Les contacts humains priment dans l’expérience employé
Par Bertrand Duperrin, expert FrenchWeb
Le sujet de l’expérience employé fait sérieusement son chemin et commence à susciter nombre de publications. Je suis récemment tombé sur celle-ci, réalisée par Accenture.
Je ne vais m’intéresser ici qu’aux points saillants et les commenter à l’aune de ma propre expérience en la matière, vu que si l’étude n’apprendra rien à ceux qui sont déjà convaincus par le sujet et y travaillent, elle donne toutefois des arguments tangibles mesurés à ceux qui doivent encore convaincre leur organisation.
Je vois encore trop de personnes confondre expérience employé et well-being. Non pas que les deux s’opposent mais à mon sens l’expérience employé est quelque chose de largement plus large et lié à l’opérationnel. Soyons clairs : si l’expérience employé ne touche pas à la dimension opérationnelle de l’entreprise cela veut dire qu’on ne s’occupe des collaborateurs que lorsqu’ils ne travaillent pas et sont en pause. J’appelle cela installer un spa à côté de la salle de torture.
Le well-being c’est quand les gens sont au travail, l’employee expérience c’est surtout quand ils travaillent.
On ne peut réduire l’expérience employé aux moments où les collaborateurs ne travaillent pas.
Je disais il y a trois ans déjà que l’expérience employé était un facteur d’engagement et de productivité. Si mon propos s’est bien sur élaboré depuis, j’en reste convaincu et Accenture le prouve de manière chiffrée : là où l’expérience client est un levier de fidélisation client (+17% ) et de revenu (+11%), l’expérience employé est un levier de productivité.
Ainsi les entreprises offrant une bonne expérience employé sont elle 122% plus performante que les autres et celles qui ont un bon taux d’engagement sont 21% plus rentables que les autres.
Je ne vous cache pas que le 122% m’interpelle. A la fois par son ampleur et le fait qu’on arrive déjà à mesurer l’impact d’un sujet pourtant neuf. Soit.
L’étude identifie ensuite les éléments clé de l’expérience employé. Là encore rien de neuf : on est comme je le rappelle souvent dans une logique de consumérisation de l’entreprise. Tout ce qui se passe côté client se passera côté employé. C’est aussi simple que cela.
Vers l’hyperpersonnalisation de l’expérience employé.
1ere tendance héritée du monde « consommateur », l’hyperpersonnalisation. En fonction des âges, des métiers voire d’autres éléments, tout le monde ne demande ni n’a besoin de la même expérience. Cela demande donc une segmentation du personnel qui ne peut être aussi simpliste que en se basant uniquement sur des aspects métiers ou démographique. On déterminera alors des clusters d’employés partageant les mêmes caractéristiques…reste à savoir comment les déterminer de manière pertinente.
On apprend ensuite sans surprise que la technologie jouera un grand rôle dans l’expérience employé. Et selon Accenture non seulement les chantiers sont identifiés dans la quasi-totalité des entreprises mais certains sont déjà bien avancés.
Je ne commenterai pas la liste des chantiers qui est assez évidente. Pour autant les chiffres me laissent là aussi très sceptiques. Que 75% des entreprises envisagent de monitorer les émotions de leurs collaborateurs pour améliorer leur productivité m’étonne mais acceptons en l’augure. Que 35% le fassent me parait hallucinant. Idem pour les 39% des entreprises qui utilisent des services prédictifs qui anticipent les besoins des collaborateurs.
Quels sont les moments qui comptent pour vos collaborateurs ?
Autre point de passage obligé : les moments qui comptent, équivalent interne des moments de vérité chers à l’expérience client. Ces moments peuvent se passer dans ou hors de l’entreprise, toucher à la carrière ou à l’exercice d’une tâche précise. Ils ne seront donc pas, là aussi, les mêmes pour tous. Accenture distingue trois types d’expériences : physiques, humaines et digitales, qui se combinent au niveau personnel et professionnel.
Je trouve la grille de lecture intéressante même si dans mon propre référentiel inclus également les expériences organisationnelles. Par là j’entend tous les points d’intéraction et souvent de friction prescrits par l’organisation : structure de l’entreprise, hiérarchie, processus décisionnel, process et workflows en tout genre, validations, reporting etc. Si le digital amène de la vitesse et de l’échelle, digitaliser une organisation dysfonctionnelle permet de faire n’importe quoi et générer de l’inefficacité, du désengagement et de la frustration plus vite et à plus grande échelle.
De manière générale l’expérience employé est à mon sens une question de simplification organisationnelle avant tout et ce point manque ici cruellement.
Des expériences humaines avant tout
L’étude insiste ensuite sur l’importance des expériences humaines, point sur lequel je ne peux qu’être d’accord. L’essentiel de l’expérience quotidienne d’un collaborateur c’est ses interactions avec les autres et un bon ou mauvais management pèse, à mon avis, très lourd dans la balance.
J’ajouterai même qu’il est essentiel de travailler ce point avant de lancer les chantiers sur les outils de collaboration et de communication. Parce que, et on l’a vu par exemple avec les réseaux sociaux d’entreprise, accélérer et multiplier les interactions entre les gens lorsque ces interactions sont de mauvaise qualité mène à la catastrophe. Et donner des outils pour des interactions qui n’ont aucune raison d’arriver pour des raisons culturelles et managériales c’est jeter de l’argent par les fenêtres en sombrant dans le solutionnisme technologiques.
Pour finir Accenture nous propose une feuille de route :
• Identifier les gisements de productivité
• Déterminer les moments qui comptent
• Co-designer l’expérience avec les collaborateurs
L’expérience employé ne doit pas être discriminante
Je ne m’attarderai que sur le premier point qui m’a fait tomber de ma chaise. Ce que nous dit Accenture n’est rien d’autre que « focalisez vous sur ceux qui peuvent ramener de l’argent et laissez ramer les autres ». Un parti pris totalement intenable et qui envoie un message totalement opposé à ce que doit être celui de l’expérience employé.
Oui il faut parfois prioriser. Oui on ne peut peut être pas tout mener de front. Mais l’expérience employé ne peut ni ne doit être discriminante à l’égard de certaines populations. Ma pratique et mon avis sur la question sont simples : un socle commun pour tous et ensuite une approche métier mais tout le monde doit être impacté. Si vous voulez créer du désengagement faites comme d’habitude : mettre tout le poids sur le siège en oubliant magasins et usines, mettre tout sur ceux qui vendent en oubliant ceux qui produisent et font tourner la machine.
Alors bien sur pour convaincre un directeur financier c’est peut être la bonne approche. Mais son exécution serait suicidaire et j’ai du mal de comprendre qu’une telle aberration ait survécu à un comité de lecture. Dommage.
Quittons nous sur une image qui fera, j’en suis sur, consensus.
L’expert:
Bertrand Duperrin est Digital Transformation Practice Leader chez Emakina. Il a été précédemment directeur conseil chez Nextmodernity, un cabinet dans le domaine de la transformation des entreprises et du management au travers du social business et de l’utilisation des technologies sociales.
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A mon sens, expérience employé et marque employeur sont intrinsèquement liés, de ce fait au 122% de productivité s’ajoute les conversions liées à la prise de parole des employés.
Il serait intéressant de faire un rapprochement entre les deux pour faire une estimation du ROI potentiel.