[Expert] Les Français de la TV connectée: C2M, par Olivier Ezratty
La généalogie d’un grand nombre de sociétés de la TV numérique en France remonte souvent à Canal+, Thomson ou Sagem. C’est ici le cas avec la société C2M (Challenge2Media), créée par Jean-François Jezequel et Michel Boukhobza, deux anciens de Canal+ (ci-dessous). Elle fait ici l’objet du quinzième portrait d’un acteur français de la TV connectée dans cette série que j’ai inaugurée en mai 2012.
C2M est une SAS dont le capital est détenu à majorité par les fondateurs et les salariés. La société a réalisé 4m€ de CA en 2011.
L’origine Canal+
Michel Boukhobza et Jean-François Jezequel sont deux anciens de la Direction Technique de Canal+. Ils y ont passé 10 ans chacun avec notamment le développement du système de contrôle d’accès Médiaguard qui est maintenant chez Nagravision. Lorsqu’ils ont démarré à la direction technique de Canal+, ils étaient 10 ! L’équipe a ensuite grandi pour atteindre 700 personnes dont 500 salariés à temps plein. Le développement des technologies de décodeurs Canal+ étaient alors regroupées dans une filiale, Canal+ Technologies. Celle-ci travaillait essentiellement pour le groupe Canal+, en France et à l’étranger. Elle avait quelques clients externes au groupe Canal+ comme On Digital au Royaume Uni et Media One aux USA, une société elle-même rachetée par AT&T.
Après 7 ans chez Canal+ Technologies, Michel et Jean-François retournent dans le Groupe Canal+, en 2001, pour prendre la Direction technique du Groupe, et assurer, à l’aide d’une petite équipe, les synergies nécessaires entre les filiales du Groupe en Europe.
Fin 2002, Canal+ Technologies est cédé à Thomson pour 190 m€. Cela fait suite au nettoyage des actifs du groupe Vivendi dont Jean-Marie Messier s’est fait éjecter l’été 2002 pour être remplacé par Jean-René Fourtou et à l’arrivée de Bertrand Méheu à la tête de Canal+. Thomson conserve l’activité à peine 6 mois. L’été 2003, elle subit une forme de démantèlement avec la partie middleware qui part chez l’israélo-anglais NDS pour devenir l’actuel laboratoire de NDS France et la partie contrôle d’accès qui passe chez Nagravision, une filiale du groupe suisse Kudelski. Le tout avec une plus-value pour Thomson. Ce démantèlement était l’une des conséquences d’un différend juridique avec NDS que Canal+/Thomson accusait d’avoir copié ses technologies de contrôle d’accès.
La Direction Technique de Canal+ a tout de même subsisté. Elle a géré le passage complet au numérique du groupe, à la TNT, à la HD, aux set-top-boxes hybrides et au multi-écrans. Sa Direction a changé plusieurs fois de main avec successivement Benoit Chéreau (resté un an, un ancien de Bouygues parti ensuite chez Worldsat), Xavier Marvaldi (lui aussi pendant un an, passé ensuite chez M6 Web, puis dans la startup Youwalk et actuellement DG d’Euromedia France) et enfin Jo Guégan, un ancien de Cap Gemini qui joue ce rôle de CTO de Canal+ depuis au moins 7 ans.
Avec Open TV, créé par Thomson en 1994 et aussi revendu au groupe Nagra, en 2010, ce sont plusieurs joyaux français qui sont partis sous contrôle étranger. Un triste sort pour l’industrie des technologies françaises de la TV numérique, même si et NDS et Nagravision conservent en France des centaines d’ingénieurs pour leurs développements issus de ces acquisitions.
C’est en tout cas pendant cette phase transitoire, en 2003, que les créateurs de C2M ont quitté Canal+ pour se lancer dans l’aventure.
Ce que fait C2M
C2M est un pure-player du service dans l’univers de la télévision numérique. L’idée des fondateurs était de faire profiter le marché de l’expérience qu’ils avaient acquise dans le groupe Canal+ avec une stratégie à 360° sur l’univers de la télévision numérique puis des médias numériques en général. 360° ? Cela revient à englober le cycle complet des médias avec l’acquisition, l’agrégation, la distribution et la réception.
Techniquement parlant, cela correspond à la capture vidéo, aux régies, au play-out (préparation des contenus pour la distribution, réalisée souvent en régie finale), les outils de Media Asset Management (pour la gestion des données médias), les CDN (content delivery networks, ces services en ligne qui optimisent la diffusion des contenus sur Internet), l’OTT (les solutions over-the-top pour diffuser les contenus médias sur PC/Mac, tablette, smartphone, etc), la vidéo à la demande et la TV de rattrapage. Vaste programme qui reflète bien la diversité du secteur. Et C2M couvre aussi bien la télévision que la radio.
La société qui fait une cinquantaine de collaborateurs propose deux types d’accompagnement et est organisée en plusieurs pôles :
- C2M Consulting (pour le conseil, 10 personnes) et C2M Intelligence (pour les études de marchés) qui offrent un accompagnement stratégique.
- C2M Technologies (avec des chefs de projets de profils séniors, 15 personnes) et C2M Engineering (pour la réalisation des projets, 20 personnes) qui font de l’accompagnement technologique.
Depuis plus d’un an, une partie de l’activité est gérée à Rennes, dans la branche C2M Ouest, qui supporte l’ensemble des offres de la société dans le grand ouest.
Voici la liste de leurs clients accumulés en 10 ans (mais pas tous actifs au même moment, heureusement…) :
Pour décrire la société, un peu comme nombre de celles que j’ai pu couvrir jusqu’à présent, il faut parcourir le portefeuille de projets réalisés pour ses clients. Les missions sont très variées puisqu’elles couvrent aussi bien de la formation, des conférences, des études de marché que de la maitrise d’œuvre et la réalisation de projets complexes.
Nous allons exclure les premières où l’on trouve presque tous les acteurs de l’écosystème français de la télévision : les chaînes, les opérateurs et nombre d’industriels. Et nous focaliser sur les réalisations.
Les chaines de TV
Ils ont d’abord travaillé tout naturellement au milieu des années 2000 sur les premières box HD de CanalSat. Dans ce cadre, ils ont mis à disposition un responsable programme dans les équipes techniques de Canal+ pour assurer la coordination entre les différents industriels (fournisseurs de la box, des chipsets, de l’accès conditionnel et du middleware). Plus tard, ils ont fourni d’autres expertises qui ont participé à la mise en place des terminaux terrestres, toujours en accompagnement des équipes techniques de Canal+.
Plus récemment chez France Télévisions, ils ont aidé le groupe à mener l’appel d’offre de son système de Media Assets Management et distribution multi-écrans (décrit ici lors de ma visite de France Télévisions fin 2011). Ce projet a conduit le groupe public à faire appel à Sony comme fournisseur de technologies. Ce projet est clé pour moderniser les infrastructures numériques de France Télévisions et notamment fluidifier l’alimentation de tous les écrans au-delà de la TV broadcast. Pour mener à bien cet appel d’offres, C2M a dû accompagner France Télévisions à mettre en évidence ses besoins et ainsi a pu participer à la rédaction complète des Cahiers des Charges, qui ont conduit à l’appel d’offre (RFP, request for proposal). La mission s’est terminée quelques mois après que Sony ait été retenu. Le déploiement de cette nouvelle infrastructure est toujours en cours.
Chez France 24, ils ont réalisé une mission de conseil pour la migration des régies vers la HD (ci-dessous). Toutes les chaînes y sont passées ou vont y passer. L’ensemble des industries de la télévision doivent en effet terminer de passer à la HD et en maitrisant au plus serré les couts, sachant que la 4K pointe du nez et les effraie quelque peu en terme de coûts additionnels. En effet, dans la plupart des cas, ces migrations technologiques correspondent à une tendance lourde du marché mais sans pour autant permettre de générer des revenus incrémentaux. C’est une sorte de mal nécessaire, les téléspectateurs s’habituant de plus en plus à l’amélioration de la qualité de l’image. La HD est d’ailleurs plus fréquemment disponible sur l’IPTV que sur la TNT voire même que sur le satellite. Certaines chaines comme BFM, France 3 ou NRJ sont ainsi disponibles en HD sur IPTV (chez les opérateurs télécom triple-play) et pas sur les autres tuyaux de diffusion. A noter que le projet de passage à la HD vient d’être annoncé par la nouvelle Présidente de France24 pour l’année 2013.
Industriels
Les industriels du secteur sont également clients de C2M :
- Chez Nagravision France, ils ont mené une mission de conseil et d’audit sur la fourniture de solutions globales de terminaux et de middleware et l’encadrement projet. Pour des clients en Inde ! Comme quoi l’international est accessible y compris pour des prestataires de services, pour peu qu’ils puissent faire levier sur des industriels qui ont une assise internationale.
- Pour le marseillais Neotion spécialisé dans les systèmes de contrôle d’accès (modules CAM), ils ont participé à la réalisation d’une solution logicielle pour tablette utilisant le standard hbbTV. Une démonstration de cette solution avait été présentée par Neotion à l’IBC 2012 d’Amsterdam. Elle consiste à ‘capter’ les informations HbbTV sur un module CAM CI+, et à les transmettre à une tablette Android, la tablette supportant en fait l’interactivité du service HbbTV. Dans le cadre de ce projet, C2M a mis à disposition un expert Android pour participer au design et au développement. Le support multi-écran de HbbTV est une avancée très intéressante pour ce standard. Cela le désenclave du broadcast pur. Au passage, Neotion propose aussi une solution de couponing multi-écrans basée sur HbbTV, qui n’a pas été réalisée dans le contexte du projet C2M.
- Ils ont aussi aidé l’opérateur mexicain de salles de cinéma Cinepolis à lancer une offre de VOD. Cet opérateur avait lancé une offre de services VOD. Après quelques mois d’opérations, il s’était rendu compte que la plateforme retenue n’avait pas la flexibilité nécessaire pour supporter la multiplicité des écrans, des technologies et des DRMs nécessaires. D’où une remise en cause de cet existant. Dans ce cadre, Cinepolis a fait appel à C2M pour les aider à définir une nouvelle architecture cible de leur plateforme, et pour mener à bien les appels d’offre de sélection des industriels pour la mettre en place. Cette mission est en cours et doit se terminer au mois d’avril 2013.
- Ils ont aussi accompagné TDF au sujet de projets de télévision mobile et pour une expertise portant sur les technologies d’accès conditionnel et de protection de contenus, adaptées au monde du mobile. Mais la TV mobile n’a pas décollé (en tout cas, en mode broadcast, via le DVB-H). Elle va peut-être revoir le jour avec les déploiements du LTE, notamment grâce au LTE MBMS, le protocole permettant la mise en place d’architectures multicast de diffusion de TV mobile qui économisent la bande passante des réseaux.
Opérateurs
Les opérateurs, souvent tier 2, pour lesquels C2M a contribué à construire les offres :
- Ils ont accompagné Numericable au niveau marketing pour le passage à la TNT et la reprise des signaux en tête de réseau, ainsi que sur les réflexions stratégiques amenées par cette reprise de TNT dans les réseaux du câble. Ils ont aussi participé, pour le compte de l’éditeur de logiciels belge Zappware, au développement de diverses applications pour la box Numericable d’origine Sagem et en HTML5 sous Webkit.
- Ils ont planché sur TVnum, l’offre de TNT payante, au départ avec TNtop qui dépendait du groupe anglais TopUpTV puis avec le français TVnum qui l’avait racheté. L’activité en question vient de s’arrêter. A part Canal+, personne n’a jamais réussi à vendre de la TNT payante en France. En fait, c’est le lot commun des offres “tier 2” qui sont souvent montées en sous-traitance et/ou avec peu de moyens. Et elles sont plus risquées que les offres des opérateurs “tier 1”.
- Chez GlobeCast, filiale de France Télécom, ils ont mené une mission sur leur réseau mondial de diffusion temps réel de vidéo. On y diffuse des chaines de TV sans latence, en mode très haut débit et point à point. C’est dédié aux applications professionnelles.
- Pour Médiamétrie, ils ont travaillé sur les technologies de watermarking et l’étude des équipements de mesure d’audience “nouvelle génération”. Médiamétrie est en en train de faire évoluer ses outils de mesure d’audience pour intégrer tous les écrans et tous les usages.
C2M est enfin impliqué de très près dans la réalisation technique de Tevolution, une startup qui va lancer cette année (2013) une box “OTT hybride” associant chaines de la TNT et contenus (VOD, chaines) provenant d’Internet.
Concurrence et croissance
C2M a de nombreux concurrents selon le domaine d’activité. Dans le conseil et l’ingénierie, ont trouvera des sociétés comme Médiatvcom et de plus grands acteurs tels que Altran et ATOS Worldline (qu’il me faut aussi couvrir dans cette série d’articles…), ou encore des grands du conseil comme Accenture ou Cap Gemini, voire même des consultants indépendants comme votre serviteur, mais à une toute petite échelle. Dans le développement d’applications second-écrans, ils seront face à des sociétés telles que DotScreen ou WizTivi.
Lorsque l’on souhaite entreprendre et innover, le conseil et le service traditionnels ne sont jamais bien satisfaisants. Le virus du produit veille au grain. C2M alloue ainsi du temps de ses équipes à la R&D sous la forme de veille technologique. Ils ont structuré depuis deux ans un pôle innovations avec des experts créant des “proofs of concepts”. Ils ont ainsi notamment travaillé avec Civolution (hollandais, spin-off de Philips qui dispose d’un labo à Rennes issu d’une acquisition de l’activité watermaking de Thomson/Technicolor) pour créer des solutions de synchronisation d’applications sur tablettes avec le live de la TV. Cela a abouti à une mission avec une chaine TV pour lancer un tel service. Cela rappelle un peu ce que fait DotScreen avec son guide de programme pour second écran.
Le gâteau français est cependant limité au niveau de ses grands acteurs. On a vite fait le tour des grandes chaines, des opérateurs télécoms et des industriels locaux. Le marché de la TV a de plus tendance à se fragmenter, avec la multiplication des chaines de la TNT, mais celles-ci manquent de moyens. Il en va de même avec les 150 et quelques chaines TV locales qui ont des chiffres d’affaire de quelques millions d’Euros pour les plus grandes d’entre elles et font en moyenne plutôt des pertes.
La seule solution, comme pour tous les acteurs établis, consiste à se tourner vers l’international, grande source de croissance pour nos PME et ETI en devenir. Mais chaque pays a son ou ses C2M locaux. D’où l’approche produit et la voie de la spécialisation qui est plus ou moins inéluctable dès lors que l’ambition est là.
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Pour mémoire, les autres français de la TV connectée déjà couverts dans cette série : Joshfire, TvTweet, Wiztivi, httv, Mesagraph, TDF, Hubee, iFeelSmart, Anevia, Plurimedia, Evergig, Dotscreen, WyPlay et ClickOn. Courage ! Il n’y en a plus que 70 et quelques à faire… j’en avais fait un inventaire partiel dans l’article de lancement de cette série au long cours.
Retrouvez Olivier Ezratty
- sur son blog: http://www.oezratty.net
- sur twitter: http://twitter.com/olivez
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