Les applications (aussi) peuvent être pensées pour limiter leur impact écologique
Par Alexandre Le Guerneuve, designer chez Fabernovel
Si l’empreinte écologique du monde numérique est montrée du doigt, c’est principalement pour ses méga datacenters et son besoin massif de minerais, les terres rares en premier chef. On cite moins souvent, à tort, les applications dont les modèles de conception entraînent une consommation faramineuse de données à l’échelle mondiale. Pourtant, le design durable existe.
Chaque unité d’énergie épargnée est une réussite
Selon le professeur Andrew Ellis, de l’université d’Aston la consommation d’énergie mondiale de l’économie digitale va doubler d’ici à 2030, prédiction confortée par les récents rapports de Greenpeace. Il n’y a pas lieu de croire que cette tendance s’inversera rapidement. Le marché de l’IoT est en pleine croissance avec la déferlante de produits et de solutions dérivés. Avec 5 milliards de possesseurs de smartphones dans le monde en 2020, c’est encore plus d’applications téléchargées -194 milliards en 2018 selon App Annie- et d’énergie consommée.
Mais cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas limiter l’impact écologique de la technologie, et ceci à tous les niveaux. Il n’y a de responsabilité collective assumée qu’une fois les responsabilités individuelles endossées. Si l’on admet que tout individu à un rôle à jouer pour préserver nos ressources, alors, pourquoi pas le designer quand il intervient sur la conception d’une application ou d’un objet connecté?
La surabondance en conception numérique
Si le nombre d’utilisateurs et de devices en circulation explose, la problématique de notre consommation énergétique inflationniste prend également sa source dans la conception même des applications mises à disposition des utilisateurs. Gourmandes sans aucune limite de data, elles exigent, pour fonctionner ne serait-ce que correctement, encore plus d’énergie, malheureusement loin d’être toujours verte.
L’informatique est un éternel recommencement. C’est une course mondiale au toujours plus puissant, toujours plus sensationnel, toujours plus esthétique, toujours plus friendly. Chaque application, chaque fonctionnalité digitale que nous utilisons quotidiennement, affiche une empreinte environnementale qui n’a souvent d’égale, qu’une certaine futilité vis-à-vis de nos besoins courants. Par exemple, la lecture automatique sur Youtube génère autant de revenus publicitaires pour Google que de données consommées bien inutilement pour les utilisateurs que nous sommes. La plupart des applications consomment en continu de la donnée en arrière plan pour rester à jour, qu’on les consulte ou non. Nos boîtes mails frôlent l’obésité morbide. La liste est inépuisable.
Inclure le durable dans le design UX
Beaucoup de choix de conception sont faits aussi par habitude. Par exemple, proposer systématiquement Gmaps dans une application relève plus d’un usage que d’une réelle réflexion. Si le visuel de la carte est agréable à l’œil et complète idéalement un service, est-il pour autant indispensable?
L’entreprise en outre n’est pas l’unique responsable de la situation. Il faut compter avec la tendance parfois exagérée des designers à produire du beau, du Nice to have, sans autre lien avec les besoins que le plaisir de concevoir et d’expérimenter. Tim Frick, dans son ouvrage Designing for Sustainability estime à 40% la part du frontend sur l’empreinte écologique totale d’un produit numérique. Oui, les designer ont bien un rôle à jouer dans la contribution générale à un internet plus vert et beaucoup commencent à s’y intéresser. Si le design durable fait l’objet de nombreux débats, principalement outre atlantiques (pour l’instant), peu de méthodes de conception prenant en compte son impact écologique, sont mises à disposition.
Vers une démarche de conception raisonnée et renouvelée
Finalement, l’absence de méthode importe peu, tant que l’empreinte écologique est associée au processus dès la conception, by design. Ce qui suppose de rester concentré sur l’objet premier de l’application et de ne pas céder aux démons de la tentation, en l’étoffant de fonctionnalités mineures voire même superflues, grandes pourvoyeuses d’échanges de flux. Un produit numérique durable est un produit optimisé, qui se concentre sur les principales problématiques auxquelles il doit répondre.
S’il fallait pousser la logique jusqu’au bout, il n’y aurait pas vraiment d’inconvénient à labelliser une application, comme le sont les produits de consommation courante bio, éthiques, équitables, cruelty free… Le design d’application durable n’est pas si loin des principes de l’agriculture raisonnée. Rien ne s’y oppose, si ce n’est une certaine résistance à se voir imposer des standards. Avant même de parler de normes, parlons plutôt de nouvelles approches créatives. En intégrant à sa réflexion des questions écologiques, un designer adoptera forcément un autre angle de vue, ce qui peut lui permettre de remettre en question ses propositions, de faire preuve d’originalité, de se renouveler en un mot.
Le contributeur:
Alexandre Le Guerneuve est Designer chez Fabernovel. Il intervient sur l’ensemble des étapes de conception d’une expérience. De l’accompagnement du client dans la définition d’un projet en passant par la conception et l’animation d’atelier de co-création, jusqu’à la réalisation des interfaces fonctionnelles. Très sensible aux questions environnementales il cherche à faire émerger le design responsable.