Les Etats-Unis enterrent le principe de neutralité du net
La FCC (Federal Communications Commission), le régulateur des télécoms aux Etats-Unis, a voté la fin de la neutralité du net hier soir, par trois voix contre deux.
Principe fondateur d’Internet, la neutralité du net est un concept posé dans les années 1970. Il s’agit de la règle selon laquelle toutes les données circulent sur le réseau de façon indiscriminée, quelles que soient leur nature, leur provenance ou leur destination. Selon les règles d’un « net neutre », les fournisseurs d’accès internet (FAI), qui contrôlent l’infrastructure, se doivent donc de faire circuler les données à la même vitesse et dans les mêmes conditions pour tous.
La neutralité du net a été sanctuarisée aux Etats-Unis sous l’administration Obama en 2015. L’Open Internet Order posait alors l’Internet américain au rang de« bien public », comme le service téléphonique.
Avec la décision de la FCC, qui abroge l’Open Internet Order de 2015, les FAI peuvent donc « discriminer » la circulation des données à leur gré, par exemple augmenter le débit pour celui qui paierait plus – qu’il soit client final ou service en ligne. A l’inverse, d’autres pourraient être pénalisés – imaginons un FAI qui briderait le débit dans le cadre d’une offre Internet premier prix, ou qui privilégierait ses propres services au détriment de la concurrence. En effet, les fournisseurs d’accès ont remonté la chaîne de valeur : ils ne se contentent plus d’administrer des tuyaux mais créent et commercialisent eux-même des contenus. ComCast est par exemple propriétaire de NBCUniversal.
Un Internet à deux vitesses ?
C’est donc la crainte de voir émerger un « Internet à deux vitesses » qui réapparaît. Crainte de nature économique, avec une hausse des coûts qui pourrait toucher certains services très gourmands en données (notamment vidéo), possiblement répercutée sur les consommateurs. Certains pensent aussi que cette décision défavorisera les petites entreprises technologiques qui, sans les conditions égalitaires de circulation de l’information assurées par la neutralité, seront incapables de lutter et d’émerger face aux grands groupes dans un paysage porté à la consolidation – hier encore, un deal de dimension historique a été signé avec l’absorption de la division divertissement de la Fox par The Walt Disney Company. Mais aussi crainte politique, avec des questions sur la liberté d’expression chez les défenseurs des droits numériques.
Ainsi la FCC autorise désormais les fournisseurs d’accès à restreindre les contenus ou à fixer librement leurs tarifs. Ajit Pai, un ancien conseiller du FAI américain Verizon nommé à la tête de la FCC par Donald Trump, reste persuadé que la fin de la neutralité du net permettra au contraire aux opérateurs d’entretenir et de moderniser leurs infrastructures au rythme de l’évolution de la demande et des usages. Rappelons qu’aux Etats-Unis, un abonnement triple-play coûte environ 100 dollars.
« Cela ne va pas mettre fin à l’Internet tel que nous le connaissons. Cela ne va pas tuer la démocratie. Cela ne va pas étouffer la liberté d’expression en ligne, a-t-il déclaré à la fin de la séance. Il est temps pour nous de restaurer la liberté d’Internet. »
La FCC « donne les clés de l’internet à une poignée d’entreprises multimilliardaires », a contesté Mignon Clyburn, membre de la commission qui a voté contre.
De nombreuses personnalités de la Tech se sont opposées à la fin annoncée de la neutralité du net, comme Sir Tim Berners-Lee, inventeur du World Wide Web ou Steve Wozniak, co-fondateur d’Apple. Des entreprises aussi, parmi lesquelles les géants de la Tech, Alphabet, Facebook, Microsoft ou Amazon, via l’Internet Association, même si ces derniers se sont faites plus discrets ces derniers jours.
Le procureur général de l’Etat de New York, Eric Schneiderman, a annoncé qu’il allait s’associer avec d’autres Etats pour contester la décision. Les associations de défense des libertés pourraient également saisir la justice.
En France, Orange est aussi pour la fin de la neutralité
Interrogé sur ce débat par nos confrères de BFM Business lundi 11 décembre, le patron d’Orange Stéphane Richard, en pleine campagne pour un troisième mandat, a déclaré que « le débat était pollué par des considérations politiques » et que l’arrivée de la 5G en 2020 obligerait à l’abandon de la neutralité du net, afin de fournir aux entreprises « des internets particuliers en terme de latence, en terme de vitesse (…) avec des fonctionnalités, des puissances, et des qualités différentes, et pour pouvoir le faire, il faut qu’on nous laisse le faire. »
Le principe de neutralité du net est inscrit dans le droit européen depuis 2016, et généralement respecté, malgré quelques manquements. En France, c’est l’Arcep, le gendarme français des télécoms, qui s’assure de son respect.
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Je vois un danger bien plus grand que simplement baisser ou augmenter le débit en fonction du type d’abonnement ou de fichier partagé (ce qui dans les faits est déjà effectif pour info). En effet les FAI, sous les ordres des États, pourraient discriminer en fonction du sujet du contenu lui-même, privant ainsi les internautes de leur liberté fondamentale. Bien sûr, nous sommes tous d’accord pour interdire les messages de haine, d’apologie du terrorisme, mais qu’en serait-il si les États avaient leurs propres critères moraux opaques qui ne respecteraient pas nos libertés individuelles ? Ce serait la dictature de la pensée, comme en Chine ou en Corée du Nord…
On pourrait aussi imaginer qu’avec la fin de la neutralité du net, cet article ne soit pas accessible car allant à l’encontre des intérêts du FAI… C’est une boîte de pandore qu’a ouvert la FCC !