Les licornes de la tech, des animaux de plus en plus imaginaires
Par Benoît PELEGRIN / AFP
Les licornes, ces sociétés « tech » valorisées plus d’un milliard de dollars, ont longtemps incarné la réussite ultime pour une start-up. Mais le contexte économique actuel, moins favorable, remet sérieusement en cause le statut de certaines d’entre elles.
« Je pense que ce que nous avons vu en 2020 et 2021 n’était vraiment pas viable, il y avait des dizaines de nouvelles licornes chaque semaine, ce n’était tout simplement pas réaliste », admet Jenny Fielding, gérante de la société de capital-risque américaine Everywhere Ventures.
« La remise à zéro est douloureuse pour tout le monde, y compris pour les entreprises de notre portefeuille », continue-t-elle à l’occasion d’une table ronde au salon VivaTech, le grand raout des start-up hexagonales qui se tient jusqu’à samedi à Paris.
La remontée des taux d’intérêt des banques centrales, rendant les conditions d’emprunt moins favorables, comme les incertitudes économiques liées à la guerre en Ukraine et à l’inflation, ont mis ces derniers mois un brusque coup d’arrêt à l’appétit des investisseurs pour le financement des jeunes pousses.
Au point que commencent à fleurir des « down rounds », des tours de table actant la baisse de la valeur d’une entreprise par rapport à la précédente levée, à l’image de l’entreprise américaine de services de paiements Stripe en mars dernier.
Certains secteurs ont particulièrement la gueule de bois. Les valorisations des start-up de l’assurance ont ainsi été divisées par dix, constate le dirigeant français d’une de ces sociétés auprès de l’AFP.
Le fonds d’investissement français Eurazeo a appliqué une décote moyenne, tous secteurs confondus, de 23% à la valeur de son portefeuille d’entreprises de la tech.
A ce rythme là, combien reste-t-il vraiment de licornes en France parmi la trentaine que recensent les différents classements? En appliquant le même ratio qu’Eurazeo, un bon tiers en sortirait.
– « Prix de la carotte » –
Jean-Pascal Brivady, professeur à l’école de commerce EM Lyon, a travaillé sur un indice de « crédibilité » de la dernière valorisation annoncée pour chacune des licornes françaises.
Doctolib (rendez-vous médicaux) vaut-il bien 5,8 milliards d’euros? 80% de chance que oui, selon lui. Pour Backmarket (téléphones reconditionnés) et Contentsquare (comportement des internautes), la probabilité tombe à 50%.
Les jeunes pousses de la tech française ont crû grâce à des capitaux privés. Passés les premiers écueils, l’histoire ne s’écrivait que dans un seul sens: la dernière levée de fonds, assortie d’une lettre (série A, B, C etc.) était plus importante que la précédente.
Mieux, elle rendait compte d’une valeur plus importante de la start-up.
Le sujet pourtant crucial des différents types d’actions émises au fil du temps, avec parfois des droits préférentiels pour certains investisseurs, était allègrement balayé.
« Il y a probablement des entreprises qui ont cherché à atteindre ce marqueur de licorne quitte à faire quelques approximations dans les différentes classes d’actions », estime Philippe Rodriguez, co-président et fondateur de la banque d’affaires Avolta.
« Additionner toutes les actions revient à additionner des choux et des carottes, qu’on multiplie par le prix de la carotte », résume auprès de l’AFP l’associé responsable du marché fintech chez KPMG François Assada.
– Objectif Bourse –
L’abcès de la juste valorisation devra pourtant être crevé avant d’envisager les introductions de ces sociétés en Bourse, que le gouvernement appelle de ses voeux, afin d’éviter des déroutes au premier jour de cotation.
Le ministre en charge du numérique Jean-Noël Barrot avançait en novembre dernier un l’objectif de dix licornes cotées en Europe d’ici à 2025. Pour l’instant aucune en France n’a franchi le pas.
A l’occasion d’une conférence organisée par l’opérateur boursier Euronext début mars, le numéro 2 de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) Olivier Sichel appelait à la « raison » et à la « discipline commune » sur l’estimation de la valeur des jeunes pousses au jour futur de leur entrée sur le marché.
Selon lui, « beaucoup d’entreprises » de la tech française « sont dans les tuyaux et prêtes à être introduites en Bourse ».
Des travaux sont en cours, tant sur l’accompagnement des entreprises, l’évolution du cadre réglementaire mais aussi des promesses de soutien financier public.
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