui aussi pensé et financé par Xavier Niel !
En tout état de cause, l’école semble avoir réussi son pari d’intégrer des jeunes issus de la diversité et surtout, ceux qui sont exclus du système scolaire traditionnel aussi bien universitaire que des grandes écoles d’ingénieurs.
L’open innovation des grandes entreprises ?
Autre symbole de surchauffe de l’écosystème : le phénomène de suivisme des grandes entreprises qui se lancent en masse dans l’open innovation. J’ai décompté plus de 20 sociétés proposant des actions d’open innovation dans le Guide des Startups et la liste s’allonge de jour en jour, bien au-delà des habituels opérateurs télécoms et grands éditeurs de logiciels. Il serait temps ! En effet, le livre fondateur de l’open innovation de Henri Chesbrough est paru en 2003 !
Très souvent, ce n’est pas du tout dans leurs gènes mais les grandes entreprises ont compris qu’elles doivent ouvrir leurs processus d’innovation vers l’extérieur. Elles savent qu’elles ont beaucoup à apprendre des startups. Qu’elles doivent s’y sourcer pour se remettre en cause.
La première leçon est relativement simple : apprendre à être tout simplement un bon client ! Un client qui prend des risques, qui accepte de faire appel à des startups françaises et à ne pas forcément chercher leur équivalent à l’étranger (USA, Israël, …). Sinon, le client réalise systématiquement une prophétie auto-réalisatrice sur la fragilité des startups françaises. En ne faisant pas appel à elles, il contribue à les fragiliser ! Un bon client, c’est aussi un client qui accepte de payer au juste prix et dans des délais raisonnables. Bref, les startups ont plus besoin de clients et de partenaires que d’accompagnement marketing ou technique de la part de ces grands groupes !
Par ailleurs, l’open innovation est indissociable de l’open data et de la notion de plateforme. Une entreprise qui lance son programme de startups devrait absolument avoir en parallèle une offre “open data” et “open APIs” pour permettre à des startups du logiciel et de l’Internet de construire des applications autour. Il leur faut aussi créer un cadre contractuel sûr pour ce faire.
Sinon, l’augmentation du nombre des grandes entreprises impliquées dans l’écosystème de l’innovation a une conséquence indirecte : elle alimente en grande partie tout un tas de médias, structures et événements qui sont financés par le sponsoring. Le budget de sponsoring des grandes entreprises joue un rôle important pour financer l’écosystème. Ce système a des limites car ces budgets ne sont pas extensibles à l’infini et bien trop de structures d’accompagnement en deviennent dépendantes. Le tri se fera dans la durée !
Conclusion
Pour répondre à la question du titre, oui, il semble bien qu’il y ait surchauffe. Mais ce n’est pas un problème. C’est un signe de vitalité. Il y aura des pertes en ligne comme il y en a toujours et doit toujours en avoir dans les processus d’innovation. En anglais, on parle de “vivrant ecosystem”. On pourrait traduire par “bouillonnant”. C’est bien la situation dans laquelle nous sommes. Quand ça bouillonne, ça bouge et ça chauffe !
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