Les cabines de téléconsultation à l’assaut des déserts médicaux
Par Laurent BARTHELEMY et Anne PADIEU / AFP
« A défaut d’avoir eu un rendez-vous » chez son généraliste pour son fils fiévreux depuis trois jours, Christelle sort « assez bluffée » de sa première téléconsultation en cabine. Un service vendu comme l’un des moyens de pallier la désertification médicale.
« C’est bien expliqué et j’ai été bien accompagnée: la médecin m’a guidée à distance pour utiliser l’oxymètre (un petit appareil médical, NDLR) et pour regarder l’intérieur des oreilles avec l’otoscope », raconte la mère de famille dans la pharmacie des Arcanes, à Val-de-Rueil, une commune de quelque 13.000 habitants dans l’Eure.
« C’est rassurant aussi d’avoir un professionnel de santé à côté », glisse-t-elle à l’égard du pharmacien à qui elle présente l’ordonnance éditée par la machine.
L’officine débourse 450 euros par mois depuis mi-octobre pour louer cette cabine, installée près du comptoir par la société Tessan, l’un des principaux acteurs du marché qui équipe un millier de pharmacies en France.
Dans la cabine, une palette d’instruments connectés, activés à distance : tensiomètre, oxymètre, dermatoscope, stétoscope et thermomètre.
« J’avais tous les jours des demandes. L’été dernier, deux médecins ont quitté la commune et ceux qui restent sont débordés », explique à l’AFP le pharmacien, Pierre Peltier, dont la cabine est référencée sur la plateforme de prise de rendez-vous médicaux en ligne Doctolib.
Depuis l’installation du dispositif, la pharmacie est passée d’une à deux téléconsultations par mois, à « entre 40 et 50 » désormais.
Dans l’Eure, le délai médian d’obtention d’un rendez-vous chez un généraliste est de six ou sept jours, selon des statistiques 2023 de Doctolib.
Le service permet « d’éviter les urgences pour une otite ou une angine » et procure de « la visibilité » à l’officine: « La moitié des personnes venues pour la téléconsultation ne font pas partie de la clientèle fidèle », ajoute le pharmacien.
– Méfiance –
Il a bénéficié du forfait de l’Assurance maladie (1.225 euros) pour s’équiper, auquel s’ajoute une rémunération forfaitaire, de la Sécurité sociale également, qui varie en fonction du nombre de consultations et est plafonnée à 750 euros par an.
Côté médecins libéraux, la téléconsultation suscite la méfiance, voire l’hostilité: ils redoutent une médecine désincarnée et hors sol qui remplacerait la médecine de proximité. Et les nouveaux tarifs qu’ils ont négociés avec l’Assurance maladie prévoient une téléconsultation à 25 euros, pour les cinq prochaines années, contre 30 euros pour les consultations en présentiel.
A ce jour, les 6.000 cabines présentes en France -quasiment trois fois plus qu’en 2022- sont installées à « 85% en pharmacies car elles disposent en général d’une salle confidentielle pour l’orthopédie, la vaccination… », selon l’association des entreprises de télésanté (LET).
« Nous répondons à une problématique sociale d’accès aux soins », déclare Elie-Dan Mimouni, médecin et cofondateur de MEDADOM, leader en France devant Tessan et H4D, avec 4.000 cabines ou bornes installées. « Notre objectif n’est pas d’être LA solution à la problématique des déserts médicaux, mais d’être une solution parmi d’autres ».
Les cabines « permettent de redonner du temps médical sur les territoires, mais aussi de cultiver la complémentarité entre professionnels de santé », puisque les cabines sont pour l’instant installées, la plupart du temps, dans des pharmacies, estime-t-il.
Avec aujourd’hui 200.000 téléconsultations revendiquées par mois, Medadom cherche à se développer sur de nouveaux sites, comme les cabinets de soins infirmiers, ou chez les opticiens, avec le développement d’une activité ophtalmologique.
Tessan, qui travaille avec quelque 200 médecins salariés, a lui aussi entamé sa diversification, avec des formats moins encombrants comme des consoles et bornes à roulettes, tables de télé-ophtalmologie et d’audiologie ou encore mallettes pour les infirmiers à domicile.
Son fondateur, Jordan Cohen, mise sur « d’autres débouchés ». Il scrute les appels d’offres des collectivités territoriales et réfléchit à « l’implantation de cabines aux urgences des hôpitaux ou en médecine du travail ».
Le modèle économique de ce marché, lancé il y a environ cinq ans, est « complexe au niveau du mobilier, de la technologie, du recrutement des médecins et sur le plan réglementaire », relève-t-il.
Certains se sont cassés les dents, comme Visiomed, qui a cédé ses activités en France.
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