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Les grands groupes doivent développer une stratégie d’acquisitions de start-up

Sans délaisser leur approche traditionnelle en matière d'innovation, les grands entreprises doivent opérer une révolution copernicienne pour continuer à séduire les jeunes les plus créatifs.

La révolution numérique a fait exploser les barrières à l'entrée de l'innovation: il suffit d'un peu de financement pour qu'éclosent des idées révolutionnaires qui ne pouvaient naître autrefois que dans des grands centres de recherche et développement (R&D).

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L'innovation a basculé, elle passe de la verticalité à l'horizontalité, du programme de longue haleine à forte intensité capitalistique –Concorde et plan Calcul– à l'âge du garage et des écoles de code. Les jeunes les plus créatifs ou les plus inventifs –en fait, une part considérable d'entre eux, puisque ces caractéristiques sont l'apanage de la jeunesse– se tournent donc aujourd'hui naturellement vers l'entrepreunariat. On s'en réjouit, on a raison…

On a raison, mais ce mouvement peut aussi s'analyser comme un brain drain («une fuite des cerveaux ») des grands groupes vers les start-up. Il réduit le nombre de talents disponibles pour les grandes structures. L'attitude de notre jeunesse se comprend parfaitement: les structures pyramidales ne leur permettent pas de s'épanouir, leur voix n'y est pas entendue? Ils parlent, sans le savoir, comme le personnage de Coluche: «La société n'a pas voulu de nous? Qu'elle se rassure, on ne veut pas d'elle!»

La vérité est qu'on ne peut plus continuer comme ça. La vérité est que les start-up et les grands groupes ne peuvent pas vivre les uns sans les autres. La vérité est que, demain et dès aujourd'hui, pour innover, il faut apprendre à combiner deux approches: l'une plus verticale, et sans doute défensive, sur «business» existants, qui devront continuer à évoluer pour préserver leur valeur, principalement centrée sur une démarche d'innovation interne; l'autre plus horizontale, en acceptant d'aller faire son marché dans le maquis des start-up pour y trouver technologies, compétences, nouveaux usages et talents de demain.

Cette seconde approche nécessite d'aborder l'acquisition de start-up en effectuant une révolution copernicienne. La France n'est pas la Silicon Valley, certes. Mais, d'une part, nous avons une forte tradition de R&D et, d'autre part, la French Tech est une réalité à l'échelle mondiale. Il faut partir de ces deux points forts pour revisiter l'acquisition de start-up par les grands groupes, le fameux corporate venture. Il faut en quelque sorte lancer une démarche de «R&D venture» ou d'«innovation venture». La démarche de «R&D venture» est une savante alchimie entre innovation volontariste et règles financières du capital-risque. Elle reste encore à inventer, et dépend bien sûr de chaque secteur ou de chaque situation, mais il est possible d'en esquisser quelques règles.

Créer un espace transitionnel

La première: considérer le budget d'investissement consacré au «R&D venture» comme une composante à part entière du budget global d'innovation, afin d'atteindre l'équilibre entre ces deux approches au lieu qu'elles se concurrencent, souvent au détriment du «venture». Il faut surtout intégrer dans le processus d'acquisition de start-up cette composante caractéristique de la démarche de R&D qu'est l'acceptation de l'échec comme une possibilité, voire une composante naturelle du processus d'innovation. Si un grand groupe accepte l'échec d'un de ses projets de R&D, il n'en est pas encore de même pour les acquisitions qu'il peut effectuer.

La seconde règle est celle de la taille critique. De la même façon qu'un groupe analyse ses dépenses de R&D comme un investissement global visant à développer son activité a moyen terme, la démarche de «R&D venture» doit constituer une part significative de ce budget. Non seulement parce que c'est la dépense d'innovation adaptée au nouveau monde, mais aussi parce que le modèle même du «venture» ou capital-risque impose une taille critique dans le volume d'investissement pour être efficace. C'est le fameux «banc de poissons» duquel doivent émerger les succès de demain.

La troisième règle est que le «R&D venture» impose une organisation ad hoc: création de filiale spécifique avec ses propres règles, mise en place d'un lieu d'innovation ouverte accueillant ses acquisitions… Plusieurs modèles cœxistent et se cherchent, mais le groupe qui s'engage dans cette démarche doit créer un écosystème interne spécifique, un «espace transitionnel» qui permet à la créativité de se développer tout en tissant jour après jour l'affectio societatis avec le groupe, participant ainsi directement et indirectement à sa transformation.

Intégrer au sein même d'une grande organisation une plus petite structure disruptive est en soi un facteur de transformation. Le grand groupe est en lui-même un monde. Les ruptures engendrées par des start-up situées parfois à plusieurs milliers de kilomètres ne sont en général pas considérées comme des menaces réelles et sérieuses.

Par contre, quand le disrupteur devient votre voisin de bureau, la réalité de la menace devient du même coup bien plus concrète, quoique paradoxalement moins réellement…menaçante!

Enfin, la seule règle commune à tous les succès qui émergent est l'implication forte et personnelle du patron, ainsi que la mise en place à ses côtés d'un chef d'orchestre de cette transformation, que l'on appelle parfois le chief transformation officer.

Le budget R&D des grands groupes doit donc nécessairement inclure dorénavant une part d'acquisitions de start-up à un niveau significatif. Les groupes de biotechnologies ont pour la plupart engagé cette transformation depuis dix ans avec succès. Nous avons en France la chance d'avoir des leaders mondiaux et des start-up en plein essor; autant d'ingrédients pour bâtir un nouvel écosystème d'innovation puissant. Une part de 10 % du budget de R&D en France, tous secteurs confondus, représenterait 4 milliards d'euros, soit déjà dix fois le budget actuel d'acquisitions de start-up françaises!

Une vraie révolution…

paul-francois-fournier-bpifrancePaul-François Fournier est directeur exécutif Bpifrance Innovation & membre du Comité exécutif, depuis 2013. Il a rejoint le groupe France Télécom Orange en 1994 en tant qu'ingénieur d’affaires sur le segment Entreprises France. Après un parcours de sept ans dédié au développement des services aux entreprises, il devient, en 2001, directeur du Business Haut-Débit de Wanadoo, où il a assuré le décollage en France des offres ADSL qui sont passées de quelques milliers de clients en 2001 à 3 millions fin 2004, puis à l'international en tant que membre du Comité exécutif du groupe Wanadoo. Il a ainsi mené des projets stratégiques comme le lancement de la Livebox et de la voix sur IP, en partenariat avec Inventel et Netcentrex, des start-up françaises. 

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Un commentaire

  1. Bonjour, Je pense que l’acquisition de start-up reste fondamentalement une erreur pour la start-up et l’entreprise ! Je vous propose de relire à ce sujet l’excellent Peter Drucker « Innovation and Entrepreneurship » écrit dans les années 80. Il explique très justement qu’une start-up pour se développer doit être une entreprise totalement indépendante de sa structure mère. L’acquisition par une grande entreprise ne serait que sa mort car elle commencerait à devoir rendre des comptes, à changer sa façon de fonctionner… il montre d’ailleurs que l’acquisition de start-up est un échec dans plus de 90% des cas. C’est compliqué pour une entreprise d’accepter psychologiquement de développer une entreprise en interne qui peut la « disrupter » totalement. Le comportement inconscient (ou conscient) serait de la détruire à petit feu.
    En conclusion, si une grande entreprise veut faire l’acquisition de start-up, elle doit le faire avec une volonté de la laisser totalement indépendante ou sinon de la tuer..

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