Bertrand DuperrinLes Experts

Les entreprises qui réussissent leur transformation numérique, et celles qui échouent

Au début de l’été, le MIT et Deloitte ont publié une étude sur ce qui caractérise les entreprises les entreprises les plus matures face à leur transformation digitale. Comme souvent, on n’y apprend pas nécessairement grand-chose mais, puisque c’est signé MIT, ça a plus de poids au moment de tenter d’expliquer à sa direction qu’elle fait n’importe quoi dans n’importe quel sens.

C’est la stratégie et pas la technologie qui « tire » la transformation digitale

Concrètement, les entreprises les plus matures travaillent sur les talents, les process et les business models, là où les autres ont davantage tendance à s’éparpiller, à multiplier les initiatives incohérentes et vouloir aller trop vite sur la technologie. Une raison évidente en est la maturité du management sur le sujet : lorsqu’on ne comprend pas de quoi il retourne on veut aller directement sur des choses concrètes. Et quand la maturité managériale existe mais n’est pas collective, il est quasiment impossible de traiter la question transversalement, d’en couvrir toutes les dimensions, donc on fait du bricolage sur un périmètre réaliste.

Dit autrement, dans une entreprise mature on réfléchira, par exemple, à repenser la proposition de valeur d’un département et réaligner les opérations d’un département en fonction au lieu de faire joujou avec des vidéos YouTube pour améliorer sa marque employeur.

Tout est question de périmètre et d’objectifs

Les entreprises les moins matures transforment au niveau individuel avec une dimension très opérationnelle, les plus avancées au niveau collectif, systémique, avec une vraie volonté de transformer le business.

Là encore – mais c’est fort normal – tant qu’on n’a pas la maturité suffisante on essaie de rassurer en allant sur du concret le plus rapidement possible alors qu’avec de la maturité on pense d’abord globalement, avant d’agir. C’est d’ailleurs en allant sur du concret, quitte à échouer, ne pas en tirer grand-chose, et apprendre qu’on gagne la maturité suffisante pour aller plus loin.

Par contre, cela reste un vrai problème, de mon point de vue, dans les entreprises qui ont une culture «opérationnelle» forte et où s’arrêter, faire le point, prendre du recul, désapprendre, apprendre, réfléchir et formaliser est souvent assimilé à une perte de temps.

Il faut travailler les compétences

C’est la capacité à conceptualiser ce que la technologie ouvre comme champ des possibles en termes de réinvention du business et des opérations qui est critique dans la phase de maturation.

Logiquement, ça n’est pas inné ou pas inné pour une masse suffisamment critique de collaborateurs pour opérer un démarrage en trombe dès le «jour 1». On en revient à la nécessite d’un programme d’acculturation qui doit concerner tout le monde dans l’entreprise (avec des modalités, une intensité et des exigences qui peuvent différer selon les profils), un programme qui doit s’inscrire dans la durée.

Là encore, on voit encore des résistances. Il n’est pas évident dans certaines cultures de considérer que participer à un MOOC gamifié sur son temps de travail soit vu comme est un investissement pour l’avenir. Et pourtant, sans un socle commun minimal, il sera impossible de mettre l’entreprise en mouvement. La bonne nouvelle est que ces réticences commencent à se faire de plus en en plus rare.

Les collaborateurs veulent travailler pour un leader digital

Sans aucune surprise, les collaborateurs préfèrent rejoindre des entreprises avancées en matière de digital. Pour deux raisons à mon point de vue : d’abord ces leaders ont opéré un shift culturel qui les rend plus attractifs en termes d’outils et de modes de travail ; ensuite l’enjeu digital quant à la pérennité des entreprises est aujourd’hui globalement bien compris. Une fois qu’on connait le fin mot de l’histoire, avant même le début du voyage, on refuse d’embarquer sur le Titanic.

La culture du risque devient la norme

Et comme le souligne de manière fort pertinente l’étude, non seulement il faut aider les collaborateurs à s’enhardir mais ça n’est pas suffisant. Ceux-ci ont en effet tendance à caler leur acceptation du risque sur celle de leur manager. C’est donc par le haut que tout commence.

L’agenda digital est mené par le haut

On en revient à l’impératif besoin de leadership digital de la direction et c’est un vrai sujet. Le premier logiciel à mettre à jour dans l’entreprise est celui de la direction, et c’est surement le plus difficile à faire. Dans de nombreux cas, on a affaire à des générations de dirigeants qui ont toujours décidé et fait faire. Ici, il faut incarner. Et, pour encore beaucoup trop d’entre eux, prendre le temps d’être curieux, lire, écouter, mettre les mains de dedans est encore trop demander, et ce d’autant plus que cela demande du temps et un vrai investissement personnel.

Il y a bien le palliatif «chief digital officer», mais je pense qu’il ne dure qu’un temps. Il peut faire avancer un certain nombre de choses plus vite mais, à un moment ou un autre, l’absence de culture et de leadership digital au niveau de la direction générale finira par le bloquer également. Soyons réalistes : les entreprises où le leadership digital du PDG est réel n’ont en général pas de CDO. Il doit bien y avoir une raison.

En conclusion rien de bien nouveau donc mais une chose sur laquelle je pense qu’il faut vraiment insister. La transformation digitale c’est :

  • un processus d’acculturation individuelle et collective qui touche toute l’entreprise ;
  • un processus d’essai/erreur ;
  • un processus créatif car il faut établir ce que « digital » veut dire pour une entreprise donnée.

 

Le vrai risque est celui de l’incompréhension pour des entreprises obnubilées par le « doing » qui ne comprennent la besoin de se transformer préalablement en organisation apprenante. Car c’est bien de cela qu’il s’agit finalement. Il faut apprendre à vivre et penser digital à titre personnel avant d’imaginer les initiatives business.

Et je terminerai en citant un article sorti chez McKinsey cet été : «suivre les leaders est un jeu dangereux. Il est préférable de se concentrer sur la construction d’une organisation et d’une culture qui permet de réaliser la stratégie que est la bonne pour vous».

BeCapture d’écran 2015-01-07 à 16.48.12rtrand Duperrin est Digital Transformation Practice Leader chez Emakina. Il a été précédemment directeur conseil chez Nextmodernity, un cabinet dans le domaine de la transformation des entreprises et du management au travers du social business et de l’utilisation des technologies sociales.

Il traite régulièrement de l’actualité social media sur son blog.

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Un commentaire

  1. Bonjour,
    « Il faut apprendre à vivre et penser digital à titre personnel avant d’imaginer les initiatives business »

    Vous pensez donc que la démarche de digitalisation est la même dans la vie personnelle que dans d’univers du travail ?

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