Les fake news: remède humain ou technologique?
Le traitement des Fake News est un sujet «chaud» pour toutes les plateformes de média. De Facebook qui prend la question très au sérieux au Monde qui lance son plugin de détection de Fake News, la Fake News est le fléau informationnel du moment.
Il y a Fake News et Fake News
Qu’est-ce que la Fake News? Et bien cela recouvre une grande variété de cas comme l’explique très bien cet article qui rappelle à juste titre le biais qu’entraîne la traduction du terme en français. Il ne s’agit pas d’une fausse information au sens d’une information erronée mais d’une fausse information dans la mesure où cela a l’apparence d’une news mais est en fait une imitation. Elle peut relater des faits exacts mais avec un prisme biaisé; être inexacte volontairement ou par négligence, voire n’être qu’une simple parodie.
La Fake News recouvre donc une grande variété d’articles dont l’objectif va de la pure désinformation à l’humour décalé.
Un problème de masse d’information
On a eu tellement d’exemples de gens manipulés par une Fake News ou de personnes prenant un site parodique pour une information sérieuse que le sujet est devenu un enjeu de crédibilité pour les médias, notamment les plateformes où sont repartagées les contenus de sites tiers. Vous me direz que les deux situations n’ont rien à voir et c’est vrai (quoique…) en terme de gravité. C’est peut-être vrai mais à partir du moment ou le jugement d’une personne est trompé par un contenu il y a matière à réflexion, surtout lorsque cela se passe dans un contexte où on a à la fois une masse critique de contenus et une masse critique de lecteurs.
Car la Fake News n’a rien de nouveau.
Orson Welles, le père de la Fake News
Lorsqu’en 1938 Orson Welles avait adapté «La Guerre des Mondes» à la radio, s’en était suivi un mouvement de panique d’auditeurs persuadés que les extra-terrestres étaient vraiment en train de nous envahir.
Je me rappelle également il y a une dizaine d’année de l’animateur d’une station de radio locale aux Etats-Unis (en Floride je crois mais je ne suis plus sûr) qui avait annoncé à l’antenne que l'on avait trouvé des traces de monoxyde de dihydrogène dans les canalisations d’eau potable de la ville. Panique en ville et licenciement de l’animateur. Pour la petite histoire, monoxyde de dihydrogène s’écrit… H20. Ni plus ni moins que de l’eau. Rien que du très normal dans les circuits d’eau potable, ça a du faire sourire ceux qui n’avaient pas oublié leur cours de physique du lycée mais visiblement la blague n’a pas été goûtée par le grand public.
Des exemples qui ne valent que ce qu’ils valent… et encore j’ai volontairement omis les exemples de désinformation volontaire dont les exemples connus de tous sont assez nombreux pour ne pas avoir à s’étendre dessus ici.
Et je suis sûr qu’il y a pleins de traces de Fake News dans l’histoire, aussi reculées soit elle. A chaque époque ses enjeux, ses médias, son lectorat. Lorsque l’information circulait peu, que son «reach» était faible et que tout le monde n’avais pas forcément accès à l’information ou les compétences pour y accéder (il y a un siècle rappelons-nous que tout le monde ne savait pas lire), l’impact était juste plus faible qu’aujourd’hui?
L’information: une affaire de pros qui devient un sujet de grande consommation
L’information a longtemps été une affaire de professionnels.
Dans sa conception tout d’abord. Tout le monde n’a pas toujours eu l’éducation pour en produire (savoir «académique», capacité à la formaliser, notamment par la maîtrise de l’écriture). Puis peu à peu de plus en plus de monde a pu en produire jusqu’à ce que nous connaissons aujourd’hui où la plus grande partie des individus sur la planète (pour ne pas dire la quasi-totalité) est en capacité de produire de l’information.
Dans sa diffusion ensuite. Des moines copistes aux grands sites médias d’aujourd’hui en passant par l’invention de l’imprimerie, on est passé d’une capacité de diffusion limitée par la capacité de reproduction et le «reach» du media à une situation où tout le monde peut potentiellement porter une information à la connaissance des 3/4 de l’humanité en un clic.
Dans sa consommation enfin. De l’époque où le média était écrit et où peu le lisaient et en transmettaient le contenu oralement au Web d’aujourd’hui en passant par l’invention de la radio et télévision et l’apprentissage de la lecture par quasiment tout le monde, le paysage a également radicalement changé.
Plus de producteurs, plus de diffuseurs, plus de consommateurs. Le média est devenu média de mass et le consommateur… plus consommateur et moins érudit. L’information a changé de vitesse et d’échelle alors que l’érudition et l’éducation ne sont plus des barrières à sa consommation.
Consommer l’information n’est pas la comprendre
C’est là qu’arrive la Fake News ou plutôt qu’elle devient assez importante en termes de quantité et de lectorat (donc d’impact) pour devenir un sujet de préoccupation.
L’abaissement des barrières à l’entrée a permis d’éduquer et d’informer à l’échelle de la planète mais en contrepartie, généré de la non qualité voire des possibilités de désinformation. L’abaissement des barrières à la consultation, qui est devenue consommation, a supprimé le filtre que pouvait constituer l’érudition sur le contrôle à posteriori de la qualité et de la véracité. D’énormes progrès qui vont donc avec d’énormes problèmes qui sont leurs corolaires.
Consommer l’information ne veut pas dire la comprendre et c’est bien là tout le problème.
Faut-il contrôler le marché de l’information?
D’où une tendance récente à vouloir informer le consommateur sur la qualité de ce qu’il consomme. Site fiable ou pas fiable. Site d’information ou de désinformation. Site sérieux ou parodique.
A priori une bonne idée qui va dans le sens de plus de «sécurité» informationnelle pour le consommateur, comme on peut parler de sécurité alimentaire.
Mais une idée qui ne va pas sans poser des questions:
- quelle est la légitimité et la pertinence d’un algorithme pour juger de la pertinence ou de la véracité de l’information (même réflexion que lorsque Google dit vouloir promouvoir les «sites de qualité»…)?
- quels sont les risques de dérive d’un système qui informe sur la qualité à un système qui dit ce qui est vrai ou faux voire ne permet de diffuser que ce qui correspond à sa vision de la vérité. On ne manque pas d’exemples historiques en la matière, ce qui nous montre que le remède peut s’avérer pire que le mal.
Le vrai problème derrière les Fake News est à mon avis triple:
- L’éducation au sens critique et l’exercice de la capacité de jugement que l’on a perdu dans le système éducatif, que l’on a perdu dans une société qui veut tellement protéger les gens contre eux-mêmes qu’elle déresponsabilise, qu’on a perdu en ne devenant que des consommateurs de l’information et non plus des acteurs de notre apprentissage, que l’on a perdu en faisant de l’information non plus un outil d’apprentissage mais un outil de simple divertissement.
- Le manque de savoir/expertise/compétence sur les sujets que l’on lit. Ce qui recouvre un problème d’éducation, c’est vrai, mais également le fait qu’on a accès à tellement de choses sur tous les domaines qu’on finit toujours par trouver nos limite à un moment ou à un autre.
- La maturité des consommateurs face aux nouveaux médias. Je veux bien que certaines personnes ne soient pas suffisamment éduquées et/ou n’aient pas assez d’esprit critique pour distinguer le bon grain de l’ivraie ou le site d’information de sa parodie, mais lorsqu’un ministre cite un site parodique pour illustrer ses propos ou en retweete le contenu en croyant qu’il s’agit d’une vraie information je me pose quand même des questions.
Derrière la Fake News il y a donc deux enjeux. Aider les gens et leur donner les outils intellectuels pour s’aider eux-mêmes. Pour des questions de massification dont je parlais plus haut j’ai bien peur qu’on ne puisse se passer du premier, mais pour d’autres raisons et notamment les dérives qu’on peut imaginer, je préfererais qu’on mette l’accent sur le second.
Entre protéger et éduquer il faut faire les deux, tout est question de savoir où mettre le curseur. Et j’ai bien peur qu’on soit partis pour ne pas le mettre au bon endroit.
Bertrand Duperrin est Digital Transformation Practice Leader chez Emakina. Il a été précédemment directeur conseil chez Nextmodernity, un cabinet dans le domaine de la transformation des entreprises et du management au travers du social business et de l’utilisation des technologies sociales.
Il traite régulièrement de l’actualité social media sur son blog.
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